Semaine 16

  • Chemini
Editorial
Vive le progrès !

C’est une grande chose d’avoir vécu des temps forts, qui marquent le cœur et l’esprit. C’est une chose merveilleuse que d’avoir conquis, une fois de plus, sa liberté et d’avoir brisé les chaînes de l’esclavage, matériel ou spirituel. En d’autres termes, Pessa’h a tenu ses promesses : il a été cette fête prodigieuse dont les effets ne cessent pas avec sa conclusion mais que nous emmenons avec nous tout au long de l’année pour en tirer les ressources de notre libération constante. Pourtant, alors même qu’elle se déroulait, c’est une entreprise nouvelle qui, parallèlement, commençait : le compte de l’Omer.
Compter les jours qui s’étendent entre Pessa’h, la sortie d’Egypte, et Chavouot, le Don de la Torah… Compter le temps… Quelle idée étonnante ! Tout se passe comme si ce simple compte changeait profondément l’existant, comme si un acte rituel, dont on a peine à mesurer la portée, donnait à notre vie un sens nouveau. Peut-on, en effet, affirmer avec plus d’éclat la grandeur de l’idée de progrès ? Souvenons-nous : les Juifs qui quittent l’Egypte, nouvellement libérés, sont alors au «49ème degré de l’impureté». Ils doivent pourtant, sept semaines plus tard, se tenir devant D.ieu au mont Sinaï, recevoir la Torah. Est-il seulement possible d’imaginer un tel passage ? Comment aller, en une si courte période, du plus profond des abîmes au sommet le plus élevé ? La tentation est grande de penser que, finalement, le défi est trop grand, peut-être insurmontable. Mais c’est ici que l’inattendu devient réalité : jour après jour, les Juifs gravissent les degrés du spirituel et, au jour dit, ils sont dignes de leur rencontre avec la Divinité.
Une idée nouvelle est ainsi apparue dans le monde : le progrès est possible. Les situations ne sont jamais figées et la volonté de l’homme, soutenue par l’aide Divine, est éternellement capable de réaliser des prodiges. Même si le point de départ paraît désespérément éloigné de celui d’arrivée, le voyage mérite d’être entrepris. Et ce voyage même est, en soi, une partie de la réponse. L’homme est enfin un être perfectible. Qui qu’il soit, il sait que tout peut toujours être amendé et que rien ne reste jamais fermé à qui le désire vraiment. Avec le compte de l’Omer, la liberté prend son plein sens. Les hommes savent à présent que plus aucune chaîne ne les entrave, même pas celles de l’histoire individuelle ou collective. Le progrès est né et il ne cessera plus d’enchanter la conscience des hommes. Quelle leçon pour notre temps ! Aujourd’hui, l’entreprise continue. De degré en degré, nous nous élevons jusqu’au but final qui nous ouvrira de nouveaux champs de l’histoire : la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
La Délivrance est la vraie vie !

Lorsque Jacob, sur l’ordre de D.ieu, descendit s’installer en Egypte avec sa famille, il se présenta devant le Pharaon. Celui-ci l’interrogea : «Quel âge as-tu ?» Et Jacob lui répondit : «130 ans ; les années de ma vie ont été peu nombreuses et mauvaises…» (Gen. 47 : 8-9).
A l’évidence, une question se pose : comment peut-on dire que 130 ans constituent un petit nombre d’années alors même que, depuis le déluge, la durée de vie d’un homme est, au maximum, de 120 ans ? C’est que Jacob, troisième de nos Patriarches, est profondément, essentiellement lié au troisième Temple, celui qui apparaîtra avec la venue de Machia’h. C’est pourquoi, durant toute son existence, il n’aspira qu’à cette sérénité éternelle que seule apportera la Délivrance. Aussi, alors qu’elle n’était pas encore concrètement arrivée, Jacob ne pouvait percevoir sa vie que comme incomplète, faite qualitativement d’années «peu nombreuses et mauvaises».
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parachat Mikèts 5752) H.N.
Vivre avec la Paracha
Chemini : Consumés

L’un des événements majeurs de la Paracha de Chemini est la mort des deux fils aînés d’Aharon, Nadav et Avihou qui «offrirent un feu étranger devant D.ieu qu’Il n’avait pas ordonné». Le résultat fut que «un feu sortit de D.ieu et les consuma et ils moururent devant D.ieu.»
De nombreux éléments du récit de la Torah et des commentaires de nos Sages indiquent que l’acte de Nadav et Avihou ne constituait pas une «faute» en soi. La Torah rappelle les paroles qu’adressa Moché à Aharon, immédiatement après la tragédie : «Voici ce que D.ieu a dit : ‘Je serai sanctifié par ceux qui Me sont proches’.»
Rachi, citant le Talmud et le Midrach, explique ainsi ces paroles :
Moché dit à Aharon : «Quand D.ieu a dit : ‘Je serai sanctifié par ceux qui Me sont proches’, je pensais que cela se référait à toi et à moi, maintenant je vois qu’ils sont plus grands que nous deux.»
Rabbi ‘Haïm ben Attar écrit dans son commentaire Ohr Ha’haïm, à propos de ce verset :
[La leur fut] une mort par un «baiser» Divin comme celui que connaît le juste parfait- [seuls] les justes meurent quand le « baiser» Divin les approche, alors qu’eux moururent en l’approchant… Bien qu’ils sentirent leur propre mort, ils ne se retinrent pas de s’approcher [de D.ieu] dans l’attachement, le délice, la délectation, la fraternité, l’amour et la douceur, au point que leur âme les quitta.

Les Maîtres de la ‘Hassidout expliquent que la vie, le fait de posséder une âme spirituelle dans un corps physique, implique un équilibre ténu entre deux forces puissantes dans l’âme : ratso (l’aspiration, la fuite) et chov (le retour, le fait de s’installer). Ratso est l’aspiration de l’âme à la transcendance, son désir de s’arracher à l’étroitesse de la vie matérielle et de parvenir à l’annulation, par la réunion avec son Créateur et sa Source. Cependant, en même temps, chaque âme humaine possède également le chov, un désir de concrétisation, d’engagement à vivre une vie matérielle et laisser son empreinte dans le monde matériel.
C’est la raison pour laquelle le verset appelle l’âme de l’homme «une lampe de D.ieu». La flamme d’une lampe aspire à monter, comme pour se libérer de la mèche et se perdre dans le flot d’énergie qui émane des cieux. Mais même lorsqu’elle tend vers le ciel, la flamme revient, resserrant son attache à la mèche et s’abreuve avec soif de l’huile de la lampe qui nourrit son existence continuelle de flamme individuelle. Et c’est cette tension entre deux énergies conflictuelles, ce vacillement entre le désir de se dissoudre et celui de revenir, qui produit sa lumière.
Il en va de même pour l’âme de l’homme. L’aspiration à échapper à la vie physique est contrebalancée par la volonté d’être et d’accomplir, qui, à son tour, est mise en cause par la soif de spiritualité et de transcendance. Quand l’implication de l’homme dans le monde menace de l’engloutir et d’en faire un prisonnier, le ratso de l’âme résiste en réveillant son désir de se lier à sa source en D.ieu. Et quand la spiritualité de la personne la menace de l’emporter vers les sphères du sublime, le chov de l’âme la rappelle à l’ordre, éveillant son désir pour la vie matérielle et les accomplissements concrets. Le conflit et la collision de ces deux tendances produit une flamme qui illumine son environnement d’une lumière divine : une vie qui cherche à échapper à l’appel de la terre, même lorsqu’elle y interfère, et se développe en harmonie avec la vision spirituelle de l’âme.
Ainsi, le «feu Divin» qui consuma les âmes de Nadav et Avihou est-il ce même feu qui existe à l’intérieur de chaque âme : le désir ardent de l’âme de se libérer du joug de la matérialité qui l’éloigne de sa Source. Nadav et Avihou «se rapprochèrent de D.ieu» en cédant au ratso de leur âme, en le nourrissant au point qu’il submergea son chov et qu’ils se libérèrent du cycle de la vie. Aussi leurs âmes brisèrent-elles littéralement leur lien avec leur corps et furent complètement consumées, dans une réunion extatique avec D.ieu.
Cependant c’était «un feu étranger», un feu que «D.ieu n’avait pas ordonné». L’homme n’a pas été créé pour consumer son être physique dans un feu d’extase spirituelle. Bien qu’Il ait imprégné notre âme d’un penchant pour la transcendance, D.ieu désire que nous ancrions notre ferveur dans la réalité. Il veut que nous «installions» cette aspiration dans notre moi physique, que nous l’absorbions et en faisions une partie de notre expérience quotidienne.
Après la mort de Nadav et Avihou, D.ieu ordonna spécifiquement que leur exemple ne soit pas reproduit :
Et D.ieu parla à Moché après la mort des deux fils d’Aharon qui s’étaient rapprochés de D.ieu et étaient morts : «…Parle à Aharon ton frère pour qu’il ne vienne pas tout le temps dans le Saint… pour qu’il n’y meure pas…»
Le Rabbi ajoute que le but de ce commandement divin n’était pas de limiter la transcendance de soi et le rapprochement de D.ieu accessible à l’homme. Au contraire, ce commandement nous a donné la force d’accommoder, en tant qu’êtres humains vivants, ce même feu qui consuma les âmes de Nadav et Avihou. C’est pourquoi le «feu étranger» des deux fils d’Aharon était également «étranger» dans un sens positif : un acte sans précédent qui introduisit une nouvelle approche dans le service de D.ieu par l’homme.
Là est le sens d’une remarque que l’on attribue au fondateur du mouvement ‘hassidique, Rabbi Israël Baal Chem Tov : «ce n’est que par une grande bonté de la part du Tout Puissant que nous restons vivants après la prière».
La prière consiste à transcender les enchevêtrements de la vie matérielle et à se rapprocher de son essence et de sa source en D.ieu. Quand un individu parvient à cette proximité, quand il prie réellement, il peut vivre un attachement à D.ieu de la force de celui qui «libéra» les âmes de Nadav et Avihou. Mais D.ieu nous a permis (par l’acte même de nous l’ordonner) d’inclure une expérience si sublime dans notre vie d’être humain.
Ainsi, le mouvement de va-et-vient constant de la vie est plus qu’un cycle qui court de l’existence à la disparition et inversement. C’est plutôt une spirale ascendante : l’homme échappe à son être individuel ; revenu sur terre, sa nature «fugueuse» se rattache à la réalité l’obligeant à se dépasser dans ses accomplissements concrets et grandir. Et le mouvement repart de plus en plus haut.
Le Coin de la Halacha
Pourquoi lit-on Pirké Avot, les «Maximes de nos Pères», chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?

Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. Grâce à ces paroles de nos Sages, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.
Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.
De Recit de la Semaine
Vérifiez la cacherout de la nourriture et de la boisson !

En 1984, nous étions un jeune couple idéaliste et nous attendions notre second enfant. Comme de coutume, nous avions écrit au Rabbi pour lui annoncer la bonne nouvelle et lui demander sa bénédiction pour que tout se passe bien.
Le temps passa mais nous ne recevions pas de réponse. Je continuai d’écrire chaque mois au Rabbi mais, pour une raison mystérieuse, le Rabbi ne répondait pas, ce qui nous inquiétait car pour notre premier bébé, le Rabbi avait envoyé sa bénédiction habituelle. Ceci me rendait nerveuse et je m’enhardis : j’écrivis au Rabbi que je ne me sentais pas prête à donner naissance à ce bébé s’il ne m’envoyait pas sa bénédiction ! Quelques jours avant l’accouchement, je reçus enfin une réponse du Rabbi ! J’étais soulagée, la lettre était celle normalement envoyée par le Rabbi dans pareille circonstance mais un détail nous intrigua : à la fin de la lettre, le Rabbi ajoutait : «Veillez à la cacherout de la nourriture et de la boisson !»
Nous étions atterrés. Il faut préciser que, tous les deux, nous sommes issus de familles ‘hassidiques habituées à respecter toutes les ‘Houmrot, tous les embellissements, toutes les exigences les plus recherchées dans un foyer ‘hassidique. Notre cuisine avait été conçue selon les critères les plus pointus dans ce domaine, nous habitions dans un quartier où tous les produits alimentaires étaient supervisés par des Rabbanim connus pour leur strict respect des lois et des surveillants rituels étaient chargés d’inspecter régulièrement les magasins alentour. Comment cette note du Rabbi pouvait-elle s’appliquer à nous ? Nous étions absolument bouleversés. Nous avons revu tout ce qui se passait dans notre cuisine mais sans résultat. Chaque ‘Hassid sait que, si le Rabbi écrit quelque chose, c’est qu’il faut en tenir compte. Nous avons discuté avec Rav Moché Yehouda Leib Landau, le Rav de Bné Brak, spécialisé dans tous les domaines de la cacherout. Il nous recommanda de ne plus utiliser un certain produit laitier et nous avons accepté avec joie pour résoudre ce problème. Nous étions sûrs que, maintenant, nous nous étions conformés au conseil du Rabbi : je donnai naissance à un beau bébé et tout allait bien.
Pour la troisième grossesse, j’écrivis à nouveau au Rabbi et attendis une réponse – cette fois-ci sans post-scriptum ! Mais comment décrire notre amertume quand nous reçûmes une nouvelle lettre du Rabbi avec une bénédiction certes mais encore une fois la petite note en bas de page !
Que pouvions-nous faire de plus ? Le fait que nous n’utilisions plus cette marque particulière de produits laitiers nous compliquait la vie, les gens autour de nous ne comprenaient pas que nous privions notre bébé de ce lait spécialement conçu pour les nourrissons allergiques : j’en étais réduite à concasser moi-même des amandes pour pallier à ses problèmes alimentaires et ceci me causait un travail supplémentaire considérable. Mais le résultat ? Que se passait-il dans notre cuisine qui ne satisfaisait toujours pas le Rabbi ?
Nous avons discuté de notre problème avec d’autres ‘Hassidim et quelqu’un nous conseilla d’en parler avec Reb Zushe Wilamovsky, celui qu’on appelait «le Partisan» pour ses faits d’armes pendant la guerre. Mon mari alla en discuter avec lui et il raconta qu’un autre couple très pratiquant avait reçu la même réponse que nous des années auparavant et qu’eux aussi n’avaient pas compris où se situait la faille. Ils avaient alors réalisé que la dame était une descendante du saint Rabbi Chalo qui avait demandé dans son testament que ses descendants mâles ne consomment pas de viande de dinde. Son père et ses frères étaient scrupuleux à ce sujet et la dame avait alors décidé à la suite de cette lettre du Rabbi de se conformer elle aussi à cette injonction.
Mais ceci ne pouvait pas s’appliquer dans notre cas puisque ni l’un ni l’autre, nous n’étions des descendants du saint Chalo.
Rav Landau nous suggéra alors de veiller à nous laver les mains rituellement même après une courte sieste durant la journée, ce qui rendrait la nourriture que nous touchions par la suite plus pure. Bien entendu, nous avons accepté mais le problème demeurait : dans sa lettre suivante, le Rabbi répétait sa requête !
Ce n’était plus une vie ! Nous nous abstenions de manger chez les autres ou même à des mariages ou des réceptions, nous nous imposions toutes sortes de difficultés et la réponse restait la même ! Nous étions immensément déçus !
Ma belle-sœur se fiança et je m’occupais de lui acheter tout ce dont elle avait besoin dans sa cuisine afin qu’elle dispose de l’équipement électro-ménager le plus en pointe. Je choisis les meilleurs articles selon ce qui était disponible en Israël à cette époque. Elle vérifia tout ce que je lui apportais et, quand elle vit le tamis à farine, elle s’indigna : «Qu’est-ce que c’est ?» Je craignis que cela ne soit pas assorti au reste de sa vaisselle mais, à mon avis, ce n’était vraiment pas très grave…
- Pourquoi n’as-tu pas acheté un tamis avec de la soie ?
- De la soie ? répondis-je de la manière juive la plus typique, avec une autre question.
- On voit que tu n’es pas à la page ! Tu ne sais donc pas que pour tamiser la farine, il existe maintenant des tamis bien plus fins – avec de la soie – que celui que tu m’as acheté !
En entendant cela, je décidai bien évidemment d’acheter un tel tamis avec de la soie pour moi aussi. La même semaine, je reçus une lettre du Rabbi. Nous l’avons ouverte avec appréhension mais, à notre grande joie, cette fois-ci, c’était la lettre habituelle de bénédiction pour un accouchement facile et en son temps. Je ne peux pas vous décrire notre soulagement !

Quand vous recevez une réponse du Rabbi, sachez qu’elle vous est spécialement destinée, que ce n’est pas une réponse toute faite car le Rabbi sait exactement ce que vous avez besoin de corriger pour que sa bénédiction puisse vous parvenir. C’est à nous d’être fiers du privilège qui nous est ainsi accordé.

P. Zarchi
traduit par Feiga Lubecki