Semaine 10

  • Tetsavé
Editorial
Que notre joie grandisse !

Le mois d’Adar vient, de nouveau, de s’ouvrir et une fois de plus, il nous fait pénétrer dans une contrée merveilleuse où les mots sont ceux de la joie et les couleurs, celles du bonheur. N’est-il pas surprenant que le simple déroulement du temps ait un tel pouvoir ? Car c’est bien là le seul changement intervenu : un mois est passé et voici que tout a brusquement pris une tonalité différente. Il est vrai que le temps est bien le tissu de nos vies et que, de ce fait, il en colore la substance. Pourtant, est-ce bien jusque-là qu’il faut voir la portée d’Adar ?
De fait, ce mois est différent de tous. Il est un temps de transformation, cette période éclairée par l’histoire de Pourim qui vit, au lieu de l’extermination annoncée du peuple juif, sa victoire sur ses ennemis de toujours. Ce brusque retournement fonde l’allégresse du mois. Celle-ci n’est, dès lors, plus soutenue par aucune démarche logique, elle éclate victorieuse aux yeux de tous. Elle porte en elle à la fois les prémisses et les fruits de cette victoire, à telle enseigne que la Tradition recommande de régler ses litiges de préférence en ce mois tant il est le vecteur d’éléments favorables.
Dès son début, la joie a donc sa pleine force. Mieux encore, nous sommes invités à la faire grandir jour après jour. Lorsqu’on sait que celle-ci présente une caractéristique éternelle, briser les barrières, on comprend la puissance du temps qui passe. C’est pourquoi, alors que déjà chacun pense à Pourim et entreprend de le préparer pour encore mieux le vivre, cette joie doit être notre compagnon fidèle, et peut-être le meilleur de nos guides, en ces temps si souvent obscurs.
Alors que beaucoup se demandent de quoi sera fait le lendemain, que le monde paraît trembler sur ses bases, voici que la plus grande, la plus pure des joies remet les choses en place. Ou plutôt, voici que, bouleversant la donne, elle rend aux hommes le sens de la grandeur, de la beauté et de la paix. Parfois, il suffit de savoir entendre les rythmes du temps pour que la vie triomphe. C’est justement ce qu’Adar propose. Engageons-nous dans son chemin, c’est l’allégresse infinie qui l’a tracé.
Etincelles de Machiah
Le temps du rire

En référence à la venue de Machia’h, les Psaumes (126: 2) annoncent: “Notre bouche se remplira de rire”. Si ce verset décrit parfaitement la joie qui s’emparera de nous en ce nouveau temps, il n’en reste pas moins qu’une question se pose. En effet, dans la mesure où la venue de Machia’h s’accompagnera d’une intense révélation de la Lumière Divine, littéralement sans précédent, quelle importance peut avoir le fait que “notre bouche s’emplira de rire”?
L’idée est, au contraire, essentielle. A ce moment, la joie et le plaisir de D.ieu se révèleront, ils seront la conséquence de l’accomplissement par les Juifs du service divin. C’est cette joie-là qui, justement, s’exprimera. Ainsi, le mot “vie” en hébreu a pour valeur numérique 414. C’est aussi celle de l’expression “Lumière infinie”. Cette identité souligne la vraie raison de ce “rire”: le plus grand plaisir de D.ieu.
(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 68
et Likouteï Torah, Bamidbar, p. 19d)
Vivre avec la Paracha
Tetsavé : Aharon

«Moché est vrai et sa Torah est vérité» (Talmud Baba Batra 74a)
«Sois parmi les disciples d'Aharon : celui qui aime la paix, poursuit la paix, aime les créatures de D.ieu et les rapproche de la Torah» (Maximes de nos Pères 1 : 12).

L'histoire de la génération formatrice du peuple juif trace le portrait de Moché comme l'incarnation parfaite du chef d'Israël. C'est lui qui sort les Enfants d'Israël d'Egypte. C'est lui qui reçoit la Torah de D.ieu et l'enseigne au peuple, etc. Mais une lecture plus attentive du récit de la Torah révèle que la conduite d'Israël devait être le résultat d'un double effort: toujours présent aux côtés de Moché est son frère aîné, Aharon.
Quand Moché affronte le Pharaon, c'est avec Aharon, qui joue un rôle majeur dans l'accomplissement des miracles et des plaies qui le forceront à libérer les Juifs.
Quand D.ieu ordonne Sa première Mitsva au Peuple Juif, elle est adressée à Moché et Aharon. Quand le peuple se plaint, c'est à Moché et Aharon qu'il adresse ses réclamations; quand Kora'h défie Moché, c'est également une rébellion (et en fait essentiellement) contre la place .
Ce qui est frappant à propos du duo Moché/Aharon est qu’Aharon n'entre pas dans le moule habituel du "bras droit" ou du "second". Il n'existe pas non plus une claire distinction des tâches réparties entre les deux frères. S'il est vrai que Moché paraît la figure dominante du récit, Aharon est un partenaire à part entière des événements et des entreprises qui transforment un clan d'esclaves libérés en Peuple de D.ieu. Tout se passe comme si Moché ne pouvait rien accomplir sans Aharon et ce dernier, quant à lui, paraît dépendant de Moché dans l'accomplissement de son rôle.
La construction et le service dans le Tabernacle nous en offrent un exemple. Dans la Paracha Tetsavé, nous lisons la façon dont D.ieu assigne à Aharon et à ses fils la responsabilité de conduire le service dans le Tabernacle : ils doivent représenter le Peuple dans les tentatives pour s'approcher de D.ieu en Lui offrant des sacrifices et en accomplissant les autres services du Sanctuaire. Il semblerait que cela désigne le Sanctuaire comme étant le domaine d'Aharon. Et pourtant, comme cela a été mentionné plus haut, c'est Moché qui doit construire le Tabernacle. Et c'est Moché qui doit initier Aharon à la prêtrise. Pendant sept jours, Moché doit servir de Cohen (assumant en effet le rôle d'Aharon), offrant les sacrifices apportés par Aharon et ses fils. Le Tabernacle sera de fait le domaine d'Aharon, après les sept jours d'initiation. Seuls lui et ses fils pourront y accomplir le service, mais c'est un domaine qu'ils ne peuvent atteindre qu'en conjonction avec Moché.

Le baiser
Les versets qui ouvrent notre Paracha offrent un exemple frappant de l'interchangeabilité des rôles de Moché et d'Aharon.
«Et toi (dit D.ieu à Moché) tu commanderas aux enfants d'Israël qu'ils t'apportent de l'huile d'olive pure écrasée pour que la lumière s'élève de la lampe qui brûlera toujours».
«Dans la Tente d'Assignation, en dehors du Paro'het qui se trouve devant le Témoignage, Aharon et ses fils l'ordonneront du soir au matin devant D.ieu».
La tâche d'allumer la Menorah revenait à Aharon et à ses fils; et pourtant l'huile pour l'allumer devait être apportée à Moché.
En fait, c'est dans ces deux versets que réside la clé pour comprendre le partenariat de Moché et d'Aharon dans la direction d'Israël.
Dans Chemot 4: 27, la Torah décrit une rencontre émouvante des deux frères au pied du Mont Sinaï. Soixante ans plus tôt, jeune homme de vingt ans, Moché avait fui l'Egypte ; maintenant, le berger de 80 ans était sur le chemin de retour de l'Egypte, missionné par D.ieu pour libérer son peuple de l'esclavage.
Et D.ieu dit à Aharon : «va dans le désert à la rencontre de Moché». Et il y alla et le rencontra au pied de la montagne de D.ieu et il l'embrassa.
Le Midrach décrit de façon plus profonde le baiser des frères:
C'est à cela que se réfère le verset (Psaumes 85 : 11) quand il dit «la bienveillance et la vérité se sont rencontrées, la droiture et la paix se sont embrassées». La bienveillance, c'est Aharon, la vérité, c'est Moché. La droiture, c'est Moché, la paix, c'est Aharon.
Moché et Aharon avaient la tâche de créer un peuple qui allait servir comme «lumière de D.ieu pour les nations», qui allait disséminer la sagesse et la volonté de D.ieu, Sa création. C'est une tâche qui est, par définition, impossible: D.ieu est infini, parfait et absolu; le monde qu'Il a créé est fini, toujours insatisfait et terriblement instable. Et pourtant, le Juif doit et peut dépasser ce paradoxe, il fait de sa vie un ensemble d'absolus divins basés sur un monde temporel.
Les deux aspects de ce paradoxe s'expriment dans les versets cités ci-dessus du commencement de Tetsavé: le peuple d'Israël est appelé pour "élever une lampe qui brûle sans fin", une lampe éternelle et immuable; et pourtant cette lampe doit brûler et jeter sa lumière «du soir au matin», au sein même des conditions toujours changeantes du monde temporel dans lequel alternent, se mélangent et se supplantent la lumière et l'obscurité.
C'est ici que se trouvent délimitées les fonctions respectives de Moché et d'Aharon : Moché est la source de "l'huile pure" qui nourrit "la lampe éternelle", Aharon est celui qui introduit la lumière dans la réalité "du soir jusqu'au matin".
Forger une nation qui dépassera ce paradoxe requiert "des représentants" des diverses forces divines en jeu: d'un côté, les attributs divins de "vérité" et de "justice" d'où émergent la perfection et l'immuabilité de la Torah de D.ieu; de l'autre, les attributs divins de "paix" et de "bienveillance" d'où jaillissent la diversité et la subjectivité de la création de D.ieu.
Moché, Maître de la Torah et rapporteur de la sagesse et de la volonté divines, est la représentation absolue de la perfection et de la vérité. Aharon qui figure l'effort humain pour servir D.ieu en élevant jusqu'à Lui les matériaux de Sa création est le véhicule de la bienveillance et de la paix. Ensemble, ils font le pont entre le Créateur et Sa création et conduisent Israël,.
Le Coin de la Halacha
Que fait-on à Pourim ?

Cette année, Pourim tombe le mardi 10 mars 2009.
Lundi 9 mars 2009, on jeûne du matin au soir (de 5h 42 à 19h 25 horaires pour Paris), c’est le jeûne d’Esther. Le matin, on récite les Seli’hot et la prière «Avinou Malkenou». Avant l'office de Min'ha, l'après-midi, on donne trois pièces de cinquante centimes d’euro à la Tsedaka (charité) en souvenir de l'offrande des trois demi-sicles pour la construction et l'entretien du Temple. Dans la Amida, on rajoute la prière «Anénou».
Lundi 9 mars, après la prière du soir, on écoute attentivement chaque mot de la Méguila, le rouleau d’Esther.
Pourim, les enfants se déguisent dans l'esprit de la fête en évitant de se déguiser en «méchant».
Mardi matin 10 mars, ou éventuellement plus tard dans la journée :
(1) on écoute à nouveau chaque mot de la lecture de la Méguila.
(2) ce n’est qu’après avoir écouté la Méguila qu’on peut procéder aux autres Mitsvot de Pourim : on offre au moins deux mets comestibles à un ami, en passant par un intermédiaire : un homme à un homme, et une femme à une femme : ce sont les «Michloa'h Manot» ;
(3) on donne au moins une pièce à deux pauvres pour leur permettre de célébrer la fête, c'est : «Matanot Laévyonim».
(4) mardi après-midi, on se réunit pour prendre part au festin de Pourim dans la joie.

Mercredi 11 mars, c’est Chouchane Pourim, le Pourim des «villes fortifiées» dont Jérusalem. On ne récite pas les prières de supplication, Ta’hanoune, et on partage la joie du peuple juif où qu’il se trouve.

F. L.
De Recit de la Semaine
Le parachutiste

Il y a quelques mois, j’ai été invité par un habitant du Kibboutz Alonim à célébrer le «Pidyone Habène», le rachat de son fils premier-né. Après avoir pris tous les renseignements nécessaires au regard de la Hala’ha, je suis arrivé à l’heure dite. Un autre Cohen se trouvait déjà sur place ; le corps recouvert de tatouages, il expliqua : «Ces dessins, c’est un souvenir de mon séjour à Goa, en Inde. D.ieu merci, par la suite j’ai eu la chance de faire la connaissance de Rav Doudou Lider, l’émissaire du Rabbi à Melbourne. Grâce à lui, je me suis renforcé dans mon judaïsme et maintenant, je mets les Téfilines chaque jour !»
Le père de l’enfant avait préparé un petit déjeuner lacté pour ses invités, afin d’éviter tout problème de cacherout. Je lui avais demandé auparavant de m’acheter du pain dans la fameuse boulangerie cachère Angels afin que je puisse prendre un repas à base de pain, comme il est de coutume pour un Pidyone Habène.
Ensuite arriva un Kibboutznik typique : une queue de cheval avec un bandana, un short et des sandales. De fait, c’était le grand-père du bébé. Son fils me fit faire sa connaissance.
- Enchanté ! Mazal Tov ! Je m’appelle Menaché ! déclarai-je en lui serrant la main.
- Et moi, c’est Amir. Vous savez, moi, je suis plutôt opposé à toutes ces choses-là… (faisant allusion à l’«étrange» volonté de son fils de pratiquer une cérémonie religieuse traditionnelle : lui, bien sûr, était libéré de ces pratiques d’un autre âge…)
Je répondis que cette remarque était stimulante et remarquai : «En tant qu’ancien footballeur, je sais que personne ne donne un coup de pied en l’air s’il n’y a pas quelqu’un en face…»
A cet instant précis, je me suis souvenu d’une lettre du Rabbi que j’avais lue une fois dans le magazine Kfar Chabad. Le Rabbi écrivait en 1969 à un capitaine des parachutistes : il lui adressait sa bénédiction et soulignait l’importance de sa responsabilité car il devait montrer l’exemple aux soldats qu’il entraînait. En effet, les soldats observent l’attitude de leur capitaine même dans les situations qui ne sont pas du domaine des relations de supérieur à simple soldat. Ce qui explique que sa responsabilité est double… A la fin de sa lettre, le Rabbi ajoutait que – en accord avec la parole du Baal Chem Tov : «De chaque chose qu’on voit ou qu’on entend, on doit prendre un enseignement dans sa façon de servir D.ieu – ce qu’on doit apprendre du parachutisme, c’est que l’opposition est la condition du succès…»
Le Rabbi n’avait pas besoin d’élaborer sur ce sujet puisque chaque parachutiste apprend dès le début de son entraînement que, s’il n’y a pas une force qui s’oppose à lui, il ne peut arriver à terre entier – que D.ieu préserve ! Il ne fallait donc pas craindre l’opposition, concluais-je en souriant.
Ensuite, avant de procéder à la cérémonie – dans la cour de la maison, j’ai expliqué brièvement le sens du Pidyone Habène.
Je suis retourné dans la maison pour me laver les mains rituellement et je m’aperçus que le grand-père de l’enfant se trouvait à côté de moi. Je lui demandai gentiment : «Alors, il y a eu de l’opposition ?» et il répondit sur le même ton : «Non, pas d’opposition».
Il disparut et n’assista pas au petit déjeuner qu’avait préparé son fils car il avait sans doute honte de lui-même…
Le Yom Kippour suivant, le Cohen du Kibboutz est arrivé dans notre synagogue et je lui racontai ma rencontre avec le grand-père de l’enfant.
Le Cohen remarqua : «Tu ne t’imagines pas à quel point tu as fait mouche ! Cet homme est un ancien parachutiste ! Tu l’as touché au plus profond de lui-même !»

Menaché Althaus
Kfar Chabad n°1316
traduit par Feiga Lubecki