Semaine 48

  • Vayéchev
Editorial
Que le jour se lève !

L’histoire est connue. Dans la semaine du 19 Kislev, «Roch Hachana de la ‘Hassidout», elle s’impose avec une urgence impérative : «Un jour, le Baal Chem Tov laissa son âme s’élever dans les mondes spirituels. Là, il parvint jusqu’au ‘Palais du Machia’h’. Il posa alors à ce dernier l’éternelle question : ‘Maître, quand viendras-tu ?’ ‘Quand les sources de tes enseignements se seront répandues au dehors’ lui fut-il répondu.»
Certes, l’histoire n’est pas nouvelle. Elle fait même partie de ce fonds traditionnel qui a le secret de réapparaître à chaque fois que l’on en a besoin, et toujours de manière opportune. N’est-ce pas, cependant, l’occasion d’en retrouver toutes les implications ? L’image est véritablement vertigineuse : le Baal Chem Tov, fondateur du ‘hassidisme, interrogeant le Machia’h sur le temps de sa venue… Il est vrai que cette question est sur les lèvres de tous depuis que le monde fut créé et qu’elle ne cessera d’être posée que lorsque l’avènement tant attendu se sera enfin concrétisé. Pourtant, un tel dialogue interpelle. Il nous dit que l’attente est constante et partout, que les mondes spirituels eux-mêmes l’expriment. Il nous dit aussi que la réponse est largement entre nos mains.
De fait, Machia’h, interrogé, livre ici une clé : la diffusion des enseignements du Baal Chem Tov, la ‘Hassidout, est le secret de sa venue. Il est loisible de s’interroger sur cette relation. L’étude de la Torah est toujours essentielle, dans toutes ses parties. Pourquoi la ‘Hassidout joue-t-elle particulièrement comme un rôle de catalyseur des efforts millénaires du peuple juif ? Elle est l’essence ultime, que D.ieu révéla parce que la lumière doit toujours l’emporter sur l’obscurité. Elle est cette essence qui pénètre tout et ne se confond avec rien tant elle transcende tous les niveaux qu’elle peut rencontrer. Elle est cette essence qui anime tout ce en quoi elle se revêt.
Mais cette «diffusion» doit aller plus loin encore. Elle ne doit pas se contenter de rester limitée à un cercle d’initiés, voire à un large groupe d’érudits enthousiastes. Elle doit atteindre «l’extérieur» : ce domaine où tous les efforts, même les mieux intentionnés, renoncent. Elle doit atteindre aussi «l’extérieur» personnel de chacun, cette zone d’ombre de la personnalité que la lumière ne parvient pas toujours à percer. La ‘Hassidout ? Une étude, une vision, une lumière. Voici que le jour se lève.
Etincelles de Machiah
«Diffuser les sources»

Comment est-il possible de dire que, précisément dans notre génération – une génération imparfaite – il doit y avoir l’œuvre de «diffusion des sources de la ‘Hassidout à l’extérieur» ?

A l’approche de la Délivrance future, le mode précédent de service de D.ieu – sans cette «diffusion des sources à l’extérieur» – présente un manque. Aussi, c’est dans ces dernières générations, et particulièrement dans la nôtre, que notre effort doit se déployer dans ce sens avec encore plus de puissance et d’énergie.
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Toledot 5744) H.N.
Vivre avec la Paracha
Vayéchèv : Un moment de solitude

La Paracha de cette semaine relate l’histoire dramatique de Yossef, un jeune homme extrêmement beau, qui accapara l’esprit de la femme de son maître. Elle tenta désespérément de l’entraîner dans une relation intime, mais il ne cessa de refuser.
Et puis vint le jour fatal «quand il entra dans la maison pour faire son travail et aucun membre du personnel n’était à l’intérieur. Elle l’attrapa par son manteau et le supplia : «viens avec moi». Il la fuit, laissant son manteau entre ses mains et se précipita à l’extérieur.»
Humiliée et furieuse, elle utilisa le manteau comme preuve qu’il avait tenté d’abuser d’elle. Son mari, Potiphar, fit emprisonner Yossef pendant les douze années suivantes jusqu’au jour où, par une succession étonnante d’événements, Yossef devint vice-roi d’Egypte.
La question qui se pose est la suivante : pourquoi cet épisode est-il relaté avec force détails dans la Torah ? L’objectif de ces chapitres est de raconter la manière dont la première famille juive arriva en Egypte. C’est pourquoi, nous lisons la vente de Yossef comme esclave en Egypte, sa condamnation à la prison et sa rencontre, en ces lieux, avec les ministres du roi. Cela aboutit finalement à sa libération et à sa nomination comme vice-roi du pays, dans une période critique de famine. C’est ce qui, en dernier ressort poussa son père et toute sa famille à émigrer en Egypte.
Pourquoi donc la Torah trouve-t-elle nécessaire de relater l’histoire de la lutte entre Yossef et la femme de son maître ? Qu’y a-t-il d’important pour nous à connaître les détails de l’épisode qui causa son emprisonnement ?

Le visage de Yaakov
Le Midrach explique la phrase selon laquelle Yossef «entra dans la maison pour faire son travail et aucun membre du personnel n’était à l’intérieur». Quel travail Yossef venait-il accomplir ?
Le Midrach indique que le «travail» de Yossef consistait, en fait, à céder aux avances de cette femme. Après toutes ses suppliques incessantes, Yossef était sur le point de succomber. Mais au moment où cette union allait se matérialiser, le visage de son père, Yaakov, lui apparut soudainement. Cela l’incita à rejeter la tentation et à fuir.
A nouveau une interrogation nous assaille : qu’y avait-il dans le visage de Yaakov qui puisse inspirer Yossef au point de repousser une telle tentation ?

L’esclave solitaire
Réfléchissons de plus près à la condition psychologique et physique de Yossef, en ce jour fatidique.
Yossef était un esclave de dix-huit ans, dans un pays étranger. Il ne possédait pas même son propre corps, puisque son maître exerçait un contrôle absolu sur sa vie. Il n’avait pas le moindre ami, pas un seul membre de sa famille près de lui. Sa mère, Ra’hel, était décédée alors qu’il n’avait que neuf ans et son père le croyait mort. Ses frères le haïssaient, c’étaient eux qui l’avaient vendu comme esclave et lui avaient dérobé sa jeunesse. On peut aisément imaginer le sentiment profond de solitude qui régnait dans le cœur de ce jeune homme.
C’est dans ce contexte qu’il nous faut comprendre le dilemme de Yossef. Une personne vivant dans une telle solitude peut non seulement succomber à des tentations d’une puissance extrême mais également ressentir qu’une action unique de sa part ne changera rien au cours ultime des choses.
Après tout, quel était le danger ? Il était probable que personne ne découvrirait jamais ce qui s’était passé. Yossef ne devait pas rentrer le soir chez lui pour affronter une épouse dévouée ou un père spirituel. Il ne devait pas non plus rejoindre une famille ou une communauté garantes de valeurs morales. Il se retrouverait seul, après les faits, tout comme il l’était avant. Alors quelle importance pouvait bien revêtir cet acte isolé ?
De plus, il nous faut prendre en considération la puissance que possédait cette noble égyptienne qui tentait de séduire Yossef. Elle était en posture de transformer sa vie en paradis ou en enfer. En fait, c’est ce qu’elle fit par la suite, le faisant incarcérer pendant douze ans sur des accusations fallacieuses.
Quel fut donc le secret de la rectitude morale de Yossef ? Qu’est-ce qui donna à un esclave solitaire et fragile la force de rejeter une tentation si grande ? «Le visage de son père Yaakov» ! C’est ce qui donna à Yossef le courage extraordinaire de faire taire ses impulsions et de rejeter cette femme noble.
Mais pourquoi ? Yaakov vivait à des milliers de kilomètres, ne sachant pas que son fils était en vie. Quelle magie résidait-elle dans sa physionomie ?

Le moment unique d’Adam.
Le Talmud présente une tradition orale selon laquelle «la beauté de Yaakov reflétait la beauté d’Adam» le premier être humain formé par le Tout Puissant Lui-même. C’est pourquoi, quand Yossef vit le visage de Yaakov, il contempla également le visage d’Adam.
D.ieu, nous le savons, ordonna à Adam de ne pas goûter au fruit de «l’arbre de la connaissance». Sa désobéissance altéra à tout jamais le cours de l’histoire de l’homme et du monde. Bien que son acte fût apparemment insignifiant : manger un fruit unique d’un arbre unique, cet acte, minuscule fût-il, continue à résonner dans la conscience de l’humanité jusqu’à ce jour.
Pourquoi ? Parce que chaque être humain fait partie du nœud par lequel le ciel et la terre sont liés. Le rêve de D.ieu n’est pas d’être seul mais d’avoir l’humanité comme partenaire dans la tâche continuelle de guérir le monde. Avec chaque action que nous accomplissons, soit nous avançons, soit nous obstruons l’avancée vers la Rédemption. Soit nous réduisons, soit nous renforçons la force du mal. Quelque chose d’éternel et de Divin est à la clé de chaque décision, de chaque mot, de chaque acte émanant de chaque homme, femme ou enfant.
Quand Yossef vit le visage d’Adam, il fut envahi d’une dignité inébranlable, comme une bougie de D.ieu allumée sur son chemin cosmique. Voir le visage d’Adam rappela à Yossef la façon dont chaque acte isolé, accompli dans un moment unique, par un individu solitaire, peut changer l’histoire pour toujours.
C’est là le sens de la narration que fait la Torah de cet épisode. Durant nos moments solitaires de désespoir, quand nous aussi pouvons sentir que personne ne se soucie de nous et que nous sommes seuls dans un univers gigantesque et indifférent, nous ne devons jamais tomber dans ce piège : l’issue facile d’une gratification immorale. Nous devons nous souvenir que quelque chose de très vrai et d’absolu est en jeu, à chaque moment de notre existence et dans chaque acte que nous accomplissons.
Si seulement nous ouvrons les yeux, nous pourrons voir le visage de notre père qui nous chuchote à travers les vents silencieux de l’histoire que nous ne sommes pas une créature isolée dans un monde titanesque, créature dont le comportement n’a aucune conséquence. A chaque instant, D.ieu a besoin de chacun de nous et de nous tous pour apporter la Rédemption dans Son monde.
Le Coin de la Halacha
Est-il recommandé de «faire Techouva» (retourner à D.ieu) même s’il est évident que cela ne durera pas longtemps ?

Oui.
Le regretté Rav Moché Feinstein le déduit du récit des douze explorateurs : alors que dix d’entre eux avaient persuadé le peuple juif dans le désert que la conquête du pays d’Israël était impossible, Calev réussit à calmer (provisoirement) le peuple. Il lui donna espoir, élimina ses peurs de la guerre et de la défaite ; pour cela, il fut récompensé par D.ieu, mérita d’entrer en Erets Israël et la ville de ‘Hévron lui fut donnée en héritage.
Bien que l’influence de Calev sur le moral du peuple ne fût que temporaire (les dix autres explorateurs parvinrent malheureusement à persuader les Juifs que cette conquête était impossible), Calev fut récompensé. Ceci nous enseigne la valeur de la Techouva, même si celle-ci ne dure qu’un moment.
Ce concept peut aussi être illustré par une loi du Talmud (Yoma 85a à propos de la Michna 83a) : «Si une maison s’écroule Chabbat mais qu’on trouve sous les débris une personne vivante, on doit la dégager. Le Talmud lui-même pose la question : n’est-ce pas évident ? Et il répond : ceci s’applique même si la personne est dans un état désespéré et n’a plus que quelques instants à vivre». Il est obligatoire, Chabbat, de tout mettre en œuvre pour sauver même une personne qui ne pourra logiquement plus respecter un autre Chabbat.
Si l’extension de la vie physique – même pour un court laps de temps – est si importante qu’elle justifie la violation du Chabbat, combien plus l’extension de la vie spirituelle ! conclut Rav Moché Feinstein. Il est donc évident que chacun doit faire tous les efforts possibles pour inspirer d’autres Juifs à penser à D.ieu et à respecter des Mitsvot, même si le résultat ne semble que temporaire. Ces quelques instants positifs ont une valeur spirituelle immense.

Rav J. Simcha Cohen – West Palm Beach, Floride
The Jewish Press
traduit par Feiga Lubecki
De Recit de la Semaine
Cachère… Vous avez dit Cachère !

Devenir pratiquant au fil des années peut parfois ressembler à une course semée d’épreuves. L’une de ces épreuves est le fait de vivre son judaïsme ouvertement. Etre juif à la maison, à la synagogue ou dans des réunions entre Juifs est une chose. Mais être juif dehors, dans le vaste monde peut parfois se révéler une véritable gageure.
Quand je me trouve confronté à ce genre de défi, je réfléchis à ma relation profonde avec le Rabbi et je me souviens des cours de ‘Hassidout qui m’ont tant aidé à forger mon caractère. Après tout, les textes sacrés du judaïsme que j’ai étudiés pendant des heures ne doivent pas restés à dormir sur une étagère mais doivent devenir partie intégrante de mes paroles et de mes actions. Alors les hautes montagnes deviennent de plates étendues paisibles et tout se passe sans problème.
Quand j’arrivai à Sydney, en Australie et que je pris mes fonctions dans le service d’orthopédie de l’hôpital St Vincent, je ne crois pas que mes collègues aient réalisé ce que cela allait changer dans leurs habitudes. Ce service orthopédique est très sympathique ; on y tient souvent des réunions de travail mais aussi des anniversaires et autres occasions festives : bien entendu, la nourriture y joue un rôle important et mes collègues ont bien vite pris l’habitude de faire venir un traiteur cachère pour avoir le plaisir de m’intégrer à leur conversation. Parfois, je me demandais ce qu’ils pensaient en réalité… Peu importe, je savais que je devais être fier de ce que j’étais réellement.
Dernièrement, je me suis rendu compte du réel impact de ma pratique sans complexe du judaïsme.
Après la prière du matin, ce mardi, j’étais rentré en trombe à la maison avant de courir à l’hôpital. Je n’avais pas eu le temps de préparer le déjeuner que j’emporte habituellement au travail. Désespéré, j’ouvris mes placards un à un et saisis un paquet de nouilles instantanées, auxquelles il suffit d’ajouter de l’eau bouillante.
A l’heure du repas, je pris vingt minutes pour manger en toute vitesse avant le prochain patient. Tout en savourant mes nouilles, je consultai mes dossiers. C’est alors que Rachel entra dans mon bureau.
Rachel est une physiothérapiste que nous venions d’engager quelques semaines plus tôt.
Après un échange professionnel sérieux sur la santé de nos patients communs, Rachel remarqua le mot « Kosher » écrit en lettres rouges brillantes sur mon sachet de nouilles en polystirène et me demanda : «Qu’est-ce que veut dire Kosher ?»
Je dois admettre que ma première réaction a été : «Ca y est, elle veut essayer de me coincer !» Comment allais-je lui expliquer la cacherout en dix minutes ou même moins que cela ?
Entre deux cuillères de nouilles, j’expliquai que les Juifs sont astreints à certaines lois alimentaires, tout en citant quelques-unes de ces restrictions. Rachel écoutait, captivée puis remarqua : «Vous savez, ma grand-mère était juive !»
Voilà qui était intéressant ! Je ravalai ma salive et demandai innocemment : «Vos parents étaient juifs ?»
- C’est-à-dire… mon père s’était révolté, donc… non il ne l’est pas. Et ma mère est athée.
- Mais est-elle juive ?
- Non, je vous l’ai dit. Elle n’est pas juive. Elle ne croit en rien !
- Mais votre mère est-elle la fille de votre grand-mère qui était juive ? insista-je, le cœur battant.
- Oui ! Pourquoi ? Rachel était de plus en plus confuse, elle n’avait pas pensé que sa remarque sur le mot « Kosher » mènerait à une telle discussion de ses origines.
- Vous savez Rachel, déclarai-je gravement, cela signifie que vous êtes juive !
Elle pâlit. Puis demanda poliment : «Qu’est-ce que cela implique ?»
Je lui expliquai en quelques phrases que le judaïsme se transmet par la mère, que ce n’est pas une croyance ou un choix intellectuel. Non, l’âme a été créée par D.ieu et, comme l’explique la ’Hassidout, chaque Juif a en lui une étincelle divine constamment reliée à sa source, quelles que soient sa pratique ou ses croyances.
Rachel remarqua qu’elle avait davantage de connaissances sur le bouddhisme ou le christianisme que sur le judaïsme. Elle semblait bouleversée.
Par la suite, nous avons eu d’autres occasions de parler ensemble ; je lui offris un bougeoir et une bougie en lui expliquant comment l’allumer le vendredi après-midi. Elle décida de se mettre en contact avec des personnes qui pouvaient lui en apprendre davantage sur le judaïsme.
Un des enseignements fondamentaux du Baal Chem Tov, le fondateur du mouvement ‘hassidique, est que rien n’arrive par hasard. Tout est un résultat de la Providence Divine. De fait, je n’avais pas acheté ce paquet de soupe instantanée. Je ne mange pas ce genre de nourriture d’habitude, je suis plutôt du genre «bio».
Mais il m’avait été envoyé par ma sœur qui habite à Perth, à l’autre bout de l’Australie. Quand j’avais reçu son paquet – qui contenait plein d’autres produits cachères plus délicieux les uns que les autres – je lui avais téléphoné pour lui demander ce qui l’avait motivée à m’envoyer tant de gourmandises. Elle avait répondu que c’était par amour fraternel.
Ce qui arrive dans ce bas monde n’est pas par hasard. Par amour, ma sœur m’avait envoyé un paquet de nouilles instantanées cachères. J’avais été en retard et avais été heureux de trouver quelque chose de nourrissant à me mettre sous la dent. Et le mot « Kosher » était imprimé en rouge brillant. Cette affirmation tranquille de mon judaïsme avait permis à une jeune fille juive de prendre conscience de son identité et de décider de se pencher sur le sujet.
Ce que j’avais pris pour une épreuve était devenu pour Rachel une occasion d’avancer dans la découverte de son héritage.

Mi’hal Ilan Ogince
www.chabadwa.org – L’Chaim
traduit par Feiga Lubecki