Semaine 45

  • Le’h Le’ha
Editorial
La crise et le rêve

Comme souvent les grandes civilisations, l’occident a su construire, au fil du temps, des sociétés fières d’elles-mêmes, de leur réussite et de leur puissance. Il a su cultiver sa vision du monde et, dans son expansion, la transmettre à toute la planète. Renonçant parfois au bénéfice d’inventaire, la plupart des hommes ont finit par adopter, avec plus ou moins d’enthousiasme, cette vision. Qui n’aspire pas à la liberté, au bonheur et à l’abondance présentés comme le but de l’Histoire ? Certes, tout cela avait un prix : un certain renoncement à son propre héritage d’esprit et de cœur au profit d’une culture mondialisée, quelques exclus du merveilleux projet, dépassés par ce nouveau monde, une certaine destruction des cadres de vie, des tensions diverses, plus ou moins inquiétantes. Mais au moins le rêve avait-il toujours les couleurs de l’avenir. Au moins semblait-il toujours en état de structurer les fameux – et éternellement attendus – lendemains qui chantent. Et voilà qu’il suffit d’un rien…
Il aura donc suffi d’une tempête financière, de chiffres qu’on a peine à se représenter tant ils alignent de zéros, de courbes hier conquérantes qui découvrent, peut-être avec effroi, le chemin des abîmes, pour que toute cette belle construction montre ce qu’elle est : un édifice assez léger pour grandir sous l’effet de vents porteurs mais qui menace d’effondrement ceux qui y ont trouvé abri quand les vents sont contraires. Mais comment ce qui semblait si solide peut-il, si brutalement, devenir si fragile ? Comment un si brillant système peut-il en arriver à ruiner tant d’existences ? N’est-ce pas aussi parce qu’il y manquait un élément qui, invisible, donne assise et fermeté comme la solide structure interne d’une construction aérienne ? Et si, finalement, cela s’appelait une âme, un sens des choses ? Et si les turbulences actuelles étaient l’occasion de les retrouver ?
Lorsque l’environnement habituel est bousculé, voici que nous retrouvons la fragilité des choses. Voici que l’instabilité, que nous avions parfois cru avoir conjurée, revient comme une règle qui s’impose avec toute la force des choses longtemps contenues. De cette instabilité, il est possible de faire germer un sentiment essentiel. La seule matérialité ne peut constituer un mode de vie. La poursuite incessante et jamais satisfaite d’une richesse par nature éphémère ne peut être chemin de vie. Alors, il faut lui donner sens. Nous savons que le judaïsme trace une voie dans ce monde, qu’il sait y conduire chacun pour le bonheur, la liberté… Un rêve ? Comme tous les espoirs, mais il sait ne pas s’effondrer.
Etincelles de Machiah
Quand le prophète Elie viendra-t-il ?
Nos Sages enseignent qu’il faut attendre la venue de Machia’h constamment. C’est là le sens de la phrase que nous disons dans la prière : «En Ton salut, nous avons confiance tout le jour». Elle signifie que notre certitude de la venue de Machia’h est si forte que véritablement chaque moment du jour nous attendons son avènement.
Cependant, une question se pose. Il est dit que le prophète Elie viendra annoncer cette venue. Dès lors, comment peut-on penser que le Machia’h viendra à présent puisque le prophète ne l’a pas encore annoncé ? Mais cette procédure ne sera applicable que si la venue de Machia’h se déroule selon un processus habituel qualifié par le Talmud de «en son temps». Au contraire, si elle arrive «en hâte», Machia’h pourra être présent alors que le prophète ne sera pas encore venu.
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch) H.N.
Vivre avec la Paracha
Le’h Le’ha : Une percée

«Avraham construisit une auberge à Beer Chéva et y appela au nom de D.ieu…» (Béréchit 21:33)

Quelle relation y a-t-il entre construire une auberge et y appeler au nom de D.ieu ?
Nos sages interprètent ce verset dans ces termes : Ne lisez pas «il appela» mais plutôt «il fit appeler les autres». Dans son auberge, dans la terre aride du désert de Beer Chéva, Avraham offrait l’hospitalité aux voyageurs épuisés et ils les amenaient à la foi en un D.ieu unique.
Après avoir été pleinement rassasiés, ses invités se levaient, remerciaient leur hôte et s’apprêtaient à prendre congé. C’est alors qu’Avraham leur disait : «Qu’avez-vous mangé qui m’appartienne ? C’est le D.ieu du Monde qui vous a nourris. Remerciez-Le et bénissez Celui Qui par Sa parole a permis l’existence du monde». C’est ainsi qu’agissait Avraham avec tous ses invités, faisant ainsi progresser le but central de sa vie ; la dissémination dans le monde de la foi en D.ieu.
Et que se passait-il si ses invités se refusaient à louer D.ieu pour l’hospitalité dont ils avaient joui ? Le Midrach nous rapporte ce que faisait Avraham si cette situation survenait.
Si l’invité se refusait à décliner la bénédiction, Avraham lui présentait alors la note de frais d’auberge. Fixant un prix exorbitant pour chaque victuaille, il défiait son invité en ces termes : «qui d’autre vous donne du vin au milieu du désert ? Qui vous donne de la viande dans le désert ? Du pain en plein désert ?» Face à la perspective d’une dette énorme, l’invité optait pour l’offre originelle d’Avraham et récitait la bénédiction requise.
Des éclaircissements nous sont nécessaires. La méthode employée par Avraham pour disséminer le monothéisme semble ne pouvoir être qualifiée que de coercition. Il devient alors difficile de percevoir le bienfait d’obtenir une acceptation momentanée et superficielle à ses exigences. Ceux qui n’avaient pas envie de prier D.ieu prétendaient le faire en présence d’Avraham puis partaient. Quel intérêt ?

Et pourtant, le Midrach affirme, concernant cette attitude dans l’auberge de Beer Chéva, que D.ieu dit à Avraham : «Mon nom n’était pas reconnu par Mes créatures. Tu as fait en sorte que Mon nom soit reconnu par celles-ci, aussi Je considère que tu as été un partenaire pour Moi dans la création du monde». Il apparaît donc que les méthodes d’Avraham avaient un effet très réel et ce, à une échelle grandiose.
Mais comment cette pratique rencontra-t-elle tant de succès? Comment la force peut-elle aboutir à autre chose qu’à un service «des lèvres» ? Et si réellement, les louanges qu’Avraham obtenait par force de la part de ses invités étaient prononcées sincèrement, comment cela fut-il possible par le biais d’un chantage ?

Le désir véritable
Si nous parlions d’un Juif obligé d’accomplir une Mitsva ou empêché d’en transgresser une, nous citerions l’enseignement de Maïmonide dans ses Lois du Divorce. Si un homme est obligé de divorcer de sa femme mais refuse de lui présenter le document de divorce, la cour rabbinique peut l’obliger à accepter en recourant à des sévices corporels, et alors le divorce est valide. Comme cela a été expliqué, même lorsqu’un Juif est forcé de faire ce que la Torah demande de lui, il est considéré comme ayant agi de sa propre volonté. Cela en dépit du fait que, selon la loi juive, un acte de divorce est invalide s’il n’est pas donné volontairement.
Cette règle s’appuie sur une base mystique. L’âme divine d’un Juif, néfèch hahélokit, est conduite par un désir unique : servir D.ieu. C’est cette âme qui renferme la volonté profonde et essentielle du Juif. Mais parfois, ce désir est supprimé et l’on peut être poussé à ignorer la loi de la Torah. Pourtant, ce sentiment n’émane pas de l’intériorité du Juif mais est plutôt le résultat d’une influence extérieure, le Yétsér Hara (penchant vers le mal), qui agit sur lui.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons désormais comprendre les mécanismes spirituels qui auraient motivé les méthodes d’Avraham s’il avait forcé des Juifs à l’observance de la Torah. Mais en fait, ce n’était pas son cas. Avraham imposait le service de D.ieu à chaque non Juif qui passait par son auberge. Il ne s’agissait pas ici de s’occuper d’une dichotomie entre un désir intérieur et un désir extérieur à l’homme. Si ces hommes n’avaient pas le désir de louer D.ieu, c’était précisément ce qu’ils ressentaient et il n’y avait nul besoin qu’ils fassent une démonstration hypocrite.
Nous devons donc dire qu’Avraham les motivait réellement pour qu’ils louent sincèrement D.ieu. Ainsi, alors qu’il semblait les obliger à accomplir ce commandement, et c’est ce que nous allons comprendre, d’une certaine façon, il les menait à une foi sincère et nouvelle en D.ieu.

L’homme laid et le Sage
Le Talmud relate une histoire concernant le Sage de la Michna, Rabbi Eléazar qui, un jour qu’il voyageait, rencontra un homme qui était «extrêmement laid». Rabbi Eléazar lui dit : «O homme vide ! Comme tu es laid ! Est-ce que tous les gens issus de ton pays sont aussi laids que toi ?». Interloqué, l’homme répliqua : «Va chez le Maître d’œuvre Qui m’a fabriqué et dis Lui : le récipient que Tu as fait est laid !»
Nous nous posons une question : Rabbi Eléazar ne savait-il pas, avant la réponse de l’homme, que le corps d’un homme est le travail de D.ieu ?
Et plus encore, comment est-il possible qu’un homme de la stature de Rabbi Eléazar se permette de parler d’une façon si cruelle ?
Cependant cette histoire peut s’éclairer d’une autre perspective. L’homme était, certes, laid. Mais cela n’était pas le souci de Rabbi Eléazar. Ce dernier avait contemplé l’homme dans sa stature spirituelle, laide et vide de tout mérite. Et dans cette situation, cet homme n’avait pas même la sensibilité pour reconnaître combien sa situation était grave et ne pouvait donc, à cause de sa bassesse, recevoir aucun conseil que Rabbi Eléazar aurait pu lui prodiguer. Le Sage avait donc pour but de briser cet aveuglement en portant atteinte à l’égo de cet homme. Et c’est ce qui se passa. Surpris et blessé, l’homme chercha dans son cœur et avança la seule vraie réponse : «Adresse toi à Celui Qui m’a créé et dis Lui : le récipient que Tu as créé est laid». A ce moment précis, il se souvint du D.ieu Qui l’avait créé et de plus, que D.ieu est un Maître d’œuvre Qui façonne ses récipients avec un but et une intention.
L’homme fut pris d’une conscience poignante d’une idée qu’il n’aurait pu entendre une seconde plus tôt. Dans ce moment d’humiliation, il regagna une sensibilité qui l’éleva hors de sa laideur et intensifia, sur le champ, sa relation avec D.ieu.
Après cette rencontre, Rabbi Eléazar demanda des excuses à l’homme qui répondit : «Je ne te pardonnerai que si tu ne t’habitues pas à parler ainsi». La grande majorité des gens, même ceux qui sont «laids» dans leurs actes et leur caractère, n’ont pas besoin d’être humiliés pour arriver à une prise de conscience. Toutefois, l’homme ne stipula pas que Rabbi Eléazar ne devrait plus jamais parler ainsi car, comme nous l’enseigne notre histoire, parfois, pour certaines personnes, dans de rares situations, l’élévation spirituelle ne peut survenir que si leur grossièreté est brisée par un moment de désespoir.

La requête d’Avraham
L’idée qui précède, le fait qu’un moment de désespoir peut faire jaillir un progrès sincère dans le développement spirituel, est celle qui animait Avraham. Il ne présentait pas à ses invités obstinés une note effarante pour leur faire du chantage. Mais il avait pour intention de créer une situation dans laquelle ses invités devenaient, et de façon aigüe, conscients de leur situation sans issue. Cela brisait ce qui les empêchait de percevoir la validité de la requête d’Avraham par eux-mêmes.
Le niveau auquel aspire tout non Juif est celui d’un Juste des nations qui observe les 7 commandements adressés à Noa’h et à lui est promise une part dans le Monde Futur. L’un des ces 7 commandements est la foi en D.ieu.
C’est aussi la raison pour laquelle Avraham s’engageait dans des discussions avec des preuves et des raisonnements. Mais quand il rencontrait un invité exceptionnellement têtu, il tentait alors de briser cette grossièreté, orchestrait soigneusement un moment de désespoir et c’est alors que les explications précédentes commençaient à pénétrer et l’invité prenait conscience de la vérité et s’exclamait : «Béni soit D.ieu Dont nous avons consommé le monde».
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que la bénédiction de la lune ?

«Bénir la nouvelle lune en son temps est considéré comme accueillir la Présence divine» (Talmud).
Une fois par mois, alors que la lune est en phase ascendante, les Juifs récitent une bénédiction particulière appelée «Kiddouch Levana».
On peut réciter le Kiddouch Levana dès le troisième jour du renouveau de la lune – qui s’appelle le Molad. Mais, selon la Kabbale, il est préférable d’attendre une semaine entière. Par contre, on ne peut plus réciter cette prière après le 15ème jour du mois lunaire car la lune décroît.
Le meilleur moment pour réciter cette prière est le samedi soir, quand on quitte la synagogue et qu’on porte encore les habits de Chabbat.
On ne peut réciter cette prière que si la lune est visible et n’est pas obstruée par les nuages. On se tient à l’extérieur et on regarde la lune puis on se tourne vers l’est et on récite la bénédiction avec les versets et prières qui l’accompagnent. Plus il y a de participants pour cette courte cérémonie, mieux c’est car, après tout, on accueille la Présence Divine !
En présence d’un Minyane – dix Juifs – on récite le Kaddich.
Bien entendu, on n’adresse pas de prière à la lune mais à son Créateur pour Son œuvre merveilleuse qu’est le cycle cosmique. La lune possède le cycle mensuel le plus évident de toutes les étoiles et planètes. C’est pourquoi nous saisissons l’occasion de son renouvellement, de sa renaissance pour bénir D.ieu pour ce chef-d’œuvre.
Par ailleurs, le peuple juif est comparé à la lune, avec des périodes triomphantes puis des périodes décroissantes tout au long de son histoire. Il en est de même pour la Che’hina, la Présence Divine – qui est aussi comparable à la lune, par cet aspect-là. Le fait de bénir la lune lors de sa réapparition est une manière de renforcer notre confiance en D.ieu car nous sommes sûrs que la lumière de sa Présence emplira bientôt le monde quand notre peuple sera délivré de l’exil avec la venue de Machia’h.
Et c’est pourquoi cette petite cérémonie se termine avec des chants et des danses joyeuses.

F. L.
De Recit de la Semaine
Les franges problématiques

La liberté de culte était totalement inconnue pour nous, citoyens d’Union Soviétique. Depuis ma plus tendre enfance, on m’avait inculqué que chacun de mes gestes était surveillé. Chaque pas que je faisais dans la rue était observé et je devais me retourner fréquemment pour voir qui me suivait. Constamment, j’étais épié par des informateurs du K.G.B., spécialement ceux de la « Yevsektsia », la section juive du parti communiste, dont la mission était de déraciner toute trace de religion de la glorieuse Union Soviétique, avec une insistance particulière sur le judaïsme.
Une famille comme la mienne provoquait la rage du K.G.B. On savait que nous étions des membres des «Schneersohn», comme on appelait là-bas les ‘Hassidim de Loubavitch, d’après le nom de notre Rabbi. Ces ‘Hassidim travaillaient inlassablement pour maintenir vivante la flamme du judaïsme et pour créer les infrastructures minimum de toute communauté digne de ce nom. Ce sont les «Schneersohn» qui bâtirent un réseau clandestin d’écoles juives, de synagogues, de Mikvaot (bains rituels) et qui s’efforçaient d’obtenir les objets rituels.
Telle fut mon enfance. Malgré les risques et malgré la constante vigilance qui s’imposait à toute notre famille, nous menions une vie juive traditionnelle : prière, étude de la Torah, cacherout, Chabbat mais aussi réunions ‘hassidiques avec chants et danses dans la plus pure tradition Loubavitch. Bien entendu, tout ceci se déroulait dans une clandestinité absolue.
L’école laïque était obligatoire ; la vie y était particulièrement redoutable pour un jeune garçon comme moi, soucieux de suivre les lois et traditions juives. Par exemple, j’avais toutes les peines du monde à trouver chaque jour un endroit pour me laver les mains rituellement avant de manger mon sandwich.
Trois de mes camarades de classe étaient eux aussi pratiquants. Bien entendu, nous restions soudés pour nous soutenir mutuellement. Après l’école, nous nous rendions ensemble dans un endroit secret afin d’étudier la Torah. Parfois l’emplacement de cette «école» clandestine changeait quatre ou cinq fois durant la même semaine car on craignait que l’endroit précédent n’ait été repéré par la police secrète. Pour nous, ces précautions étaient devenues normales, nous n’imaginions pas – dans nos rêves les plus fous – qu’une école juive puisse être acceptée officiellement par un quelconque gouvernement.
Un jour, le directeur de l’école entra dans notre classe. Il était accompagné par l’infirmière scolaire : jamais nous ne les avions aperçus visiter ensemble une classe. Il nous informa que nous allions tous être vaccinés.
Ce qui peut sembler être une occasion de se divertir pour mes compagnons fut pour moi une perspective effrayante. Je portais un «Talit Katane» sous ma chemise. Le Talit Katane est comme un tee-shirt ouvert sur le côté et dont les quatre coins sont ornés de franges rituelles serrées par des nœuds : ce vêtement nous rappelle les 613 Mitsvot contenues dans la Torah.
Quand j’enlèverai ma chemise pour recevoir la piqûre, l’infirmière remarquerait immédiatement mon Talit Katane – normalement caché – me poserait des questions et… les conséquences pourraient être terribles : il ne s’agirait pas d’une enquête sociale, avec éventuellement une amende infligée à mon père pour m’enseigner de telles «sornettes moyenâgeuses». Cela pouvait signifier la prison pour mon père – et même pour moi. Mon père avait déjà subi une peine d’emprisonnement auparavant ainsi que les pères de mes camarades. Les prisons soviétiques… C’était l’horreur absolue, surtout pour des Juifs pratiquants. Je sentis une vague de chaleur me traverser puis je ne mis à frissonner de froid. Immédiatement, je décidai d’un plan : je demandais la permission d’aller aux toilettes et là, je pourrais enlever discrètement mon Talit Katane.
- Bien sûr ! déclara le directeur. Tu seras le premier à recevoir la piqûre puis tu pourras aller aux toilettes !
Patatras ! Peut-être pensait-il que je cherchais à éviter le vaccin : je suis sûr qu’il ne soupçonnait pas l’existence de mon Talit Katane.
En soulevant ma chemise, je pris soin de soulever aussi mon Talit Katane en veillant à ce que les franges ne dépassent pas. Tout se passa bien. L’infirmière m’administra la piqûre et ne dit pas un mot sur mon accoutrement : l’avait-elle seulement remarqué ? Peut-être que oui mais cela ne l’avait pas interpellée. Soulagé, je respirai profondément.
Le lendemain, durant la pause du repas, l’infirmière me convoqua dans son bureau. J’étais maintenant persuadé qu’elle avait tout remarqué et que de graves ennuis se préparaient. Elle ferma la porte derrière moi et me demanda, à voix basse, comme si elle craignait elle aussi d’être espionnée : «Ce sont des Tsitsit ou des Téfilines ?»
Vous pouvez imaginer combien je fus stupéfait.
Elle continua, m’expliqua qu’elle aussi était juive et qu’elle se souvenait que son grand-père portait ce genre de vêtement. Elle se souvenait distinctement juste de deux sortes d’objets rituels et elle voulait savoir comment s’appelait celui que je portais… Je répondis qu’effectivement, les franges de mon Talit Katane s’appelaient des Tsitsit.
Heureuse de pouvoir maintenant parler ouvertement, elle me confia qu’elle avait admiré ma force de caractère et mon courage. De voir un enfant juif maintenir les traditions même dans un environnement aussi hostile l’avait réconfortée quant à l’avenir du judaïsme en pays communiste. Nous avons longuement discuté de mes difficultés personnelles à l’école et elle s’engagea à me permettre de venir chaque jour dans son bureau afin que je puisse me laver les mains rituellement et manger mon repas tranquillement sans me faire remarquer et sans être incommodé par la façon sauvage de manger de mes camarades. C’est effectivement ainsi que l’épreuve de l’école publique devint pour moi et mes camarades plus supportable.

Betsalel Schiff
Kfar Chabad
traduit par Feiga Lubecki