Semaine 50

  • Vayigach
Editorial
La victoire des livres

Le peuple juif est souvent dénommé “peuple du Livre”. C’est là un noble titre qu’il a certes mérité tout au long de son histoire tumultueuse dont les méandres ne l’empêchèrent jamais de rester attaché aux textes porteurs de son éternelle sagesse. Il est vrai que, sans les livres qui ont modelé sa conscience et son rapport au monde, il perdrait une partie de son âme. Ses ennemis ne s’y sont d’ailleurs jamais trompés qui, lorsqu’ils ont voulu l’atteindre ou mettre sa survie en péril, ont commencé par s’en prendre justement à ses livres, les détruisant, les confisquant ou interdisant leur étude.
Chacun pensait que des actes de ce type appartenaient à une histoire ancienne et révolue. Chacun voulait croire qu’en nos siècles, plus personne n’oserait porter la main sur cette richesse commune et inestimable que des livres transmis avec amour, génération après génération, contiennent. Pourtant, il y a une quinzaine d’année, l’impensable se produisit. Certains s’autorisèrent à détourner des éléments de ce trésor, prélevant dans la bibliothèque du Rabbi des ouvrages dont la rareté faisait le caractère précieux afin de les vendre et d’en tirer un bénéfice personnel. Le fait qu’ainsi ils privaient la communauté d’une immense lumière ne les préoccupait guère.
L’enjeu était grave et, dès que le larcin fut découvert, tout fut entrepris pour que les livres retournent à leur lieu naturel, la bibliothèque, et qu’ils puissent servir ainsi à tous. Après des semaines, des mois d’effort, le 5 Tévet fut le jour de la victoire. Ce jour-là, chacun sut que le danger était écarté, que la sagesse ne serait jamais confisquée au bénéfice d’un individu, qu’elle resterait l’apanage de tous.
Il n’est guère étonnant que la joie qui éclata alors fut sans limite. Elle déborda avec d’autant plus d’éclat que l’étude connut ainsi une vigueur renouvelée accompagnée par la diffusion de textes nouveaux. Depuis, lors, le 5 Tévet est célébré d’année en année. Il est porteur de toute la puissance de notre temps qui sait affronter l’obscurité spirituelle la plus profonde et lui donner la seule réponse qui vaille: la lumière.

H. Nisenbaum
Etincelles de Machiah
Quand les prophètes disparaîtront

A propos du temps de Machia’h, le Midrach nous fait une annonce surprenante : “Tous les prophètes disparaîtront hormis le livre d’Esther”. Cette affirmation est d’autant plus étonnante que cette nouvelle ère sera celle de la révélation Divine et que, précisément, la prophétie en est normalement le canal privilégié.
C’est justement ce que le Midrach veut ici souligner. La révélation qui interviendra à l’époque messianique sera d’une puissance et d’une profondeur indépassables. Aussi, la prophétie elle-même sera comme inexistante par rapport à son intensité. Elle sera comparable au rayon de soleil confronté au cœur même de l’astre. Même si le rayon est brillant et bienfaisant, il disparaît devant la puissance du soleil qui constitue sa source.
Il n’en reste pas moins que la prophétie sera uniquement “comme” inexistante. Car, de fait, elle sera présente en chacun car, à propos de ce nouveau temps, il est dit (Yoël 3 :1) : “Je déverserai Mon esprit sur toute chair et vos fils et vos filles prophétiseront”.
(D’après Chaareï Orah, p. 57)
Vivre avec la Paracha
Vayigach

Des sentiments mitigés
Et Israël s’installa en terre d’Egypte, dans le pays de Gochen; ils en prirent possession et s’accrurent et se multiplièrent (Genèse 47: 27).
C’est ainsi que la Torah décrit le commencement du premier exil du peuple Juif quand Jacob et ses soixante-dix enfants et petits-enfants partirent de Terre Sainte et s’installèrent en Egypte.
A priori, ce fut un début agréable. L’un d’entre eux, Joseph, était, dans les faits, le dirigeant de l’Egypte. Gochen, la meilleure des terres de l’Egypte, était leur territoire. Et ils s’y installèrent réellement, trouvant le sol fertile pour leur croissance individuelle et communautaire, à la fois au sens matériel et au sens spirituel.
Mais le mot hébreu “Vayéa’hazou” exprimé dans le verset cité au-dessus, que nous avons traduit par: "et ils en prirent possession" se traduit également par: "et ils furent possédés par lui". Les deux interprétations sont citées par nos Sages: Rachi traduit “Vayéa’hazou” comme appartenant à la même racine que le mot “A’houzah”: "une propriété terrienne" et "une ferme"; le Midrach l’interprète comme signifiant que "la terre les tenait et s’était emparée d’eux… comme un homme maintenu par la force".

Le véhicule
Un paradoxe similaire décrit les sentiments de Jacob vis-à-vis de son nouveau foyer. D’une part, les dix-sept années de Jacob en Egypte sont considérées comme les meilleures années de sa vie. Par ailleurs, la Haggadah déclare que Jacob descendit en Egypte "forcé par le commandement divin".
Cette dernière semble contredire la description que font nos Sages de Jacob comme étant une “Merkavah” (chariot ou véhicule) de la Volonté Divine, dont "chaque membre était totalement imperméable aux préoccupations matérielles et ne servait que comme véhicule pour accomplir la volonté de D.ieu à chaque minute de son existence". Un tel "chariot" se serait-il senti "obligé" d’accomplir un commandement divin?
En réalité, cependant, c’est précisément parce que Jacob était si soumis à la volonté de D.ieu qu’il se sentit forcé dans son exil en Egypte. Car c’est là ce que D.ieu désire de nous: que nous nous investissions totalement dans la tâche de développer notre environnement en exil et en même temps ressentions le désir ardent d’en sortir.
Cette dualité définit notre attitude vis-à-vis de l’exil. D’un côté, nous savons que quelque hospitalier que soit notre pays d’accueil, et quel que soit l’épanouissement que nous avons pu y trouver, matériellement ou spirituellement, l’exil est une prison. Nous savons qu’il obscurcit notre vision spirituelle, entrave notre mission et compromet notre relation avec D.ieu. Car c’est seulement sur notre terre, avec le Temple comme résidence divine en notre sein, que nous pouvons percevoir la présence divine dans le monde, réaliser entièrement notre rôle de "lumière parmi les nations" et accomplir pleinement toutes les Mitsvot de la Torah.
Mais nous savons aussi que l’exil a un but. Nous savons que nous avons été dispersés de par le monde pour atteindre et influencer l’humanité toute entière. Nous savons que ce n’est que par les errances et les tribulations de l’exil que nous pouvons accéder aux "étincelles de sainteté et libérer ces petites parcelles de potentiel divin qui gisent réparties dans les coins les plus reculés du globe.
Aussi l’exil est-il une “A’houzah” dans les deux sens du terme: une propriété terrienne à exploiter et une prison que nous devons sans cesse chercher à fuir. En fait, il ne peut être que les deux en même temps. Si nous ne le considérons que comme une prison, nous n’arriverons pas à exploiter les extraordinaires opportunités qu’il renferme. Mais si nous évoluons confortablement dans cet environnement étranger, nous risquons d’en devenir une partie; et si nous devenions une partie de la réalité de l’exil, à D.ieu ne plaise, nous ne pourrions pas plus réussir dans nos efforts pour le développer et l’élever qu’une personne qui essaie de se soulever en enfonçant sa propre tête.
Aussi, quand Jacob conduisit les soixante-dix membres de sa maisonnée, les soixante-dix graines dont allait jaillir le peuple juif, vers le premier exil d’Israël, il le fit comme quelqu’un "forcé par le commandement divin". En tant que "chariot" divin, Jacob n’avait aucune volonté propre, aucun désir, aucune aspiration en dehors de la volonté de D.ieu. Mais il savait véritablement que vouloir aller en Egypte, ruinerait le véritable but de sa mission là-bas.
Il savait que le secret de la survie d’Israël en exil est le refus de se réconcilier avec lui, le refus de l’accepter comme un état de fait normal, et encore moins désirable, pour le Juif. Il savait que seul celui qui reste conscient de sa situation d’exil réussira à le maîtriser et à en faire "sa propriété terrienne" dont il pourra tirer une récolte spirituelle magnifique.

La peur ou la douleur ?
C’est là que réside le sens profond du commentaire de Rachi sur Genèse 46: 3-4 où la Torah relate la façon dont D.ieu apparut à Jacob dans son voyage vers l’Egypte et lui dit: "Ne crains pas de descendre en Egypte, car là-bas Je ferai de toi une grande nation; Moi-même Je descendrai avec toi en Egypte et Moi-même t’en ramènerai". Citant les mots "ne crains pas de descendre en Egypte", Rachi ajoute: "parce qu’il souffrait de la nécessité de quitter la Terre (Sainte)".
A leur niveau le plus simple, les mots de Rachi viennent expliquer la raison des craintes de Jacob et son besoin d’être rassuré par D.ieu. A un niveau plus profond, Rachi nous dit pourquoi cette peur n’était vraiment pas justifiée. D.ieu assura à Jacob qu’il n’avait pas besoin d’avoir peur de descendre en Egypte "parce qu’il souffrait de la nécessité de quitter la terre (Sainte)". Par le fait qu’il ressentait de la douleur devant la nécessité de quitter le saint environnement de la terre d’Israël, par le fait qu’il ne se sentirait jamais chez lui sur un sol étranger, cela constituait en soi la plus sûre garantie que lui et ses descendants survivraient à l’exil égyptien et émergeraient triomphants de ses défis.

Basé sur les discours du Rabbi, Chabbat Vayigach 5725
(12 décembre 1964) et à d’autres occasions
Le Coin de la Halacha
Quelle est l’importance des livres saints ?

Dans notre génération, il est particulièrement recommandé d’augmenter le nombre de bibliothèques, publiques et privées, où chacun pourra étudier les livres saints.
On placera et on utilisera des livres de Torah aussi bien dans le salon que dans la cuisine et dans les chambres des enfants. On veillera à posséder les livres de base que sont :
- le Sidour (livre de prières), le Ma’hzor (pour les jours de fêtes), la Haggada (pour Pessa’h) et la Méguila (pour Pourim)
- le Téhilim (Psaumes)
- le ‘Houmach (Pentateuque)
- le Tanya (livre de base de la ‘Hassidout)
- ainsi que des livres concernant les lois de la vie quotidienne. On encouragera les enfants à consulter les livres, même s’ils risquent de les déchirer, auquel cas on en rachètera d’autres.
On offre des livres saints à toute occasion, aussi bien aux enfants pour leur anniversaire qu’aux jeunes mariés (la jeune fille offrira à son fiancé le Talmud et le jeune homme offrira à sa fiancée un “ Sidour Korbane Min’ha ” ainsi que des livres de base sur les lois gouvernant la vie juive (mariage, Chabbat, cacherout).
On encouragera l’édition d’un maximum de livres, on veillera à ce qu’ils ne comportent pas d’erreurs d’impression, qu’ils soient agréables à lire, aussi complets solides et beaux que possible afin d’encourager le public à s’en servir ; si possible, on y ajoutera un marque-page.
On respecte les livres, on les embrasse après usage ; on les empile soigneusement selon leur importance (toujours le ‘Houmach au sommet, puis les autres livres de Torah, puis les livres de prières etc…) et on les range à leur place, à l’endroit.
Dans ses derniers moments sur cette terre, Rabbi Chalom Dov Ber Schneersohn, cinquième Rabbi de Loubavitch dit : “ Je m’en vais mais mes livres restent avec vous ”.

F. L.
(d’après Rav Yossef-Sim’ha Guinzbourg
et Rav Morde’haï Menaché Laufer)
De Recit de la Semaine
L’HORLOGE DU “HOZE” DE LUBLIN

Parmi les objets que Rabbi Yossef reçut en héritage à la mort de son père, le “’Hozé” (“le Voyant”) de Lublin, se trouvait une horloge.
Quand Rabbi Yossef rentra chez lui, à Tulchin, après les sept jours de deuil, il dut passer trois nuits dans une auberge car une pluie torrentielle avait inondé la région. Quand il voulut partir, l’aubergiste (appelons-le Zev) lui présenta la note : Rabbi Yossef ne pouvait pas payer. Il proposa à Zev de choisir un objet parmi ses biens. Celui-ci réfléchit et choisit l’horloge.
Zev la mit à l’heure, l’accrocha dans une chambre et, au début, apprécia son joyeux carillon qui sonnait fidèlement chaque heure. Puis le temps passa et ni lui ni sa femme n’y prêtèrent plus attention.

* * *

Des années plus tard, un ‘Hassid passa la nuit dans l’auberge, justement dans la chambre où était suspendue l’horloge.
Cette nuit-là, bien que Zev fût épuisé, il ne put trouver le sommeil: de la chambre du ‘Hassid, on entendait chanter et même danser, et ceci, particulièrement quand le carillon se mettait en branle. Zev décida que, le lendemain, il demanderait au ‘Hassid la raison de son exubérance et, content de son idée, il parvint à s’endormir.
Au matin, comme s’il avait lu dans les pensées de Zev, le ‘Hassid, frais et dispos comme s’il avait dormi toute la nuit, interpella Zev:
- “Vous vous demandez sûrement pourquoi j’étais si joyeux cette nuit mais moi je me demande comment il se fait que cette horloge soit en votre possession!”
Zev ne comprenait pas le lien entre les deux faits mais il raconta au ‘Hassid comment il avait acquis cette horloge.
“Je vois que vous ne comprenez pas quelle bonne affaire vous avez faite”, dit le ‘Hassid. Cette horloge a appartenu à mon Rabbi, le ‘Hozé de Lublin ! Dès que j’ai entendu le carillon, je l’ai reconnue!”
“Une horloge est une horloge” murmura Zev.
“Mais pas du tout! Je vais vous expliquer ce qu’est une horloge”, dit le ‘Hassid. Les gens pensent qu’une horloge ne sert qu’à leur indiquer quand se lever, quand manger et quand dormir. C’est aberrant! Les gens ont vécu des milliers d’années sans montre. Un animal n’a pas besoin d’une montre pour savoir quand s’adonner à ces activités futiles!”
“C’est vrai” reconnut Zev, dont la curiosité avait été éveillée.
“Une horloge rappelle aux gens qu’il existe une création qui est le temps dans ce bas monde. Quand D.ieu créa le monde, Il créa le temps. Les aiguilles qui indiquent les heures et les minutes nous rappellent à chaque instant que D.ieu donne la vie au monde entier et nourrit chaque créature”.
“Une montre ! Vraiment un objet magnifique!” s’enthousiasma Zev.
“Mais ce n’est pas tout”, continua le ‘Hassid. “La montre nous rappelle aussi que le temps passe et que nous devons y prêter attention. Tout objet perdu peut être retrouvé mais pas le temps: on ne peut jamais le récupérer. Quand le carillon sonne, c’est pour nous faire remarquer qu’une heure est encore passée: l’avons-nous utilisée pleinement, correctement?”
“Oh non ! Quand je pense à toutes les heures que j’ai perdues!” se lamenta Zev.
“Ne vous en faites pas”, dit le ‘Hassid d’un ton encourageant. “Savez-vous qu’en hébreu, le mot qui signifie “année” (“Chana”) peut aussi se traduire par ‘tour’ ? Imaginez quelqu’un qui marche avec insouciance le long d’une route dangereuse jusqu’à ce qu’il arrive devant un précipice. Là, soudain, il réalise où il se trouve et il tourne les talons pour revenir sur ses pas. Le simple fait de tourner, ou si vous voulez, de changer de direction avant même qu’il ne se soit effectivement dirigé dans le bon chemin, l’a sauvé du danger. En une heure, en un tour dans la bonne direction, chacun peut changer le cours de sa vie!”
“Je n’avais jamais vu les choses ainsi!” s’exclama Zev.
“Maintenant je vais vous dire quel est le véritable secret de cette horloge, l’horloge de mon Rabbi. Cette horloge est exceptionnellement exacte et parfaite, car en plus de toutes les vertus propres à chaque montre, elle possède un carillon particulièrement joyeux. Chaque fois qu’il se met en branle, c’est pour annoncer une bonne nouvelle, comme pour nous dire qu’une heure supplémentaire de l’exil est déjà passée et donc qu’on s’est approché d’une heure supplémentaire de l’époque de Machia’h.
“Alors, Reb Zev, dit le ‘Hassid, comprenez-vous pourquoi j’étais si joyeux la nuit dernière? J’ai entendu le carillon, je l’ai reconnu et je l’ai fêté avec enthousiasme!”

Traduit par Feiga Lubecki