Semaine 45

  • Toledot
Editorial
Retour de congrès

Il existe des évènements dont la régularité parvient parfois à dissimuler l’importance. Ainsi, d’année en année se déroule à New-York le Congrès international des envoyés du Rabbi. Il avait lieu Chabbat dernier. Lorsqu’on évoque une telle rencontre, des images familières passent devant les yeux: retrouvailles émouvantes, expériences échangées, décisions pour l’avenir. Autant d’expressions d’un mouvement dont le dynamisme de la structure ne se dément jamais, qui n’envisage son devenir que comme un projet toujours en cours d’accomplissement.
Cependant, dire tout cela c’est peut-être oublier l’essentiel, c’est ne pas rendre compte d’une atmosphère que les mots ont du mal à décrire. Imaginons une grande salle de banquets où trois mille personne sont réunies. Les tables dressées accueillent les délégués du Rabbi venus de tous les continents et quelques invités qu’ils ont emmenés avec eux. Le ton est à la joie et à la confiance que donne le sentiment d’unité profonde. Alors intervient le moment solennel. L’un après l’autre les pays représentés sont appelés et, à cet appel, les délégués du pays concerné se lèvent à leur place, attestant par leur présence d’une action de toujours. D’année en année, le nombre de pays ainsi évoqués grandit et chacun peut voir dans les yeux de tous une double lumière: celle de l’enthousiasme d’une œuvre et celle d’un rêve en mouvement.
Alors, pris par le bonheur d’être les acteurs d’un changement essentiel du monde, les délégués entreprennent une danse qui bouleverse le soigneux ordonnancement des tables et proclame que la joie a décidément pour nature de briser les barrières. Lorsque chacun retourne à sa place, c’est plus qu’un sentiment diffus qui subsiste. C’est comme une chaleur dont le rayonnement serein s’étend à partir du cœur et chasse toute la froideur du monde. Comme le veut la règle qui gouverne toute chose, le congrès s’est achevé mais ce qu’il incarne est à présent actif aux quatre coins du monde. Au travers de l’enseignement du Rabbi, la lumière du judaïsme s’élève et grandit, vivace éternité.
Etincelles de Machiah
Machia’h et l’arc-en-ciel

Le Zohar (I.p.726) déclare que l’apparition de l’arc-en-ciel est un des signes des temps de Machia’h. Quel est le rapport entre ces notions?
Il a été enseigné (Abravanel sur Béréchit 9: 12) que l’arc-en-ciel est un signe de purification et de raffinement. C’est dans ce sens qu’il put apparaître après le Déluge. En effet, auparavant, les nuages étaient constitués d’une matière plus grossière et opaque qui ne réfléchissait pas la lumière du soleil. Après que le Déluge ait purifié le monde, ceux-ci devinrent plus raffinés: ils reflétèrent la lumière et l’arc-en-ciel apparut.
C’est là le rapport avec l’ère de Machia’h. En ce nouveau temps, le monde matériel tout entier atteindra le degré de raffinement le plus élevé.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch,
Chabbat Parchat Noa’h 5721)
Vivre avec la Paracha
Toledot : la ressemblance

Il y a bien longtemps vivait un homme qui représentait le paroxysme de l’amour. Il aimait D.ieu et toutes Ses créatures. Sa maison était ouverte à tous les voyageurs, son cœur à chaque homme dans le besoin. C’est de cet homme dont l’attribut divin d’amour dit : “ tant qu’il était là, je n’avais rien à faire car il faisait mon travail à ma place ” ( Sefer HaBahir).
Cet homme avait deux fils. L’aîné était affectueux, sensuel et extraverti. Le second fils, cependant, possédait plutôt une nature introvertie : un homme silencieux et réservé, doué d’une auto discipline qui tendait vers la rigidité. La différence entre eux s’accentua quand ils se marièrent et eurent des enfants : le fils aîné engendra un clan célèbre pour sa nature passionnée et son hospitalité démonstrative, alors que le second fils eut lui-même un fils qui prit de lui une sévérité poussée à l’extrême, devenant un guerrier sans cœur et un meurtrier de sang-froid. Le fils aîné est le fils de son père, disait-on. Le deuxième fils semblait avoir acquis sa nature ailleurs.
On n’avait pas réussi à faire la différence entre la similitude et l’apparence.

Les cyniques de l’époque
La Parachah Toledot (Genèse 23-26) qui relate la vie et la progéniture d’Its’hak commence par ces mots : “ voici la descendance d’Its’hak, fils d’Avraham ; Avraham engendra Its’hak.
Mais Its’hak a déjà été identifié comme le fils d’Avraham, pourquoi le verset répète-t-il qu’ Avraham engendra Its’hak ? Rachi (Rabbi Chlomo Yits’haki, 1040-1105, auteur des commentaires de la Torah les plus fondamentaux) explique :
Les cyniques de la génération disaient que Sarah était devenue enceinte d’Avimélè’h puisqu’elle n’avait pu réussir à enfanter pendant toutes ces années passées avec Avraham. Que fit D.ieu ? Il fit en sorte qu’Its’hak ressemble à Avraham, afin que tous puissent attester qu’Avraham avait engendré Its’hak. C’est là le sens du verset : Its’hak (est certainement) le fils d’ Avraham (puisqu’il y a la preuve que) Avraham a engendré Its’hak.

L’explication de Rachi présente plusieurs points étonnants :
a) La Torah établit clairement qu’Avimélè’h ne toucha pas Sarah. Pourquoi devrions-nous être concernés par ce que les cyniques de cette époque pouvaient dire ?
b) Par ailleurs, si la Torah, pour quelque raison que ce soit, trouve nécessaire de faire allusion à cette preuve, n’aurait-elle pas dû le faire lors du récit de la naissance d’Its’hak ? Pourquoi attendre le récit de son mariage et la naissance de ses enfants, plusieurs décades plus tard ?
c) L’implication en est que la ressemblance entre Avraham et Its’hak est un événement extraordinaire orchestré par D.ieu pour attester de la paternité d’Its’hak (Que fit D.ieu ? Il forma l’apparence d’Its’hak…) Mais n’est-il pas tout à fait naturel qu’un fils ressemble à son père ?

Les trois éléments patriarcaux
Nous Sages nous disent que les trois Pères de la nation juive, Avraham, Its’hak et Yaakov incorporent les trois attribut de ‘Hessed (amour, bienveillance), Gvourah (sévérité, rigueur) et Tiférèt (harmonie et vérité). Le ‘Hessed d’Avraham était illustré par son amour prodigieux pour D.ieu, sa campagne pour les condamnés, et ses efforts durant toute sa vie pour éclairer ses prochains. La Gvourah d’Its’hak s’exprimait dans sa grande crainte de D.ieu, et sa parfaite auto discipline. L’attribut de Yaakov, Tiférèt, était son aptitude à l’harmonie et à la vérité : sa capacité à intégrer les différentes qualités de son âme en un tout harmonieux. Dans Yaakov, les aspirations au ‘Hessed et à la Gvourah se réunissaient dans un caractère qui embrassait tout et supportait tout, un caractère avec la cohérence et la détermination qui sont les caractéristiques de la vérité. C’est pourquoi Yaakov put persévérer et prospérer sous une diversité de conditions qu’il devait rencontrer dans sa vie, incluant ses années en Terre Sainte sous la tutelle des grands érudits de son temps, son emploi au service de Lavan le fourbe, sa confrontation avec Essav et son séjour dans l’Egypte dépravée.
De nos trois Patriarches, nous avons hérité ces trois composantes du caractère juif. D’Avraham nous tenons notre philanthropie légendaire et notre conscience sociale. A Its’hak nous devons notre crainte de D.ieu innée et notre retenue morale. Yaakov imprègne nos âmes du don de la vérité : notre engagement à l’étude et la connaissance de la Torah, la force ultime qui harmonise les différentes tendances de l’âme et de la création et le secret de notre persévérance à travers les convulsions de l’histoire.
Comme le démontre l’exemple de Yaakov, ’Hessed et Gvourah ne s’excluent pas mutuellement. Bien au contraire, appliqués correctement, chacun de ces sentiments complète et renforce l’autre. En fait, un ‘Hessed qui ne serait pas diminué par la Gvourah et une Gvourah qui ne serait pas tempérée par le ‘Hessed est contraire à leurs desseins.
Pour donner un exemple: un père qui serre son enfant dans ses bras constitue expressément un acte de ‘Hessed ; mais s’il venait à serrer son enfant avec une force de l’intensité de son amour, il l’écraserait fatalement, à D.ieu ne plaise. Ainsi pour que son acte de ‘Hessed soit véritablement d’amour, il lui faut le réprimer avec de la Gvourah. La même chose s’applique à chaque forme d’amour ; il faut un courant de respect mutuel, de pudeur et de retenue dans les relations, faute de quoi il risque de se désintégrer en un pseudo amour intéressé et aliénant qui est tout sauf le rapprochement des individus.
Par le même biais, l’application de la justice est un comportement classique de Gvourah, dont le but est d’établir une société civilisée. Mais un code légal et pénal qui n’est pas temporisé par de la compassion écrasera la société qu’il veut préserver. Ou bien, pour citer encore un exemple de Gvourah, la soumission à l’autorité est cruciale dans le fonctionnement de n’importe quelle institution commune, que ce soit une armée, une usine ou une classe ; mais un soldat, un ouvrier ou un étudiant seraient intimidés au point d’en devenir incompétents si leurs supérieurs n’entretenaient avec eux une certaine relation d’affinité et de compassion.
C’est la raison pour laquelle l’harmonie et la vérité sont les deux facettes de Tiférèt. Un amour sans réserve n’est pas plus qu’un amour retenu, pas plus qu’une justice sans concession ne l’est plus qu’une justice mitigée de compassion. Bien au contraire quelque chose est plus vrai et durable quand ses contraires sont dépassés et unis pour valider ses propres principes et desseins.

Ecrit sur le visage
C’est là que réside le sens profond de la spéculation des cyniques de cette génération quant à la paternité d’Its’hak.
Ichmaël, le fils d’Avraham enfanté par la servante égyptienne de Sarah, Agar, leur paraissait être le véritable fils d’Avraham : gai, extraverti et généreux, il était apparemment fait du même moule qu’Avraham ; en fait, il possédait encore plus de passion que son père. Par contre, l’introverti et stoïque Its’hak semblait difficilement être le fils de son père.
Et puis Its’hak se maria et engendra des fils jumeaux. Le plus jeune, Yaakov, était un homme doux, studieux et l’on pouvait discerner en lui à la fois la réserve de son père et la bonté de son grand-père. Mais Essav, l’aîné, était un produit absolu de la sévérité de son père, tout comme Ichmaël avait hérité et poussé à leur extrême les passions de son père. La disparité entre père et fils semblait maintenant plus délimitée : le véritable héritier d’Avraham en ‘Hessed était Ichmaël alors que la Gvourah d’Its’hak, plus tard amplifiée par Essav, représentait une nouvelle tendance anti avrahamique, parmi ses descendants.
La vérité est tout autre. La passion d’Ichmaël était une corruption et non une amplification de l’amour d’Avraham, tout comme la cruauté d’Essav était une perversion de l’introversion de son père. Le seul et véritable héritier d’Avraham était Its’hak, car bien que ce dernier fût émotionnellement différent voire contraire à son père, ils étaient tous deux impliqués à utiliser leurs caractères respectifs au service de leur Créateur plutôt qu’à la satisfaction de leurs tendances personnelles. En fait ce n’est que par Its’hak qu’Avraham pouvait se développer en Yaakov, la synthèse parfaite de l’amour et de la crainte, de la dissémination et de la retenue, de la passion et de l’implication.
Et c’est de cette vérité que D.ieu attesta quand Il fit le visage d’Its’hak identique à celui d’Avraham. Ce n’était pas un phénomène surnaturel, puisque la ressemblance d’Its’hak à Avraham n’était pas extérieure : extérieurement ils étaient bien différents, mais elle tenait à leur caractère et à leur tempérament, à l’essence même de leur volonté et de leur âme. Néanmoins, D.ieu désirait que leur apparence reflète cette similitude quintessencielle et la Torah nous le relate pour en faire une leçon éternelle : en tant qu’enfants d’Avraham, Its’hak et Yaakov, nous avons aussi en nous la force d’unir nos caractères différents en un but intrinsèque commun et exprimer cette unanimité dans notre dessein sur la face de notre vie.
Le Coin de la Halacha
Comment la Torah peut-elle ordonner d’être joyeux ?

Dans les Psaumes (86. 4), le roi David demande à D.ieu : “ Réjouis l’âme de Ton serviteur ”. Dans la prière de la “Amida”, nous demandons : “ Eloigne de nous peines et soucis ”. Cependant, dans ce domaine, il ne suffit pas de prier, il faut également agir.
Le Rabbi Tséma’h Tsédek affirme que les ordres de la Torah n’ont été formulés que pour des domaines où s’applique le libre-arbitre. Il explique également que puisque l’homme est maître des trois “vêtements” de son âme que sont la pensée, la parole et l’action, c’est à lui de choisir de ne penser qu’à des sujets joyeux et ne pas se complaire dans la tristesse. A lui d’agir comme s’il était joyeux même s’il ne ressent pas encore vraiment la joie.
Ainsi la Torah ordonne aux soldats qui partent en guerre : “ Que leur cœur ne s’emplisse pas de crainte ! ” D’ailleurs le Rambam (Maïmonide) et le “Smag” comptent cet ordre parmi les 613 Mitsvot. Que peut donc faire celui qui tremble et a peur en voyant la guerre ?
Même si l’homme n’est pas entièrement maître de ses sentiments, il a une autorité complète sur ses actes effectifs ainsi que sur ses pensées et ses paroles. En chassant de sa pensée toute allusion à la peur, en tournant son esprit vers des pensées positives, il pourra anesthésier provisoirement sa peur qui finira par disparaître. C’est pourquoi le Rambam continue : “ Quiconque commence à réfléchir (aux dangers de) la guerre et ressasse des pensées qui lui font peur, transgresse un commandement négatif ”.
Rabbi Chnéour Zalman écrit dans le Tanya (chap. 26) : “ On ne peut vaincre le mauvais penchant que par l’empressement qui provient lui-même de la joie et du cœur purifié de tout souci et de toute tristesse : ainsi, si deux hommes combattent et tentent de se faire tomber, c’est celui qui ressent de l’enthousiasme qui vaincra, même s’il n’est pas le plus fort physiquement ”.
Le Rabbi commente ainsi les versets des Psaumes (126. 2 et 3) : “ Alors – quand Machia’h viendra – les peuples, - du monde - diront – à propos du peuple juif – l’Eternel a agi grandement envers ceux-là – D.ieu a fait preuve d’une grande bonté et les Juifs répondront – savez-vous pourquoi l’Eternel a agi grandement envers nous ? Parce que nous étions joyeux !
La joie vraie et sincère amène la délivrance.

F. L. (d’après Rav Yossef Guinzbourg et Rav Alter-Eliahou Friedman)
De Recit de la Semaine
EN SIBERIE AVEC REB ACHER

Durant la seconde Guerre Mondiale, je combattis avec courage dans l’Armée rouge et j’acquis de nombreuses médailles ; je devins même colonel et l’on me nomma responsable de l’approvisionnement pour tout un régiment.
Un jour, après la guerre, je rencontrai un de mes anciens compagnons qui avait, lui aussi, gravi les échelons et était devenu général. On avait même mis un avion à sa disposition ! Il me prit à part dans un endroit sûr et murmura à mon oreille : “ J’ai l’intention, une de ces nuits, de profiter de mon avion et de quitter définitivement l’Union Soviétique pour me rendre aux Etats-Unis. Veux-tu te joindre à moi ? ”
A l’époque, je gagnais bien ma vie, j’étais marié et je ne voulais pas prendre des risques. J’ai donc refusé sa proposition.
Peu de temps après, on frappa à ma porte au milieu de la nuit : des inspecteurs du K.G.B. me jetèrent en prison à la suite d’une dénonciation mensongère d’un de mes anciens employés qui prétendait que je falsifiais les comptes de mon entreprise.
Je fus condamné, à l’unanimité, à dix ans de prison. Un des gardiens m’informa alors qu’un certain général avait tenté de quitter l’U.R.S.S. pour les Etats-Unis à bord de son avion de fonction. Je compris de suite de qui il s’agissait. Ce que je ne savais pas, c’est que ce même “ami” - général, lors de son procès, m’avait accusé d’avoir comploté avec lui ! Sans procéder à une enquête, le président du tribunal me fit sortir de prison pour m’annoncer sèchement qu’une telle abomination me valait quinze années supplémentaires de détention…
Le voyage vers la Sibérie fut horriblement long : dans des wagons fermés à clé, sans lumière, nous étions entassés les uns sur les autres, avec très peu d’eau et de nourriture, dans des conditions d’hygiène épouvantables. A notre arrivée au “camp de travail”, je fus envoyé dans une baraque où se trouvaient déjà des brigands, des assassins et toutes sortes d’antisémites qui me prirent aussitôt comme cible de tous leurs coups bas : ils m’injuriaient, n’arrêtaient pas de regretter qu’Hitler n’ait pas terminé sa “mission”, mais eux se chargeraient de moi : cette nuit même, ils me tueraient !
Ils avaient beaucoup de défauts, mais là, je compris qu’au moins ils ne mentaient pas !
Quand la nuit tomba, j’avais terminé ma journée de travail, mais je savais que, bientôt, mes “compagnons” reviendraient eux aussi du travail : je me cachais en me recroquevillant à même le sol dans la paille et la boue. J’avais déjà commencé à compter les quelques minutes qui me restaient à vivre : j’étais engourdi par le froid et la peur et soudain, oui, là, je découvris que D.ieu existe. C’était mes premières étincelles d’un retour à D.ieu.
Toujours tapi dans l’ombre, j’attendais que la grosse porte en bois s’ouvre et soudain j’entendis un grand bruit, un tumulte inexplicable et un mouvement de foule incontrôlé. C’était sûrement mes assassins qui arrivaient mais… rien ne se passa. Je levai lentement la tête et vis des policiers soviétiques armés de chaînes et de haches qui criaient que tous les anciens prisonniers devaient monter immédiatement dans les camions qui les transféreraient dans un autre camp.
C’est ainsi que D.ieu m’accorda la vie une fois de plus… J’aurais voulu chanter, remercier, acclamer le Maître du monde, mais je ne savais pas encore comment le faire…

* * *

Par la suite, dans un autre camp, j’eu le mérite et le privilège de faire la connaissance de Reb Acher Sassonkin, un ‘Hassid de Loubavitch, très méticuleux dans l’observance des commandements. Comme il refusait de se rendre au travail le Chabbat, les surveillants le recherchaient partout puis il était régulièrement condamné à cinq jours au cachot, un endroit ignoble, froid, humide où grouillait la vermine. Mais Reb Acher n’en avait cure ; finalement, ce sont les surveillants qui se lassèrent et ne prirent plus la peine de le punir.
J’étais fasciné par Reb Acher et la force de ses convictions. Un jour, je décidai que moi aussi je ne travaillerai plus le Chabbat : après tout, je suis aussi un Juif.
Ce Chabbat-là, je prétendis être malade. Quand les surveillants remarquèrent mon absence à l’appel, ils revinrent au camp en criant : “ Qui est Na’hman Rosman ? Il doit se présenter immédiatement à la Direction Générale ! ” Avant même que j’ai pu me lever, Reb Acher se leva, prétendant qu’il s’appelait Na’hman Rosman et suivit les surveillants jusqu’au bâtiment principal.
Abasourdi, j’attendais avec angoisse la suite des événements, mais Reb Acher revint bien vite, avec un grand sourire et me dit : “ Aimer un autre Juif, c’est aussi une grande Mitsva et s’il est possible d’aider un autre Juif, cela vaut la peine d’être prêt à donner sa vie ! ”
Je m’assis en face de lui et lui demandai pourquoi il souriait alors qu’il revenait d’un procès.
“ Quand les policiers sont venus, cela m’a rappelé l’histoire de deux jeunes gens qui rentraient tard le soir chez eux : l’un avait ses papiers en règle mais l’autre non. Lorsqu’ils furent arrêtés par la police, celui dont les papiers étaient en règle se mit à courir : en voyant cela, les policiers pensèrent qu’il n’avait pas de papiers et le poursuivirent. Evidemment, pendant ce temps, l’autre étudiant de Yechiva en profita pour disparaître. Quand les policiers rattrapèrent le premier jeune homme, ils furent surpris de constater qu’il était parfaitement en règle. “ Pourquoi alors t’es-tu enfui ? ” demandèrent-ils et il répondit : “ J’ai toujours eu peur des uniformes… ”
- “ C’est ainsi que j’ai pris ta place, continua Reb Acher, ce qui t’a permis de te cacher. Moi, les policiers m’ont amené à la Direction Générale puis ils sont partis. Il y avait une longue queue, très longue. Je me suis mis tout au bout. Quand mon tour est arrivé, le juge m’a dit : “ Rosman, debout ! ” J’ai montré alors ma carte avec mon nom, Sassonkin. Le juge, surpris, m’a demandé pourquoi j’étais là et j’ai répondu que les policiers m’avaient amené, je ne savais pas pourquoi. Le juge a regardé ma carte et m’a dit de retourner à ma baraque…

Reb Na’hman Grossman

* * *

Quand j’ai fait connaissance de Reb Na’hman Grossman à Tachkent dans les années soixante, il était déjà devenu un vrai ‘Hassid.

Rav Betsalel Schiff
traduit par Feiga Lubecki