Semaine 43

  • Noa’h
Editorial
Le chemin du nouveau temps

C’est seulement à présent que nous quittons véritablement la période des fêtes. En effet, même si, pour la majorité, le quotidien a repris ses droits dès la conclusion de Sim’hat Torah, cependant nous avons encore vécu la semaine passée dans son inspiration. Le calendrier a ainsi continué d’égrener les derniers jours du mois de Tichri et ce simple fait a maintenu éveillé dans notre cœur et notre esprit le souvenir des grandioses évènements spirituels que nous venons de vivre. Tout cela s’est achevé, c’est un nouveau temps qui commence comme un nouveau voyage dont l’itinéraire ne peut nous être déjà connu.
Dans un tel contexte, un guide nous est d’une nécessité incontournable. C’est alors que l’étude de la Torah doit redevenir présente en tête de nos priorités. Il est vrai que le mois de Tichri nous a spirituellement rassasiés. Il est vrai que nous l’emportons avec nous. Cependant, les plus grandes aventures spirituelles n’expriment leur nature profonde que lorsqu’elles aboutissent à un quotidien renouvelé. C’est bien là que l’étude de la Torah intervient. Sagesse de D.ieu donnée aux hommes, guide de vie, indispensable connaissance, elle est cet océan de savoir qui construit le monde des hommes et celui, intérieur, de chacun. Elle est cette science qui ne fait pas que porter un regard d’analyse et d’observation sur l’extérieur mais donne à comprendre le profond de soi et de la vie. Elle est cette science qui, lorsqu’elle parle, nous touche d’autant plus intensément qu’elle semble émaner du cœur même de notre âme. Elle est aussi ce lien avec D.ieu qui ne peut laisser l’homme inchangé du fait de sa simple existence.
En ce début d’année 5770, l’étude de la Torah est notre héritage. Sachons nous y ouvrir ; elle nous permet de découvrir non pas un autre monde mais le sens de celui-ci, non pas d’autres hommes mais tout ce que chaque homme peut être. Par elle, le nouveau temps qui commence peut être, de la manière la plus concrète, un temps nouveau. Il peut être ce temps d’ouverture vers toute Sagesse, préfiguration de l’époque de toute Révélation, celle de la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
«D.ieu sera Un et Son Nom sera Un»

Le prophète Zacharie (14:9) enseigne au sujet du temps de Machia’h : «En ce jour, D.ieu sera Un et Son Nom sera Un». Il est clair que l’unité de D.ieu est un fondement du judaïsme mais pourquoi lier la révélation de cette idée à la venue de Machia’h ?
C’est qu’en notre temps, l’unité divine n’apparaît pas à l’évidence. Le monde paraît constituer une existence autonome. Au contraire, dans le monde de Machia’h, l’unité du Créateur sera manifeste aux yeux de tous. Chacun verra que le monde est inexistant devant la lumière divine qui le fait vivre.
(d’après Torah Or, Vaéra p. 55c)
Vivre avec la Paracha
Noa’h : Le flot lunaire, l’année solaire

Vous avez décidé de consacrer du temps de qualité avec votre famille quand le téléphone sonne : naturellement, c’est une urgence au travail qui demande votre implication immédiate. Vous avez réservé votre soirée pour une activité bénévole dans votre communauté et au lieu de cela, vous la passez à aider votre voisin à réparer sa voiture.
Heureusement peu d’entre nous ont eu à faire face à un véritable «déluge» dans lequel des torrents d’eau menacent d’engloutir notre maison. Mais nous sommes tous familiers avec l’expérience d’être absorbés par les soucis de la vie matérielle, d’être inondés par toutes sortes de sujets demandant notre attention au moment précis où finalement nous nous consacrions aux choses qui nous sont réellement importantes et précieuses.
Les Maîtres ‘hassidiques expliquent que c’est là la signification contemporaine du Déluge décrit par la Torah dans les septième et huitième chapitres de Béréchit. L’un des fondements de la ‘Hassidout veut que la Torah soit éternelle, que ses événements «historiques» soient des réalités toujours présentes dans notre vie. Le déluge de Noa’h est le prototype du défi que nous affrontons tous : le déluge des soucis matériels qui menacent d’étouffer la flamme de l’aspiration spirituelle de notre âme.
En fait, nos Sages nous disent que le Déluge de Noa’h commença par une pluie ordinaire que les actes impies des hommes transformèrent en déluge. En d’autres termes, dans leurs justes proportions, comme moyen de parvenir à une fin supérieure, les pluies de la matérialité sont des pluies bénéfiques, qui nourrissent la terre. Mais quand on leur permet de dépasser leurs limites, elles deviennent un déluge destructeur.
Le sens profond du Déluge se retrouve également dans le fait qu’il commença et s’acheva au second mois de l’année juive, le mois de ‘Hechvan. Après les grandes fêtes de Tichri, il est celui qui marque notre retour dans la «routine» de la vie matérielle. Au mois de ‘Hechvan, la pluie commence à tomber en Terre Sainte après six mois sans pluie durant la saison d’été, ce qui signifie le retour à une vie qui prend sa nourriture de la terre. Ce n’est pas une coïncidence si ‘Hechvan (appelé aussi Mar ‘Hechvan, mar signifiant à la fois «amer» et «eau») est le plus ordinaire des mois, le seul mois de l’année qui ne possède ni fête ni occasion particulière.

Le calendrier juif
Le Déluge commença le 17 ‘Hechvan de l’an 1656 depuis la Création et finit le 27 ‘Hechvan de l’année suivante.
Les commentateurs bibliques expliquent qu’il dura exactement un an et que la différence de onze jours dans les dates représente les onze jours qui séparent l’année lunaire de l’année solaire. Cela renvoie au fait que le calendrier est basé sur une variété de cycles naturels qui ne se prêtent pas facilement à la synchronisation. Le mois provient du cycle lunaire de vingt-neuf jours et demi autour de la terre et l’année, du cycle solaire de trois cent soixante-cinq jours. Le problème tient au fait que les douze mois lunaires font trois cent cinquante-quatre jours et sont donc plus courts que l’année solaire… de onze jours.
La plupart des calendriers résolvent ce manque en ignorant l’un ou l’autre de ces gardiens du temps. Le calendrier juif a ceci d’unique qu’il entreprend de concilier les courants temporels de la lune et du soleil. Il utilise un cycle complexe de dix-neuf ans dans lequel les mois alternent entre vingt-neuf et trente jours, et les années entre douze et treize mois, et il réussit ainsi à fixer ses mois selon la lune, ses années selon le soleil, combinant le temps lunaire et le temps solaire en un système unique qui préserve l’intégrité de chacun.

La lumière et l’obscurité
Cette dualité cosmique renvoie aussi à celle de l’esprit et de la matière. En effet, le spirituel et le matériel sont souvent comparés à la lumière et l’obscurité. Mais la Torah, quant à elle, choisit le modèle de la lune et du soleil. Le soleil est un corps lumineux alors que la lune est un amas sombre de matière. Et pourtant, tous deux sont des luminaires. Tous deux servent de sources de lumière, la différence étant que la lumière du soleil se génère elle-même alors que la lune illumine en recevant et en renvoyant la lumière du soleil.
La spiritualité est une effusion directe de la lumière divine. Quand nous étudions la Torah, que nous prions ou on accomplissons une Mitsva, nous sommes en contact direct avec D.ieu. Nous manifestons directement Sa vérité dans le monde. Mais chacun de nos actes, de nos paroles ou de nos pensées ne concerne pas directement la Divinité. D.ieu a fait de nous des créatures matérielles, obligées de consacrer une part considérable de notre temps et de notre énergie à la satisfaction d’une multitude de besoins matériels. Ainsi, une grande partie de notre vie est «lunaire», constituée de «la matière sombre» des projets non tournés vers la sainteté.
Cependant, cette «matière sombre» ne signifie pas que la lune apporte la lumière du soleil à des endroits qui ne peuvent la recevoir directement. Les implications dans le monde matériel peuvent permettre à la vérité divine d’atteindre des lieux qui n’en sont pas atteints directement.

Une année complète
Notre vie comprend à la fois une trajectoire lunaire et une trajectoire solaire, un chemin d’accomplissements spirituels et une voie d’engagements matériels. Ces cycles peuvent être dissemblables. La solution simple serait de suivre une route unique. Mais le calendrier juif ne se permet pas la voie de la simplicité. Il insiste pour que nous incorporions les deux systèmes dans notre traversée du temps, que nous cultivions un moi solaire – des pensées, des actes et des moments pour atteindre à la spiritualité – et en même temps, que nous développions une personnalité lunaire – une vie matérielle à même de refléter et projeter notre autre moi, notre moi spirituel.
C’est aussi la leçon implicite de la durée de trois cent soixante-cinq jours du Déluge. Le déluge des soucis matériels qui menacent d’envahir notre vie peut être maîtrisé et sublimé. Le Déluge peut être réconcilié avec le calendrier solaire et faire partie d’une «année complète» dans laquelle le temps solaire et le temps lunaire convergent et où la lune reçoit et transmet la lumière du soleil.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le “Chema” ?

Le “Chema” est une des prières centrales du judaïsme. Elle est, de fait, composée de trois paragraphes de la Torah: Deutéronome 6, 4-9; puis Deutéronome 11, 13-21; puis Nombres 15, 37-41. Ces trois paragraphes sont récités avec une grande concentration puisqu’ils exposent des principes essentiels: la croyance en l’Unité absolue de D.ieu qui amène à l’amour et à la crainte du Créateur; le principe du libre choix et de la récompense (et de la punition); l’importance du rappel de la sortie d’Egypte.
Chacun, (homme, femme ou enfant) est tenu de réciter le Chema, une fois le matin et une fois le soir. On répétera également le Chema le soir avant de se coucher. Quand on entend l’assemblée des fidèles réciter le Chema, on le récitera en même temps, même si on n’est pas parvenu encore à ce passage de la prière afin de rester solidaire de la communauté. On récite également le Chema au chevet d’un mourant.
On fait très attention de bien articuler tous les mots du Chema afin qu’ils ne soient pas détournés de leur sens original.
Après la première phrase (Chema Israël, Ado-nay Elo-hénou Ado-nay E’had – Ecoute Israël l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un), on intercale la phrase “Barou’h Chem Kevod Mal’houto LeOlam Vaèd” (Béni soit le Nom de la Gloire de Sa royauté à tout jamais) qu’on prononce à voix basse car elle a été prononcée par des anges (sauf à Yom Kippour où nous “ ressemblons à des anges ” puisque nous ne mangeons pas).
On habituera les enfants, dès leur plus jeune âge, à réciter le Chema. On récite la première phrase en mettant la main droite sur les yeux afin de mieux se concentrer et, également, afin de réaliser que rien n’existe véritablement sans la Présence de D.ieu.

F. L. (d’après Rav Nissan Mangel)
De Recit de la Semaine
Où est D.ieu ?

Juste au moment où je sortais de la synagogue pour une pause dans mon étude de la Guemara (le Talmud), le Rabbi sortait de son bureau et se dirigeait vers sa voiture. Mais sur son chemin, se tenait un jeune homme, dont l’apparence extérieure était bien différente de celle des ‘Hassidim. Il devait avoir vingt-cinq ans. De grande taille, il portait une minuscule Kippa au sommet de ses boucles blondes qui descendaient jusque sur ses épaules.
Au début, il avait hésité, mais il s’était approché et avait parlé au Rabbi. Je n’ai entendu ni la question ni la réponse, mais j’ai vu le Rabbi pointer le doigt vers le ciel et faire un rond dans l’air avec son doigt. Le jeune homme semblait ne pas apprécier la réponse et dit encore quelques mots. Là, le Rabbi sourit et indiqua du doigt le cœur du jeune homme pendant sa réponse. La conversation s’arrêta là et le jeune homme, comme paralysé, regarda le Rabbi entrer dans sa voiture qui disparut rapidement.
Puis il reprit ses esprits et entra dans la synagogue. Je le suivis. Il s’assit sur un des bancs, mis sa tête entre ses mains et pleura pendant environ dix minutes. Puis il se reprit, lut quelques Psaumes dans un livre de prières, embrassa le rideau de l’Arche sainte et sortit. Je le suivis dans le métro et m’assis en face de lui. Au bout de quelques stations, je pris mon courage à deux mains: “Qu’est-ce que le Rabbi vous a dit?”
- J’ai demandé au Rabbi où était D.ieu. Il a répondu: partout. J’ai insisté: “Je suis sérieux!”
- Vous avez dit cela?
- Enfin, je ne l’ai pas vraiment dit. Cela m’a échappé, si vous voulez. J’ai donc été surpris que le Rabbi me sourit. C’est alors qu’il a dit: “D.ieu est en vous, exactement là”. Et il a montré du doigt mon cœur.
J’ai alors réalisé que nous ne nous étions pas présentés l’un à l’autre. Il me tendit justement la main et me dit: “Je suis Dany, Dany Cohen”.
- Moi c’est Israël, Israël Lipkind. Donc vous êtes un Cohen.
- Exact. Un descendant d’Aharon, le Grand-Prêtre, qui aimait la paix et la poursuivait. Je viens de Long Beach, en Californie. Et je suis fiancé!
- Mazal Tov!
- Euh… Gardez vos félicitations, s’il vous plaît. Elle n’est pas juive.
Je repris mes félicitations et mon souffle également. Dany reprit son récit: “Au début, le fait qu’elle ne soit pas juive n’avait aucune importance pour moi. Le judaïsme ne tenait pas une grande place dans ma vie. La réaction de mes parents me surprit. Ma mère pleurait jour et nuit. Mon père ne voulait plus me parler. Mais je n’en avais cure.
Il y a quelques mois, nous sommes rentrés, Lisa et moi, dans une librairie juive. Le commerçant s’est approché de moi avec des espèces de boîtes de cuir reliées à des lanières et, avec un fort accent d’Europe, m’a demandé: “Chalom! Voulez-vous mettre les Téfilines?” Je ne savais pas trop ce que cela signifiait mais comment pouvais-je refuser quoi que ce soit à ce saint homme? J’ai dit: d’accord et j’ai attendu ses instructions. Il a relevé ma manche gauche, a entouré mon bras avec ses lanières et m’a dit de répéter le Chema – ce dont je me souvenais depuis une colonie de vacances juive – et m’a dit de parler à D.ieu.
Cela m’a retourné. Bien que je fus déjà entré plusieurs fois à la synagogue, je n’avais jamais compris qu’il s’agissait de parler à D.ieu. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que je ne pensais pas qu’Il m’écouterait ou même qu’Il n’existait pas du tout.
L’homme déroula les lanières de mon bras et de ma tête. Il se tourna vers Lisa: “Alors, vous allez vous marier?” J’ai dit: “Oui, bientôt”. Il a dit Mazal Tov. Je n’ai pas voulu lui faire de peine et je n’ai rien dit.
Cette nuit-là, je n’ai pas fermé l’œil. Le lendemain, je suis retourné dans la boutique. L’homme faisait réciter le Chema à un autre client. J’ai attendu mon tour puis j’ai mis à nouveau les Téfilines. Je lui ai ensuite posé des questions, il m’a répondu et nous avons commencé à étudier ensemble: j’ai plus appris avec lui en une heure que je n’avais appris de toute ma vie.
Mais ce n’était pas suffisant. Mon cerveau captait, mais je ne parvenais pas à traduire dans l’action. Quand je signalais au commerçant que j’allais me rendre à New York, il me dit que je devais aller voir le Rabbi de Loubavitch à Brooklyn. C’est ce que j’ai fait. C’était la première fois que je le voyais mais je savais que c’était lui. Je sentais que c’était le moment ou jamais de lui parler. Et je lui ai demandé où se trouvait D.ieu. Il a répondu: partout. Mais je n’étais pas satisfait, j’ai dit: je suis sérieux ! J’ai vraiment besoin de savoir. C’est personnel. Je n’en ai pas besoin pour écrire une thèse mais pour moi, c’est vital. Je suis sérieux!
Et il a souri, comme s’il connaissait par avance ma réaction et qu’il espérait que je dise cela. C’est là qu’il a montré mon cœur du doigt et a ajouté: ici, D.ieu est en vous!
Des mots simples. N’importe qui aurait pu les prononcer. Mais le Rabbi en était sincèrement persuadé. Et parce qu’il y croyait, j’y ai cru moi aussi. Je me suis dit: “C’est sans doute cela, regarder dans les yeux de Moïse et obtenir un reflet de ma véritable personnalité dans ces yeux. Je me sentais comme une petite flamme qui danse et qui rejoint un feu bien plus grand.
A ce moment, le fossé n’exista plus. Mon cerveau avait rejoint mon cœur et j’ai pris la décision qui s’imposait…”
Yossi Marcus
traduit par Feiga Lubecki