Semaine 21

  • Nasso
Editorial
Des yeux neufs pour une fête éternelle

Comment vivre une révolution ? Comment la vivre alors que nous savons qu’elle vient à nous inéluctablement et que nous l’avons attendue avec une impatience grandissante ? Comment la vivre avec un enthousiasme toujours neuf alors que, dans un cycle infini, elle revient d’année en année ? C’est pourtant bien cela qui arrive et la révolution porte un nom. Elle s’appelle «Chavouot» et c’est la fête du Don de la Torah. Il est clair qu’il importe de la vivre de la manière la plus grande et la plus profonde à la fois ; n’est-ce pas au fondement de toute chose que nous nous trouvons ici ? Mais peut-être faut-il, pour cela, prendre de nouveau conscience de ce que l’événement implique.
Il est difficile aujourd’hui, dans les pays où, pour la sérénité du plus grand nombre, règne l’état de droit, d’imaginer un monde sans loi. Il est également difficile d’imaginer la vie des hommes soumis, sans recours, aux caprices d’un despote local dont la seule volonté fait office de règle absolue, auquel tout remonte et duquel tout descend. Pourtant ce fut là le lot de l’humanité en ces époques où «les hommes tâtonnaient dans l’obscurité». A partir d’Abraham, cela commença à changer ou, pour reprendre l’expression traditionnelle, à «éclairer». Une nouvelle sagesse apparaissait, peu à peu, dans le monde sans, toutefois, le modifier en profondeur. Il fallut, pour cela, attendre le passage des siècles. Il fallut attendre la naissance d’un peuple qui, libéré d’Egypte, se dirigea, porté par un appel et un élan uniques, vers le mont Sinaï. Le 6 Sivan, les Hébreux se tinrent devant la montagne, D.ieu y apparut et donna la Loi à Son peuple.
Cette Loi, la Torah, fonde les civilisations. De fait, lorsqu’une société produit sa propre règle, cette dernière, liée à la personnalité de ses concepteurs, ne fait que refléter un état des choses par nature éphémère. La justesse de cette règle est toujours contestable et nous savons que des sociétés policées ont pu promulguer les lois les plus barbares. Lorsque la Loi est Divine, elle porte cette marque d’absolu. Elle n’est pas soumise au caprice du siècle. Eternelle, elle crée enfin pour les hommes cet espace de liberté où ils pourront développer pleinement tout le bien qu’ils portent en eux. Changeant le monde, le Don de la Torah l’ouvre à un éternel dépassement. Pour cela, c’est un événement éternellement nouveau. A vivre avec l’intensité des bonheurs neufs.
Etincelles de Machiah
Une nouvelle Torah ?

Il nous est enseigné (Vayikra Rabba 13 : 3 paraphrasant Isaïe 51 : 4) qu’au temps de Machia’h «une nouvelle Torah sortira de Moi». Il est pourtant clair que la Torah, Sagesse de D.ieu, ne changera jamais. Du reste, les textes soulignent : «Cette Torah-là ne sera jamais changée». Dès lors, que signifie cette «nouvelle Torah» ?

Aujourd’hui, la Torah nous apparaît sous la forme de récits comme ceux de Lavan ou de Bilam. Lorsque le Machia’h viendra, les secrets cachés dans ces récits se dévoileront. Il se révèlera alors comment ce qui semble être de simples histoires parle profondément de D.ieu. C’est ce que signifie les mots «sortira de Moi» : il apparaîtra comment toute la Torah est une manière de dire la Divinité.
(d’après Kéter Chem Tov, sec. 84, 242) H.N.
Vivre avec la Paracha
Nasso
Nous allons nous intéresser cette semaine à deux formes de communications évoquées dans la Paracha : la Bénédiction que les Cohanim adressent à l’ensemble de la communauté et ce qui est évoqué dans le dernier verset de la Paracha, la communication de D.ieu à Moché.

Le rituel
S’il vous est arrivé de vous trouver à la synagogue durant la Bénédiction des Cohanim, vous savez qu’il s’agit d’une expérience qui fait naître un sentiment de ferveur peu commun. Le Cohen ôte ses souliers et s’approche de l’estrade, le visage enfoui dans son châle de prière. Il tend ses mains vers l’assemblée. Ses doigts sont séparés et ses paumes tendues vers l’extérieur. Il attend le moment saint. Les membres de la congrégation détournent la tête ou la cachent dans leur propre châle de prière pour éviter de regarder en face le Cohen, car l’on sait qu’en cet instant, repose sur lui la Présence Divine.
Incité par le ‘Hazan, le Cohen entonne sobrement les mots sacrés de la bénédiction (Nombres ; 6 :24-26) «Que D.ieu te bénisse et te garde. Que D.ieu fasse briller Sa face sur toi et qu’Il soit indulgent à ton égard. Que D.ieu lève Sa face sur toi et qu’Il te donne la paix».
La bénédiction s’achève alors et un sentiment de bonheur s’empare de ceux qui sont présents. Dans certaines communautés, on éclate en un chant joyeux. D’une certaine manière, nous ressentons qu’une bénédiction particulière de D.ieu, Celui qui donne toutes les bénédictions, vient d’être octroyée. Nous ressentons une sorte d’exaltation, nous nous sentons élevés comme si D.ieu venait de nous atteindre depuis Son trône céleste pour nous rapprocher de Lui.
Qu’y a-t-il dans cette bénédiction de si particulier pour qu’elle puisse éveiller de tels sentiments ? En quoi diffère-t-elle de toutes celles que nous prononçons nous-mêmes ?

Deux formes de prières
Il est de fait que dans la prière nous adressons à D.ieu des requêtes. Nous observons notre vie et nos besoins et nous nous tournons vers Lui pour nos demandes. D.ieu écoute attentivement. Il écoute nos paroles mais Il lit nos cœurs. «Tu as des besoins auxquels tu veux que Je pourvoie, s’étonne D.ieu, mais Moi J’ai des désirs que Je veux que tu accomplisses. Voyons comment tu satisfais Mes désirs. Et Je verrai alors comment Je contenterai les tiens».
Le Cohen possède une approche différente. Il déverse son cœur dans la prière et dit : «D.ieu Bien-aimé, je sais combien Tu aimes Tes enfants et combien il Te plaît de pourvoir à leurs besoins. Je suis heureux d’être dans la position de T’offrir une telle occasion. Voilà ce dont Tes enfants manquent et voilà comment T’engager dans Ton plaisir favori qui est de les aider».
Le Cohen, descendant d’Aharon, a hérité de ses qualités spirituelles. Aharon était réputé pour son caractère aimant. En fait, le nom hébreu «Aharon» est l’abréviation de deux mots : Ahavah Rabbah («un grand amour). Aharon aimait D.ieu et aimait son peuple. Quand il priait pour Israël, il faisait refléter les deux objets de son amour. D’une part, il pensait au peuple et à ses besoins et de l’autre, il pensait à l’amour de D.ieu pour le peuple et à Son plaisir de les exaucer.
Aharon priait de tout son être, en toute sincérité, dans une dévotion et un amour absolus. Sa ferveur aimante éveillait, à son tour, l’amour de D.ieu. D.ieu l’écoutait avec attention et disait : «Tu désires Me contenter et Je désire Te contenter».
Le Cohen, qui hérite cette qualité d’Aharon, est investi de l’aptitude d’en user de la même façon.

Les paumes tendues
Cela explique pourquoi le Cohen étend ses paumes vers l’extérieur, vers la communauté plutôt que d’adopter la posture habituelle de la prière, les mains tendues vers le haut, vers D.ieu. Avec sa paume, le Cohen forme un réceptacle dans lequel D.ieu déverse Sa bénédiction. Une paume tendue vers le haut forme un réceptacle pour nous-mêmes, dans lequel par la suite nous étancherons notre soif. Une paume tendue vers l’extérieur forme un canal par lequel D.ieu déverse Ses bénédictions aux autres.
Le Cohen, en cet instant, ne supplie pas mais il est un conduit. Il ne prie pas pour nous satisfaire mais pour satisfaire D.ieu. Il ne demande pas pour que nous puissions obtenir mais pour que D.ieu puisse donner. Et c’est cette manière de demander que D.ieu aime le plus. Elle suscite une réponse d’En Haut accélérée et qui passe par-dessus tous et par-dessus tous les obstacles.

Par amour
C’est la raison pour laquelle le Cohen introduit sa bénédiction par les mots : «pour bénir Son peuple d’Israël avec amour». Il évoque l’amour qui unit D.ieu et le Peuple Juif. Mais il parle également de l’amour entre les Juifs eux-mêmes, car lorsque les enfants de D.ieu sont unis, le réceptacle est entier et accomplit parfaitement sa fonction.
Nos Sages ont écrit que le meilleur «réceptacle» pour recevoir la bénédiction est l’unité. Sans elle, il se fêle, par elle, il est solide. Le mot hébreu pour «réceptacle» - Kéli, est l’acrostiche des trois parties qui forment le peuple Juif : Kohen (Cohen), Lévi, Israël. Quand les Juifs s’aiment mutuellement, les trois composantes du Kéli sont unies et il est des plus résistants, ce qui permet au Cohen de transmettre avec succès la bénédiction à la communauté.

La voix forte
Le dernier verset de Nasso est : «Et quand Moché s’approcha de la tente d’Assignation pour parler avec Lui (le Tout Puissant), il entendit la voix lui parler, venant d’en haut du Kaporet (couvercle d’or) qui est sur l’Arche du Témoignage, d’entre les deux Chérubins ; et [D.ieu] lui parla» (Nombres 7:89).
Quand Moché entendit la voix de D.ieu dans le Sanctuaire, un phénomène miraculeux se produisit. Bien que la voix divine fût aussi forte qu’au Mont Sinaï, où deux millions de personnes l’avaient entendue, si forte qu’elle aurait pu résonner bien au-delà des limites du Tabernacle, elle était miraculeusement coupée à l’entrée du Sanctuaire et ne s’en échappait pas. Moché était obligé de pénétrer à l’intérieur du Tabernacle pour pouvoir l’entendre (voir Rachi).
La ‘Hassidout propose une explication qui apporte un éclairage sur la nécessité que cette voix ne soit pas entendue au-delà de l’entrée du Tabernacle. D.ieu désire que l’homme Le serve par son libre arbitre et que cette «voix de D.ieu», c'est-à-dire Son appel, Son message et Son enseignement, soit apportée au monde par le service de l’homme.
La «voix de D.ieu» est la révélation de D.ieu. Un lieu que le Tout Puissant choisit comme endroit fixe pour des révélations successives, un lieu où Sa voix s’entend encore et encore, est un lieu qui possède un ordre de sainteté supérieur. Tel était le Tabernacle, appelé «Tente d’Assignation» parce que la Présence Divine s’y rencontrait régulièrement. La «voix de D.ieu», la même voix forte entendue au Sinaï remplissait régulièrement et de façon répétée le Tabernacle.
Si la voix et la parole du Tout Puissant avaient résonné dans le monde, de façon répétée et régulière, le monde tout entier serait devenu une grande «Tente d’Assignation», un Sanctuaire dans lequel l’homme n’aurait pu choisir d’aller dans le sens contraire des désirs divins. Le libre-arbitre n’aurait pas été possible. Mais le désir divin était que nous transformions, par notre service et non par une intervention divine, l’environnement dans lequel Sa voix n’est pas «entendue» et que nous en fassions un lieu où Sa Présence peut résider.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que «Birkat Cohanim» ?

Les Cohanim (descendants du Grand-Prêtre Aharon) doivent bénir les Juifs. Cette Mitsva se pratique chaque jour en Erets Israël. En-dehors d’Israël, cette cérémonie ne se pratique que les jours de Yom Tov (grandes fêtes), lors de la répétition de la Amida de Moussaf. Toutefois, certaines communautés ont l’habitude de la réciter également tous les Chabbats.
La présence d’un Minyane (dix hommes âgés de plus de treize ans, Cohanim inclus) est nécessaire. Même s’il y a neuf Cohanim et un seul «Israël», celui-ci sera béni par les neuf Cohanim.
Avant de procéder à la bénédiction, les Cohanim enlèvent leurs chaussures qu’ils cachent sous un banc puis les «Léviim» (ou éventuellement les premiers-nés) leur lavent les mains rituellement, comme avant de manger du pain.
Les Cohanim prennent place près de l’Arche Sainte. Les fidèles se tiennent devant eux et non derrière eux. Les Cohanim récitent ensemble la bénédiction: «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Méle’h Haolam Achère Kidéchanou Bikedouchato Chel Aharon Vetsivanou Levare’h Eth Amo Israël Beahava» - Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, qui nous a sanctifiés par la sainteté de Aharon et nous a ordonné de bénir Son peuple Israël avec amour.
Les Cohanim ont la tête couverte d’un Talit (châle de prière), afin que les fidèles ne regardent pas leurs visages.
Les fidèles se recouvrent aussi la tête d’un Talit ou prennent place sous le Talit des autres, préférablement celui de leurs pères.
L’officiant récite chaque mot des trois bénédictions (Nombres 7 – 24.25.26), les Cohanim les répètent en chantant, tous ensemble et les fidèles répondent «Amen» après chaque bénédiction. Lorsque les Cohanim chantent avant de prononcer les trois derniers mots, les fidèles prient silencieusement pour que tous les rêves qu’ils ont faits ou qu’on a fait sur eux soient de bons présages. Les Cohanim ne doivent boire aucune boisson alcoolisée avant la bénédiction sacerdotale.
Un Cohen peut répéter la Birkat Cohanim dans plusieurs offices ou
synagogues. F.L.

Pourquoi veille-t-on la première nuit de Chavouot ?

Selon une coutume ancienne, les hommes restent réveillés la première nuit de Chavouot et étudient le «Tikoun», c’est-à-dire un recueil de textes sélectionnés par des Sages aussi prestigieux que le Beth Yossef (Rabbi Yossef Karo, rédacteur du Choul’hane Arou’h), le Ari Zal et le Chlah Hakadoch.
En étudiant avec tous les autres Juifs les mêmes textes, «comme un seul homme avec un seul cœur», on se prépare à recevoir la Torah avec l’ensemble des autres Juifs.
Selon le Midrach, les Juifs ont si bien dormi la nuit précédant le don de la Torah que D.ieu Lui-même dut les réveiller avec éclairs et tonnerre. La ‘Hassidout explique que pour recevoir la Torah, il ne faut pas «s’éloigner» du monde physique (donc dormir) mais au contraire faire participer le corps et le monde pour les rapprocher de la Torah.

F. L.
De Recit de la Semaine
Fer contre fer

Grâce à ses qualités, Reb Yossef Schiff avait réussi à gravir les échelons et était devenu le directeur de l’«Union des Artisans» : de ce fait, il était responsable de plusieurs usines importantes de Samarkand, en Ouzbékistan. Il avait en même temps tissé des liens avec les autorités locales, ce qui le mettait à l’abri des complications. En effet, il avait fourni du travail – pas toujours légal – aux Juifs soucieux de respecter le Chabbat : en travaillant à domicile, ceux-ci n’étaient pas tenus de se présenter au bureau ou à l’usine le jour du Chabbat.
Une fois par an, une commission venait vérifier les comptes et les rendements. Reb Yossef – grand connaisseur des mœurs soviétiques – prenait soin d’inviter les membres de la commission à un bon repas bien arrosé, durant lequel il parvenait à leur glisser des pots-de-vin conséquents. Ainsi on ne lui posait pas des questions indiscrètes et il recevait facilement la permission de continuer à agir comme il le voulait.
Mais en 1944, la situation s’avéra plus complexe : la commission était présidée par une inspectrice venue spécialement de Moscou. L’air sévère, elle parcourut tous les couloirs de l’usine. Sanglée dans un uniforme impeccablement repassé, elle prit des notes et remarqua beaucoup de détails gênants comme, par exemple, l’absence de certaines marchandises qui se trouvaient, de fait, dans les maisons des employés juifs qui travaillaient à domicile. Cette fois-ci, Reb Yossef sut que sa méthode habituelle ne fonctionnerait pas. Il fallait à tout prix bloquer la procédure et empêcher l’inspectrice de transmettre ses rapports à la commission urbaine qui représentait le parti communiste tout-puissant.
Dans cette ville de Samarkand, habitait alors Avraham Bahouhov, qui dirigeait plusieurs usines de textiles, d’aluminium et de vaisselle. Sa relative fortune lui permettait d’aider ses frères juifs moins bien lotis. Il était doué d’un sens aigu des affaires et d’une intuition remarquable. C’est pourquoi Reb Yossef décida de faire appel à lui : il fallait agir rapidement sinon tous les Juifs employés plus ou moins légalement seraient vraiment en danger car la commission se réunissait le lendemain. La seule solution, c’était de parvenir à persuader l’inspectrice de ne pas transmettre de rapport suspect.
Tôt le matin, Reb Yossef décida d’écrire une lettre au Rabbi : en toute sincérité, il décrivit la situation et demanda au Rabbi sa bénédiction pour une réussite totalement miraculeuse.
Le cœur battant, Reb Yossef et Reb Avraham se dirigèrent vers le bâtiment officiel où se déroulaient les débats. On leur expliqua que l’inspectrice se trouvait dans «la chambre rouge», une pièce spécialement aménagée par les communistes dans chaque bâtiment officiel pour permettre aux employés de «s’unir par la pensée à Lénine et Staline !». Là, elle mettait au point le rapport qu’elle s’apprêtait à remettre à la commission. Reb Avraham remit à Reb Yossef l’enveloppe bien garnie qu’il avait préparée pour éventuellement «influencer» le cœur de l’inspectrice : il avait compris que cela ne servirait à rien tant celle-ci était dévouée à sa cause : non ! Il fallait trouver un tout autre argument. Lequel ? Il eut une idée et entra, le cœur battant, dans la «chambre rouge». Il n’avait emporté qu’une bouteille Thermos et une tasse. Reb Yossef l’attendait à l’extérieur, sans cesser de prier pour la réussite de son ami.
Reb Avraham prépara une tasse de thé pour l’inspectrice et lui demanda très directement :
- Juive ?
Elle répondit sèchement : «Je suis communiste!»
Reb Avraham était sûr qu’elle était juive et il continua comme s’il n’avait pas entendu sa réponse.
«Moi, je suis un Juif de Boukara, ajouta-t-il, et je porte au doigt une bague de valeur. Je suis issu d’une famille dans laquelle on s’y connaissait en joaillerie et je voudrais vous raconter une histoire que ma mère avait entendue de son père : «Quand on souhaite fabriquer un bijou en or, on prend un marteau en fer et on frappe délicatement le bloc d’or. Si on frappe où il faut et avec délicatesse, on obtient le résultat voulu, un bijou magnifique et précieux. Si on frappe trop doucement, cela ne sert à rien ; si on frappe trop fort, on va tout gâcher. Cette relation entre le fer et l’or nous sert à mieux comprendre la relation entre nous, les Juifs et le peuple Ouzbek.
Par contre, il existe une autre sorte de contact entre deux métaux. Par exemple, chez le forgeron. Là, les coups ne sont pas donnés avec délicatesse mais au contraire avec vigueur et même avec violence. Pourquoi ? Parce que là, il s’agit de fer contre fer. Tout ceci est un exemple des coups qui sont portés par un frère contre un frère : ce sont des coups très douloureux, difficilement supportables et qui provoquent une douleur profonde ».
Avraham soupira puis s’adressa directement à l’inspectrice : «Vous êtes une juive, notre sœur ! Si, à D.ieu ne plaise, nous recevons des coups de quelqu’un de notre famille, cela fait beaucoup plus mal ! Et c’est pourquoi je suis venu vous supplier : «Ne portez pas de coup contre nous ! Nous sommes à la veille de la fête de Chavouot, lorsque tous les Juifs sans exception se sont tenus au pied du mont Sinaï pour recevoir la Torah!»
Puis Reb Avraham expliqua que les Juifs qui travaillaient chez eux n’étaient ni des paresseux ni des parasites mais des ouvriers honnêtes qui souhaitaient simplement ne pas travailler le Chabbat : «N’y a-t-il pas suffisamment de vrais gangsters à punir pour que le gouvernement s’acharne contre des gens innocents?»
Un silence s’installa. Les yeux de l’inspectrice lancèrent des éclairs puis elle reprit sa plume, la trempa dans l’encrier et se remit à écrire furieusement.
Reb Avraham en avait perdu la respiration : tous ses efforts avaient été vains !
Mais soudain, il l’entendit réprimer un sanglot. Jetant sa plume sur la table, elle finit par murmurer : «Je ne peux pas continuer ! Cela fait pourtant des années que j’exerce mon métier avec fidélité envers le parti. J’ai déjà été confrontée plusieurs fois à des situations plus difficiles, on m’a proposée des pots-de-vin alléchants, on m’a même menacée de mort. Pourtant je n’ai jamais trahi la confiance de mes supérieurs. Mais un appel aussi direct à mon origine juive… !
«Ce que vous avez décrit, les coups portés par le fer contre le fer, ce sont des paroles que j’ai entendues chez mon grand-père, lui qui m’a élevée. Le jour où il a appris que j’étais en partie responsable de la fermeture de sa synagogue, il s’est adressé à moi, le cœur brisé : «Peu m’importe tout ce que tu as fait jusqu’à présent comme prendre part aux manifestations pour le communisme, mais le fait que tu t’en prennes aux Juifs et au judaïsme, cela m’est insupportable !». Vous vous êtes adressé à moi pratiquement dans les mêmes mots ! C’est vrai que j’exagère… !
Elle s’arrêta un instant puis, le regardant droit dans les yeux, elle prononça les mots qu’elle n’avait jamais prononcés : «J’accepte de ne pas écrire ce rapport!»
Avant qu’il ne sorte soulagé, de «la chambre rouge», elle ajouta timidement : «Puisque c’est bientôt Chavouot et qu’on prononce la prière de Yizkor, puis-je vous demander de mentionner les noms de mes chers parents et mon grand-père adoré dans votre synagogue?»
Elle écrivit sur un papier leurs noms en yiddish et remercia Reb Avraham.
Inutile de préciser que la fête de Chavouot fut particulièrement joyeuse cette année à Samarkand !

Menachem Ziegelbaum
Sipour Chel ‘Hag
traduit par Feiga Lubecki