Semaine 6

  • Téroumah
Editorial

Quel bonheur ?

On va, on court, on se bouscule. Tout le monde en parle et chacun se plaît à raconter ses prouesses de la période. C’est le grand moment du déferlement vers les comptoirs ouverts. Les chiffres le diront clairement un peu plus tard : la consommation aura été, n’en doutons pas, à la hauteur des espérances en ces temps où, au travers des mille objets proposés à la convoitise par les commerçants, c’est le bonheur qu’on solde. Un tel bonheur... Peut-être le plus étonnant est-il qu’il y ait encore des acheteurs. Car c’est ainsi que le monde fonctionne aujourd’hui. A une production constante doit répondre une consommation incessante sous peine de voir la si belle machine s’arrêter. Et tant pis si, pour parvenir à ce résultat, il faut toujours inventer des objets que nul ne demandait vraiment et dont il faut, habilement mais urgemment, convaincre du besoin. Et si nous nous donnions le temps... Si, cette année, nous prenions juste un peu de recul par rapport à cette hâte qui, souvent, empêche de réfléchir au sens de nos actes...
C’est peut-être l’occasion de regarder la vie, le monde d’une manière différente. Sommes-nous réellement ici-bas pour cette sorte de course à l’oubli qui nous est proposée ? Ou pouvons-nous revenir à une conscience meilleure du réel qui nous entoure ? En d’autres termes, avons-nous la capacité de façonner le monde ou acceptons-nous d’être modelés par lui ? La place de l’homme est pourtant bien claire, établie par la Parole Divine. L’homme est le couronnement de la création, à la fois son but et son moteur. C’est lui qui, créé alors que tout a déjà été comme mis en place pour l’accueillir, donne sens aux choses. C’est lui qui fait avancer l’ensemble de l’univers et de ses habitants par ses actes de chaque jour.
L’homme réalise ainsi un grand projet. Et ce dernier est si déterminant qu’il doit faire en sorte de ne pas s’en laisser détourner. Et l’enjeu est si essentiel que l’absolue liberté humaine fait que d’autres options doivent toujours exister, brillantes et séductrices. Mais l’homme est cette créature qui a la capacité du choix raisonné. Entre la simple satisfaction du bonheur en solde et l’éternité, il peut décider. Et même si l’un n’exclut pas forcément l’autre, il sait aussi où se porte l’accent. Après tout, n’est-ce pas d’aboutissement qu’il est question ici, celui de la Délivrance ?

Etincelles de Machiah

Un rire infini

Faisant référence à la venue de Machia’h, un verset des Psaumes (89 : 21) annonce : “Alors, notre bouche sera pleine de rire”. Si une telle phrase exprime, de manière évidente, l’exaltation qui apparaîtra dans la nouvelle ère, elle n’en demande pas moins explication. En effet, dans la mesure où la venue de Machia’h s’accompagnera d’une intense révélation Divine, d’une lumière sans précédent, quelle importance peut avoir le fait que “notre bouche sera pleine de rire” ?
Ce qui est désigné n’est, en fait, rien d’autre que la joie et le plaisir de D.ieu. C’est ce qui explique la pertinence de ce “rire”. Or cette joie sera alors immense car elle sera provoquée par deux éléments essentiels : le parachèvement de la mission confiée au peuple juif et la prise de conscience de tous que seul D.ieu constitue la véritable existence.
(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 68)

Vivre avec la Paracha

Terouma : Le Temple chez soi

La Maison Juive est appelée «un petit Sanctuaire». Elle possède les qualités du Temple, une résidence pour D.ieu. La lecture de la Paracha de cette semaine décrit le Sanctuaire que Moché et le Peuple Juif allaient construire. Ils l’édifièrent avant de quitter la région du Sinaï et le transportèrent avec eux pendant leur périple de quarante ans dans le désert. Puis ils l’emmenèrent en Terre d’Israël. Ce n’est que plus tard qu’il fut remplacé par le Temple construit à Jérusalem.

Dans le commandement de construire le Sanctuaire, D.ieu dit à Moché : «Ils Me feront un sanctuaire et Je résiderai dans eux».
D.ieu ne dit pas «Je résiderai dans lui», dans le Sanctuaire, mais «dans eux». Nos Sages expliquent que cela signifie que D.ieu réside dans le cœur de chaque Juif. Chacun, homme, femme ou enfant est sacré, et la maison dans laquelle il réside l’est également.
Le Sanctuaire ou le Temple possédaient trois caractéristiques fondamentales qui peuvent potentiellement s’exprimer dans chaque maison juive.
Tout d’abord, c’était une source de connaissance de Torah : dans le Saint des Saints étaient déposées les Tables de la Loi que Moché avait transmises au Sinaï. De plus, quand Moché termina l’écriture du rouleau de la Torah, une copie en fut placée dans le Saint des Saints.
En second lieu, le Temple était appelé «Maison de prières». C’est la porte du Ciel car toutes les prières dirigées vers D.ieu passent par cette Maison. A travers les générations, quel que soit le pays où ils vivent, les Juifs se tournent vers le Temple de Jérusalem quand ils prient. A l’intérieur du Temple, le service accompli chaque jour exprimait une dévotion absolue au Divin, l’essence de la prière.
Enfin, dans le Temple se trouvait la Table d’Or sur laquelle étaient posés douze pains. Cela exprime le fait que D.ieu envoie un flot de bénédictions dans le monde pour pourvoir aux besoins de chaque créature. Ce flot de bénédictions passe par le Temple puis il irradie vers l’extérieur, vers le monde, donnant de la nourriture et de la subsistance à tous.
Chacune de ces trois idées possède un lien avec notre foyer.
La maison juive est un centre potentiel pour l’étude de la Torah, où le mari, la femme et les enfants consacrent régulièrement du temps pour explorer les enseignements de la Torah. Les livres juifs font partie du mobilier. En fait, de nombreuses personnes vont même jusqu’à organiser des groupes d’étude ou des cours de Torah chez eux.
Et qu’en est-il de la prière ? Il est sûr que les offices se passent principalement à la synagogue. Mais de nombreuses prières sont prononcées à la maison : les prières du matin, les bénédictions avant et après manger et le Chéma avant de se coucher. La maison est le lieu idéal pour prier pour ceux qui ne vont pas à la synagogue, quelles qu’en soient les raisons.
D.ieu répand des bénédictions dans le Temple d’où elles se déversent dans le monde entier. La Bénédiction Divine qui se répand depuis la maison juive est également partagée à travers une hospitalité chaleureuse et des actes de bienfaisance et de gentillesse. La boîte de Tsedaka (réservée à la charité) placée à la maison exprime ce concept ainsi que tous les actes de générosité qui y ont lieu et qui atteignent aussi l’extérieur.
C’est ainsi que la maison juive est réellement «un petit Sanctuaire». Tout comme le Temple, c’est un centre de Torah, de prière et de générosité. A la maison, comme dans le Temple, réside la Présence Divine.

Les couleurs de l’âme
Le monde que D.ieu a créé pour nous est très beau. L’un de ses traits particuliers est la couleur : le ciel bleu et la mer d’un bleu plus profond, les montagnes vertes et marron, les couchers de soleil écarlates et la myriade des autres couleurs qui nous entourent à chaque pas de notre vie. Les couleurs possèdent également une signification spirituelle. On peut en avoir un petit aperçu en observant leur apparition dans la Paracha, dans la description de l’édification du Sanctuaire.
Le Sanctuaire, soigneusement construit par Moché et le Peuple Juif, tout comme plus tard le Temple, constituaient un espace sacré avec des niveaux de sainteté croissants : la Cour extérieure puis une chambre fermée dans laquelle se trouvait la Menorah en or et la chambre la plus intérieure, le Saint des Saints où se trouvait l’Arche en or, contenant les deux blocs de saphir sur lesquels étaient gravés les Dix Commandements.
Les murs du Sanctuaire étaient fabriqués de panneaux de bois recouverts d’or, soutenus par le bas par de lourds blocs d’argent. Ces murs étaient presque entièrement recouverts d’une tente faite de tissus de laine. En outre, la Torah, au commencement de la Paracha, nous donne la liste des matériaux constituant les habits des Prêtres: de la laine bleue, de la laine violette, de la laine écarlate, du lin blanc…

Des couleurs ! Que signifient-elles ?
Les enseignements de la ‘Hassidout expliquent que le Sanctuaire n’était pas seulement une construction matérielle, destinée à prendre une forme définitive : le Temple de Jérusalem. Comme nous l’avons vu, il existe également en chacun de nous.
Quelles sont donc les couleurs du sanctuaire du cœur ? Celles de l’âme ? Rabbi Yossef Its’hak, le sixième Rabbi de Loubavitch, nous l’explique :
Le bleu exprime notre crainte devant l’infinie grandeur du Divin. Tous les immenses univers décrits par les astronautes ne sont rien par rapport à D.ieu dont l’Infinité dépasse le monde. Cette idée suscite un sens de crainte : le bleu.
Cependant, les Kabbalistes nous disent que la même idée peut faire naître un sentiment différent, une soif passionnée pour se lier à D.ieu, au-delà du monde, au-delà de la vie elle-même, un amour de D.ieu enflammé : l’écarlate.
La combinaison de ces deux sentiments - la crainte et l’amour enflammé - conduit au sentiment de notre propre petitesse, à la conscience de notre finitude par rapport à la grandeur infinie de D.ieu. De cette perspective, l’on se considère soi-même avec Miséricorde, comme de très haut : pauvre petit être, perdu dans la seule préoccupation de lui-même… Le mélange du bleu et de l’écarlate donne le violet.
Cependant, il existe aussi une autre forme d’amour de D.ieu. Ce n’est pas l’amour enflammé au-delà de l’univers mais un amour qui s’écoule comme de l’eau pure, conscient de la proximité aimante et concernée de D.ieu et de Son amour pour nous.
Ce chaleureux sens de l’amour et de la bonté aimante de D.ieu, c’est le blanc.
Ce sont là les couleurs de l’âme, les émotions avec lesquelles nous nous lions à D.ieu dans notre propre Sanctuaire intérieur.

Le Coin de la Halacha

Qu’est-ce que le «Ribbit», le prêt avec intérêt ?

Les lois de «Ribbit» sont très complexes et exigent souvent qu’on s’assure de ne pas les enfreindre en se renseignant auprès d’une autorité rabbinique compétente.
Un Juif n’a pas le droit de prêter de l’argent à un autre Juif avec intérêt, il n’a pas le droit de recevoir un cadeau ou tout autre forme de «remerciement» pour lui avoir prêté de l’argent ou autre chose. L’interdiction s’applique aussi bien à celui qui prête qu’à celui qui emprunte, à l’intermédiaire qu’au témoin ou à l’avocat qui formalise la transaction.
Celui qui emprunte deux pains (ou deux kilos de sucre etc.) ne doit rembourser que la même quantité. Cependant s’il y a une toute petite différence (par exemple que les pains sont un peu plus gonflés), c’est négligeable et aucun «Ribbit» n’est impliqué.
Quand on fait les courses pour quelqu’un d’autre, on doit rendre le montant exact de la monnaie sauf s’il s’agit vraiment seulement d’une différence de quelques centimes. Dans le cas où on n’est pas sûr du montant exact, on précisera que les pièces éventuellement en surplus sont un cadeau et non du «Ribbit».
Deux professeurs par exemple qui échangent leurs heures de cours ne peuvent le faire que si les conditions sont les mêmes (même nombre d’élèves, même période de temps, même salaire).
Quand on emprunte une carte de crédit, on doit rembourser dans les plus brefs délais avant que le propriétaire de la carte ne soit obligé de payer des agios.

F. L. (d’après Rav Daniel Neustadt – Family First)

De Recit de la Semaine

Une Bar Mitsva clandestine

Chaque garçon juif se souvient de sa fête de Bar Mitsva mais la mienne, c’est sûr que je ne l’oublierai pas !
Nous habitions à Samarkand en compagnie d’autres familles ‘hassidiques qui y avaient trouvé refuge. Là aussi, les communistes surveillaient toutes les activités religieuses juives.
Ils permettaient aux Juifs de prier dans la synagogue mais interdisaient toute réunion dans lesquelles se permettraient de parler des Rabbanim ou autres personnalités : toute activité de ce genre était considérée comme contre-révolutionnaire.
Dans la synagogue, chacun savait qu’il ne fallait pas prononcer un mot de trop, non seulement par respect pour la sainteté de l’endroit mais parce qu’il s’y trouvait des «rapporteurs», pour ne pas dire des dénonciateurs et qu’on devait se méfier : c’était des Juifs que les autorités obligeaient à «travailler» à leur service et qui devaient raconter ce qu’ils avaient vu et entendu et qui pouvait «nuire aux intérêts de l’état».
Nous avions partagé entre nous ce genre d’informateurs en deux sortes : les «justes» et les «méchants». Le «juste» était celui qui ne se cachait pas et chacun devait simplement se méfier afin que le «juste» puisse raconter à ses supérieurs que tout se passait bien. Par contre, le «méchant» dissimulait ses intentions et tentait de se faire passer pour l’un d’entre nous afin de mieux nous surprendre.
‘Haïm T. était considéré comme un «informateur juste». Il venait à chaque événement, mangeait un peu, trinquait «Le’haïm – à la vie» sur un petit verre de vodka puis s’en allait.
Alors qu’approchait la date de ma Bar Mitsva, en Sivan 1959, mes parents décidèrent que je serais appelé à la Torah et que je lirais la Haftara dans la «Grande Synagogue» (officielle) puis qu’on se réunirait pour le repas de fête dans l’une des maisons.
Mon grand-père, Rav Yeha’hmiel, de mémoire bénie, avait choisi pour moi un «Maamar», un discours ‘hassidique, de l’un de nos Rabbis et je l’avais appris par cœur, selon la tradition, afin de le répéter lors du repas. La Haftara, ce fut mon père qui me l’enseigna.
Une semaine avant ma propre Bar Mitsva, devait se dérouler celle de mon meilleur ami, Aharon Makovitchki. Pour moi, cela représentait une sorte de «répétition générale».
Au début, tout se passa comme prévu. Après la prière, les fidèles se rassemblèrent dans la maison de ses parents pour le «Kiddouch» et le repas de fête. ‘Haïm T. suivit «la foule», comme à son habitude mais cette fois-ci – allez savoir pourquoi – il ne quitta pas sa chaise.
Les fidèles commencèrent à perdre patience. Parmi eux se trouvait un invité prestigieux venu spécialement de Moscou, Rav Moshé Katzenlbogen, un érudit exceptionnel. Il avait déjà séjourné de longues années dans les divers camps de travaux forcés du Goulag pour ses activités «contre-révolutionnaires». Il avait déjà bien souffert pour son activisme en faveur du judaïsme et il ne craignait plus rien.
Quand il comprit que la véritable réunion hassidique ne pourrait pas commencer tant que ‘Haïm T. s’attarderait sur place, il se leva, monta au premier étage, prit un seau d’eau, se plaça exactement devant la fenêtre sous laquelle était assis ‘Haïm T. et… versa le seau !
Indigné et… mouillé, ‘Haïm se leva d’un bond. Il sortit de sa poche sa carte du parti, l’agita d’un air menaçant devant tous les convives en annonçant qu’il ne se laisserait pas faire et qu’il informerait dès le lendemain les autorités de la tenue de cette assemblée sioniste et contre-révolutionnaire…
Il ajouta que tous les participants à cette Bar Mitsva méritaient d’être envoyés en Sibérie. Puis il sortit, furieux, en claquant toutes les portes. Il était évident que ‘Haïm T. transmettrait son rapport et qu’une vigilance accrue devenait nécessaire. Devant les circonstances, mes parents décidèrent que je serais appelé à la Torah et à la lecture de la Haftara dans un petit oratoire clandestin, dans la maison de la famille Mishulovin.
Au «festin», mes camarades de classe ne pourraient pas assister car les autorités interdisaient aux enfants d’assister à des réunions «problématiques» ; le nombre d’invités serait aussi très réduit.
C’est ainsi que nous avons procédé. Je suis monté à la Torah dans cet oratoire clandestin. Puis nous avons fêté l’événement en famille.
Un jour de semaine, ma mère et ma sœur préparèrent le «festin» et, à vélo, nous avons apporté les plats dans la maison des Mishulovin. Les hommes étaient assis dans une pièce, les femmes dans l’appartement voisin des Hankine.
Mais malgré tout, il régna une ambiance extraordinaire. Je répétai le Maamar ‘hassidique plusieurs fois, car les invités arrivèrent par petits groupes et désiraient se rafraîchir l’esprit avec les sources vives de la ‘Hassidout. Puis, au fur et à mesure que l’atmosphère se «réchauffait», les convives enlevèrent leurs chaussures afin de pouvoir danser sans alerter les voisins…
Ce fut une Bar Mitsva simple, sans photographe ni traiteur, mais elle est restée profondément gravée dans mon cœur et mon esprit.

Rav Betzalel Schiff – Jérusalem
Si’hat Hachavoua n°1255
traduit par Feiga Lubecki