Semaine 43

  • Vayéra
Editorial
Grand monde et petit monde

Villages disparus, sociétés décomposées, menaces sur l’eau potable. Il a suffi d’une défaillance technique et voici que, dans un pays éloigné mais si étonnamment proche, sur ce continent, le paysage habituel prenne des couleurs de fin du monde. Est-ce vraiment ainsi que, brusquement, tout bascule ? Ce n’était qu’une usine de production d’un matériau utile, l’aluminium. Implantée comme un facteur de progrès, voici qu’elle apparaît à présent comme une menace. Et chacun de rechercher où d’autres établissements porteurs de danger potentiel similaire existent. C’était un grand fleuve rassurant, si bleu au travers de l’Europe, et voici qu’il cesse d’inspirer confiance, de rassurer, un peu comme si tous les massacres dont il a été le témoin ou le cadre au cours des âges avaient refait brutalement surface. Comment mieux prendre la mesure des conséquences graves du dysfonctionnement de sociétés sûres d’elles ? Comment mieux comprendre que l’équilibre est un effort de tous les jours et le déséquilibre, une tentation constante ?
Mais n’est-ce pas là le récit même de notre vie ? Celle-ci commence comme un grand voyage. Aux yeux de l’enfant, tout est neuf, tout est découverte. Puis vient le temps de l’apprentissage des choses. C’est le temps où le monde commence à prendre sens, le temps où l’on s’efforce, avec plus ou moins de réussite, de comprendre sa cohérence, comme une méthode de vie. Mais cela ne suffit pas encore. Une fois le système déchiffré avec son mode de fonctionnement, le laisser en l’état signifierait choisir l’immobilisme, une sorte de perfection morte, sans espoir ni avenir. C’est la mission de l’âge adulte : faire progresser l’ensemble en un équilibre dynamique. Laisser s’installer le déséquilibre est toujours plus facile mais l’objectif est ailleurs : trouver l’équilibre fondé sur ces principes éternels qui en garantissent la pérennité et, en même temps, les faire vivre par une refondation constante, par un vécu enthousiaste.
Oublier l’équilibre, on le voit, est cause de dangers multiples. Oublier que l’avenir attend notre effort et notre action ne l’est pas moins. En hébreu, l’homme porte le beau titre de « celui qui avance ». Et l’avancée doit être tant morale que spirituelle, tant dans nos rapports sociaux que dans notre relation avec D.ieu. La tradition juive nous invite ainsi à trouver le « savoir vivre ». Pour une vie plus grande, plus belle. Pour soi, pour le monde. Un processus qui appartient à chacun. Puisse l’avènement de l’ère messianique le couronner enfin.
Etincelles de Machiah
La plainte d’une figue

Le Midrach Tehilim (fin du chapitre 73), parlant du temps de Machia’h, annonce : “Dans le temps futur, quand un homme sera sur le point de cueillir une figue pendant le Chabbat (ce qui est alors interdit – ndt), celle-ci criera : “C’est Chabbat !”
La réaction de la figue n’est pas seulement un prodige qui traduit le fait qu’une nouvelle ère a commencé. Elle est la marque qu’en ce temps, le monde lui-même ressentira et témoignera que rien d’autre n’existe dans le monde que le D.ieu Un.
(D’après Likouteï Si’hot, vol. XI, p. 69)
Vivre avec la Paracha
Vayéra : Les qualités de nos Patriarches nous ouvrent le chemin

La pudeur, la beauté et la sainteté
Ce qui est saint doit être protégé et, dans une certaine mesure, caché. Le Saint des Saints, le lieu le plus intérieur du Temple de Jérusalem, était l’endroit du monde le plus sacré. Dans une certaine mesure, sa sainteté s’exprime par le fait que personne ne pouvait y pénétrer, à l’exception du Grand Prêtre, et seulement au moment de la Néila de Yom Kippour.
Par le même biais, et cela nous est plus familier, le rouleau de la Torah est saint. En temps normal, il est conservé derrière un rideau dans L’Arche Sainte. Quand on le sort de l’Arche, nous ressentons qu’il s’agit là d’une occasion exceptionnelle et tout le monde se lève dans la synagogue. Il est toujours enveloppé de son manteau et ce n’est que lorsqu’on le pose sur la table de lecture qu’on retire ce manteau. Si l’on transporte un rouleau de la Torah dans un autre lieu, on a l’habitude de l’envelopper d’un Talith (châle de prière), une couverture supplémentaire exprimant sa sainteté.
Notre Paracha, Vayéra, nous parle de la féminité. Elle nous dit que la féminité est sacrée et qu’elle possède une immense force spirituelle. Et elle affirme également que la pudeur féminine est un des aspects profonds de la vie humaine, rendant la femme chère aux yeux de son époux.
La Paracha commence par le récit de la visite de trois anges à Avraham. Ils sont déguisés en voyageurs. Ils demandent à Avraham: «Où se trouve Sarah, ta femme?» Et il répond : «Elle est dans la tente».
Rachi, le célèbre commentateur biblique, découvre pour nous un sens dans ces mots qui ne semble pas apparent de prime abord. Nous avons appris précédemment dans la Torah que Sarah était une très belle femme. En affirmant qu’elle est dans sa tente plutôt qu’à son seuil, dans toute sa splendeur, pour accueillir les trois visiteurs, nous avons une allusion subtile au fait que Sarah est pudique. Pourquoi les anges souhaiteraient-ils faire allusion à la pudeur de Sarah? Rachi répond : «pour la rendre chère aux yeux de son époux».
La pudeur exprime la beauté intérieure et sous-entend une sainteté et une spiritualité profondes, l’apanage de la nature de la féminité. D’une certaine façon, la femme représente la Che’hina (la Présence Divine) dans le monde. La qualité de la féminité est le point de rencontre entre le physique et le sacré.
Les anges étaient venus dire à Avraham que Sarah allait avoir un enfant. Peut-être que l’allusion à sa pudeur, qu’ils mirent en lumière la rendant encore plus chère aux yeux de son mari, faisait-il partie de leur mission.
La modestie est un idéal central dans la vie juive. Elle touche non seulement aux vêtements mais aussi à la parole et au comportement. Comme le définit la loi juive, la pudeur concerne aussi bien les hommes que les femmes. Mais dans la conscience populaire, elle s’applique plus particulièrement aux femmes. Elle exprime la beauté intérieure et aussi la force spirituelle de la féminité.
L’idéal de modestie ne signifie pas que les femmes doivent se retirer de la société. Selon nos Sages, Sarah donnait un exemple clé d’une femme qui enseignait aux autres et inspirait les femmes de son époque.
Plus loin, notre Paracha évoque la clairvoyance spirituelle de Sarah qui était bien plus importante que celle d’Avraham. D.ieu dit à Avraham : «Ecoute la voix de Sarah et fais tout ce qu’elle te dit». Rachi explique que cela signifie : «Ecoute la voix de l’Esprit Divin en elle. Cela nous enseigne qu’Avraham était second après Sarah, en matière de prophétie.»
La Torah met donc en lumière plusieurs qualités de notre Matriarche : la pudeur, la beauté intérieure, la force d’inspiration pour autrui et la sainteté. Ces qualités, elle les a transmises à ses filles à travers toutes les générations.

Un réseau fluide de bonté
La bonté est souvent représentée comme une autre des qualités propres au Peuple Juif. Avraham et sa femme Sarah en représentent la quintessence. Dès le début de la Paracha, nous observons l’hospitalité qu’ils offraient aux voyageurs et plus tard, D.ieu dit qu’Il aime Avraham parce qu’ «il instruira sa maison à le suivre et à garder les voies de D.ieu, pratiquant la charité et la justice».
«Charité et justice» impliquent des actes de bonté et le Talmud cite ce verset quand il déclare que trois traits distinguent le Peuple Juif, les descendants d’Avraham. Ce sont : la modestie, la bienveillance et les actes de bonté. «Celui qui possède ces qualités, ajoute le Talmud, est apte à rejoindre le Peuple Juif».
Nos Sages proposent plusieurs opinions quant à savoir si ces qualités sont innées chez le Peuple Juif ou si elles sont un «don» particulier de D.ieu. Il est bien évident qu’elles constituent également l’idéal vers lequel chacun doit aspirer. Néanmoins, si on rassemble ces trois vertus, l’on perçoit une structure spirituelle étonnante.
La modestie, un sens profond de l’humilité, vient de notre expérience au mont Sinaï. Depuis lors, affirme le Talmud, un sens de la crainte existe en chaque Juif. L’effet de cette modestie et de cette crainte est de réveiller le cœur à la miséricorde. Et la conséquence de cette miséricorde est de s’engager à des actes concrets de bonté et de charité.
De l’âme au cœur, du cœur à la main. Un réseau fluide de bonté. Et pourtant, souligne le Rabbi, il y a encore plus.
Parfois, un acte de bonté peut conduire à un sentiment de grandeur et de fierté : «j’ai fait du bien, je suis bien !»
En fait, bien au contraire, la bonté juive traditionnelle, héritée d’Avraham, a pour but de nous ramener à la miséricorde et l’amour parce qu’elle se déclenche par l’humilité et l’oubli de soi. La bonté n’est en réalité que l’expression d’une humilité intérieure et elle éveille donc davantage de miséricorde et de bonté dans le cœur de celui qui en fait œuvre. Le réseau fluide crée un processus cyclique : «une Mistva en enclenche une autre» ; lorsque l’on agit avec bonté, l’on ressent alors le besoin d’aller plus loin encore et d’être encore meilleur. C’est là l’héritage qu’Avraham et Sarah nous ont légué à tous.
Le Coin de la Halacha
A-t-on le droit de s’associer commercialement à un partenaire qui agit à la limite de la légalité ?

Les lois de l’éthique dans les affaires sont complexes, dépendent de nombreux paramètres et exigent les compétences d’un rabbin spécialisé dans ce domaine. Voici cependant quelques règles générales, :

En tout état de cause il faut garder présent à l'esprit que le talmud établit que "la loi du royaume (en l'occurrence de la république) est la loi"

- La Torah interdit de «placer des embûches devant un aveugle». Notre tradition inclut dans cette Mitsva l’interdiction de faire fauter ou d’aider à fauter toute autre personne. Si quelqu’un s’apprête à commettre un pêché, on doit l’en empêcher et ne pas l’assister. D’après la loi stricte, ceci ne s’applique pas si la personne est capable d’accomplir son pêché sans notre «assistance». Cependant les Sages ont ajouté qu’il ne fallait pas «renforcer la main du pêcheur» : on ne doit pas lui procurer les objets, l’argent ou l’aide logistique qui lui permettrait d’agir. Par exemple : on n’a pas le droit de donner, de prêter ou de vendre des armes à une personne dangereuse.
- Par ailleurs, la Torah nous recommande de ne pas élever les soupçons sur nous-mêmes de crainte de «désacraliser le Nom de D.ieu». Un Juif est «le représentant de D.ieu» sur terre pour ainsi dire. Un Juif qui agit mal donne une bien mauvaise représentation de D.ieu. De fait, chaque être humain doit vaquer à ses occupations avec respect pour D.ieu et son prochain. Le Juif est supposé donner l’exemple et ne doit certainement pas être suspecté du contraire.
- De plus : pourquoi un Juif travaille-t-il ? Si nous sommes supposés être une nation sainte, nous devrions rester dans les synagogues et les maisons d’étude ! Mais le but du Juif est justement d’apporter le sacré dans le profane et d’y révéler la sagesse divine. Le but du travail n’est pas de gagner sa vie – de toute manière D.ieu a de nombreux émissaires pour cela. Le but du travail est de sanctifier le Nom de D.ieu partout où on se trouve.
- Imaginez que votre travail est une gigantesque coupe, le réceptacle dans lequel D.ieu déverse la vie et l’abondance. De même que nous lavons le verre de Kiddouch avant d’y verser le vin vendredi soir, de même nous devons-nous assurer que nos affaires sont pures de toute tromperie ou abus de confiance, afin de mériter pleinement la bénédiction divine.
- N’hésitez pas à contacter un rabbin compétent sur ces questions parfois très complexes : les rabbins sont aussi là pour cela !

F. L. (d’après Rav Tzvi Freeman – www.chabad.org)
De Recit de la Semaine
Générations…

Avant la seconde guerre mondiale, une inquiétante vague d’assimilation avait frappé le judaïsme d’Allemagne. De nombreux Juifs, pourtant issus de familles pratiquantes, s’étaient laissés séduire par le mode de vie environnant et avaient rejeté les pratiques ancestrales.
Cependant, un homme résistait à tout cela : Rav Yehiel Yaakov Weinberg, l’auteur du livre «Sridei Ech». Il dirigeait le séminaire rabbinique de Berlin dont le haut niveau était reconnu et respecté par tous les Juifs de l’époque. Il était aussi apprécié pour son contact agréable et courtois ainsi que pour sa droiture et son honnêteté intellectuelle. Un de ses disciples, Rav Avraham-Abba Weingourt de Jérusalem, se chargea d’éditer ses livres et s’efforça de transmettre à ses propres élèves l’enseignement qu’il avait reçu de son maître.
Il y a quelques années, Rav Weingourt fut invité à donner un cours chez un particulier qui avait réuni plusieurs personnes à son domicile dans la ville de Modiine. Le cours était consacré à l’importante Mitsva du respect des parents. Rav Weingourt estima que le moment était venu de raconter une histoire dont il avait été le témoin. «La grande synagogue de Berlin était prête pour les fêtes solennelles du mois de Tichri. Pour de nombreux fidèles, c’était la seule occasion de l’année où ils se rendaient à la synagogue. A Yom Kippour, Rav Weinberg tenait lui aussi à se rendre particulièrement dans cette synagogue, bien qu’elle soit située loin de chez lui. Les notables lui réservaient une place d’honneur.
A la fin de la lecture de la Torah, le responsable frappa sur la table et annonça : «Yizkor!» A ce mot, les plus jeunes se levèrent pour sortir de la synagogue : en effet, il est d’usage que seuls les orphelins restent pour prier à ce moment-là pour l’élévation de l’âme des parents. Les fidèles se rassemblèrent autour du ‘Hazane qui allait entamer les mélodies traditionnelles. Chacun se recueillait. C’est alors qu’une voiture officielle arriva en trombe devant la synagogue. Elle était précédée et suivie de motards de l’armée allemande et on comprenait qu’une personnalité importante s’y trouvait.
Les jeunes qui attendaient à l’extérieur la fin de la cérémonie regardèrent avec curiosité : le chauffeur en livrée s’empressa d’ouvrir la portière arrière et on aperçut Walter Rathenau sortir rapidement du véhicule et se diriger vers l’entrée de la synagogue. Walter Rathenau ! C’était le ministre des affaires étrangères, un des personnages politiques les plus influents du pays ! Cela faisait déjà longtemps qu’il s’était complètement assimilé à la culture ambiante, qu’il ne respectait même plus la sainteté de Yom Kippour… Alors que venait-il faire ?
Le ministre n’allait évidemment pas répondre aux questions muettes des curieux rassemblés devant la synagogue. Il se dépêcha de gravir les marches de l’imposant bâtiment. Il eut un soupir de soulagement en constatant qu’il était arrivé juste à temps. A l’intérieur de la synagogue, chacun était bien trop occupé par l’importance de la prière de Yizkor pour prêter attention au retardataire. Mais à l’extérieur, les commentaires allaient bon train. Scandalisés, les jeunes s’offusquaient de la profanation publique du sacré, d’autres ne cachaient pas leur désapprobation devant l’arrivée soudaine d’un homme qui visiblement ne respectait plus rien et qui ne se sentait concerné que par cette coutume du Yizkor… Mais le Yizkor se terminait et le ministre se hâta de ressortir et s’engouffra dans sa voiture…
Dans la synagogue, chacun reprenait sa place et se préparait pour la prière de Moussaf. Mais avant que l’officiant ne reprenne, Rav Weinberg se leva brusquement de son siège et demanda à prendre la parole. «Chers amis ! » s’écria-t-il d’une voix forte. Comment peut-on mépriser un Juif qui se rend à la synagogue avec la seule intention, sincère, d’honorer ses parents ? Sachez que celui qui se préoccupe uniquement de respecter le souvenir de ses parents est assuré que lui ou sinon, ses enfants ou ses petits-enfants retourneront un jour à une pratique complète du judaïsme!» Rav Weinberg reprit sa place et tous les fidèles – frappés par ses paroles et sa tranquille assurance – reprirent le cours de la prière.
Rav Weingourt avait terminé son cours et d’un regard, put constater combien son histoire avait frappé les présents. Soudain l’un des participants se leva, visiblement ému : il avait pâli et des larmes coulaient de ses yeux. Tous se tournèrent vers lui, étonnés.
- Vous avez dit : Walter Rathenau, c’est bien cela ?
- Oui ! confirma Rav Weingourt.
- C’était mon arrière grand-père ! murmura l’homme, le grand-père de mon père !
Il s’avéra que le petit-fils de Walter Rathenau – donc le père de ce participant – avait effectué un retour complet vers le judaïsme et s’était installé en Israël où il avait élevé ses enfants dans le strict respect des valeurs juives.
Les paroles prophétiques de Rav Weinberg s’étaient réalisées : «Lui, ses enfants ou ses petits-enfants reviendront à une pratique complète du judaïsme…!»

Yehoudit Kuchlavsky (sœur de Rav Weingourt)
Sichat Hachavoua n°1231
traduite par Feiga Lubecki