Semaine 13

  • Vayikra
Editorial
Ouvrons la porte !

A l’orée d’un nouveau mois, on a toujours l’impression qu’il y a comme une porte à pousser. Et sans doute n’y a-t-il pas d’impression plus légitime. C’est que le déroulement des mois n’est pas simplement une manière commode de scander le temps qui passe ; c’est d’abord d’avancée spirituelle qu’il s’agit. L’entrée dans une nouvelle période est, de ce fait, un événement qui, par nature, change les perspectives. Tout se passe comme si l’on allait de la chambre au trésor d’un palais merveilleux à celle d’un palais nouveau dont la splendeur, fondamentalement différente de celle du précédent, n’en est pas moins profondément bouleversante. Ainsi va-t-on du mois de Adar à celui de Nissan, d’allégresse infinie en délivrance émergeante.
En effet, l’ouverture du mois, à présent, révèle un horizon nouveau. Certes, Nissan est le temps de Pessa’h et la perspective de la liberté naissante – sortie d’Egypte oblige – emplit déjà notre conscience. Cela seul suffirait à expliquer la grandeur particulière de la période. Cependant, si on se limitait à de telles considérations, le risque existerait que cette liberté-là ne soit bien vite plus que la trace d’un souvenir historique précieux. Or, la liberté ne peut se limiter à la mémoire. Pour être réelle, elle doit rester vivante. Pour trouver expression en notre temps, elle doit d’abord apparaître en chacun. Quel défi ! Comment vivre libre dans un monde matériel aux contraintes étroites ? Comment y vivre en portant sa liberté en bandoulière sans souci du regard de ceux que la différence dérange ? Le mois de Nissan apporte une réponse essentielle : c’est en chacun que la liberté commence et c’est par l’action de tous qu’elle s’épanouit.
Nous sommes ainsi au seuil d’une ère que nous pouvons faire nouvelle. La libération n’est pas qu’une espérance, elle est le résultat concret de nos efforts. Nous sommes capables de la construire pour nous et, de cette façon, d’établir celle du monde. Car qu’est-ce que la liberté de tous sinon la somme des libertés de chacun ? Dès lors, l’enjeu est d’importance. Le rêve éternel de liberté est à notre portée, dans sa forme la plus pure. Par lui, les obstacles disparaissent. Ce n’est pas d’un hypothétique avenir radieux qu’il s’agit mais bien d’un présent resplendissant. Ouvrons donc la porte et sachons faire apparaître ce bien le plus précieux, sachons aller de libération en libération jusqu’à celle, ultime, de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Sans exception

Lorsque Machia’h viendra, aucun Juif ne restera en exil comme le souligne Rachi (Parchat Nitsavim 30:2) : «Il (D.ieu) prend par la main chacun…». En effet, le sens profond de la Délivrance est l’expression du lien essentiel entre les Juifs et D.ieu. Or, si un seul Juif restait en exil, ce lien ne s’exprimant pas totalement, la Délivrance ne serait pas authentique.

La Délivrance est qualifiée de «véritable et complète» car elle sera celle de tous.
(d’après Séfer HaSi’hot 5742, vol. II, p.514)
Vivre avec la Paracha
Vayikra : Réflexions sur les sacrifices

Le véritable sacrifice
«Et D.ieu appela Moché et lui parla de la Tente d’Assignation en ces termes :
Parle aux Enfants d’Israël : un homme (Adam) qui approchera de [parmi] vous un sacrifice à D.ieu, du troupeau de gros bétail, du menu bétail ou des volailles… sera accepté avec bienveillance [par D.ieu] de sa part, pour le racheter…» (Vayikra 1 :1-4)

Servir D.ieu signifie-t-il qu’il faille Lui sacrifier sa vie? Est-ce devenir une personne que l’on n’est pas réellement ? Est-ce effacer complètement sa personnalité ?
Rien d’étonnant à ce que cela paraisse peu attrayant : ce n’est pas seulement erroné, c’est le contraire même des principes fondamentaux du Judaïsme. Dans la Paracha de cette semaine, Vayikra, nous apprenons l’approche essentielle que chacun d’entre nous doit adopter pour servir D.ieu. Mais plutôt que de présenter une image idyllique d’un rêve spirituel, le livre de Vayikra nous plonge dans un sujet qui semble plutôt évoquer la confusion, voire pour certains la révulsion, que le sublime.
Dans ce livre, nous pénétrons dans le monde de sang du grand autel du Temple où le peuple Juif apportait à Jérusalem des sacrifices animaux pour faire pardonner ses péchés. Quel lien possible peut-il y avoir entre ces abattages de veaux ou de brebis et le fait d’établir une relation harmonieuse avec D.ieu ?
Le Ramban, l’un des commentateurs classiques de la Torah, nous dit que lorsqu’un individu devait apporter un Korban (sacrifice animal) en offrande au Beth Hamikdach, il «devait considérer que ce qui arrivait à l’animal aurait dû lui arriver à lui». Puisque nous aurions besoin d’être purifiés de nos méfaits, une purification de notre sang, de notre chair et de notre graisse, D.ieu, dans Sa grande miséricorde, nous a donné une alternative : nous pouvons nous faire remplacer par un animal, animal qui subira à notre place le processus.
Mais la Torah n’apporte pas une leçon d’histoire caduque. Chacun de ses mots est éternel et concerne chacun d’entre nous quels que soient le jour et l’époque. Dans un monde sans Temple, il nous faut nous pencher un peu plus profondément sur la Torah pour découvrir la relation entre ces anciens sacrifices et notre vie contemporaine.
En chacun de nous cohabitent deux forces opposées : une force qui désire les plaisirs matériels et une force qui aspire à la spiritualité et à la Divinité. En termes simples, notre aspiration à un dessein, à un sens, à servir D.ieu est en conflit constant avec «l’animal» qui est en nous, cette partie de nous-mêmes qui préférerait s’adonner à ses passions égocentriques que de consacrer son temps et ses qualités à des causes plus nobles.
L’importance centrale des sacrifices animaux dans le Temple reflète l’essence de notre mission divine : soumettre l’animal qui est en nous à D.ieu.
Nous offrir nous-mêmes, offrir l’animal qui est en nous à D.ieu, est la pierre angulaire de tout le Judaïsme. Mais comment l’accomplir ? Faut-il écraser nos passions et nos plaisirs animaux et vivre une obscure vie de privations et de misère ? La réponse à cette question réside dans la racine du mot Korban, que l’on traduit souvent par «sacrifice». Mais en fait, le véritable sens de ce mot vient de sa racine Kirouv qui signifie «s’approcher».
Nous faisons de nous-mêmes un sacrifice en «rapprochant» l’essence pure de l’animal qui est en nous. Nous ne l’annihilons pas, nous l’utilisons pour nous permettre de nous approcher de la Divinité, pour accéder au but essentiel pour lequel nous avons été créés. Un animal ne peut se comporter autrement que de la façon dont D.ieu l’a créé. Les taureaux sont agressifs, les agneaux pusillanimes et les chèvres têtues. Mais l’animal en nous a le choix. Nous pouvons être un «taureau» belliqueux ou bien nous pouvons canaliser nos passions vers un amour absolu pour D.ieu. Nous pouvons donner libre cours à notre soif conformiste de plaisirs ou trouver de la gratification à aider les autres et à vivre une vie pleine de sens.
Au cœur de chaque force agissante dans notre vie, même de celles qui s’expriment négativement, réside un noyau qui peut se développer pour une cause constructive et divine. Ce que nous «sacrifions» est l’objet de nos désirs, les attitudes étroites ou immatures que nous affichons, notre ignorance et notre aveuglement, afin de faire émerger notre nature profonde.
Devrions-nous renoncer à la vie pour D.ieu ? Certainement pas ! C’est cela un sacrifice. Nous ne devons pas abandonner les talents et les aptitudes que nous a donnés D.ieu, nous devons les ramener à leur pureté originelle. Quand nous devenons un Korban, nous avons la possibilité de transformer chaque aspect de notre personne, de devenir meilleur, d’être un homme qui ne vit pas parmi les animaux mais main dans la main avec D.ieu.
Le Coin de la Halacha
Pourquoi doit-on «vendre» le ‘Hamets à un non-Juif avant Pessa’h ?

On n’a pas le droit, pendant la fête de Pessa’h, de consommer et même de posséder du ‘Hamets (produits alimentaires à base de céréale fermentée, tels que pain, gâteaux, liqueurs etc…). Même si on a effectué un nettoyage très soigneux, il se peut qu’il reste des miettes que l’on n’aurait pas vues ; de plus, chacun possède de la vaisselle qui a été utilisée avec le ‘Hamets. Il est donc nécessaire de vendre le ‘Hamets à un Rabbin compétent, qui le vendra à un non-Juif avant le 12 avril 2006. Il ne faut pas procéder soi-même à la vente, avec un voisin par exemple, car un contrat en bonne et due forme doit être rédigé, avec de nombreux détails hala’hiques : on fera donc parvenir, le plus tôt possible, au Rav, le papier sur lequel ou aura noté tous les paquets, vaisselles, placards, chambres, magasins ou appartements que l’on désire vendre pour la durée de Pessa’h. On n’oubliera pas de signer le papier. Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà nettoyé ou mis de côté les produits ou les endroits ‘Hamets. Avant la fête, on aura pris soin de fermer à clé ou, en tous cas, de bien recouvrir les caisses et les endroits vendus au ‘Hamets. Après Pessa’h, le Rav procède au rachat du ‘Hamets auprès du non-Juif. On attendra donc une heure après Pessa’h (qui se termine à 21h 41 le jeudi soir 20 avril 2006), avant d’utiliser à nouveau le ‘Hamets.

F. L
De Recit de la Semaine
Les oies et les rabbins

En Europe, il était de coutume d’engraisser les oies dans les mois précédant Pessa’h, puisque de nombreuses familles ne consommaient pas d’autre matière grasse que la graisse d’oie. Pendant six ou huit semaines, les oies devaient manger une bassine de maïs deux fois par jour, si bien que vers le début de la fête, elles étaient si énormes qu’elles pouvaient à peine marcher.
Deux sommités rabbiniques, le ‘Hatam Sofer (Rabbi Moché Sofer) et le Yisma’h Moché (Rabbi Moché Teitelbaum) différaient dans leurs opinions : la pratique du gavage rendait-elle les oies non-cachères ? La question tournait autour du fait que les grains pointus du maïs qui étaient introduits de force dans la gorge des volailles abîmaient sans doute l’œsophage, ce qui rendait les animaux non cachères (car incapables de vivre encore un an). Le ‘Hatam Sofer tranchait que l’œsophage n’était pas nécessairement abîmé et il estima donc que cette pratique était permise. (Bien sûr, les oies devaient être examinées soigneusement après l’abattage pour prouver qu’elles étaient effectivement cachères, par la procédure décrite plus loin). Son contemporain, le Yisma’h Moché estimait que certainement l’œsophage devait être blessé par les pointes des céréales : il déclara donc ce procédé strictement interdit.
Les deux célèbres rabbins échangèrent plusieurs lettres, apportant à chaque fois d’autres arguments, d’autres preuves trouvées dans d’autres livres de responsa. Leur discussion restait toujours courtoise car tous deux cherchaient uniquement à définir la Hala’ha pour le Nom de D.ieu et non pour leur gloire personnelle. Finalement, le ‘Hatam Sofer suggéra qu’au lieu de rester au niveau de la théorie, ils devaient passer à la pratique : chacun des deux devait faire engraisser dix oies puis procéder à la Che’hita (l’abattage rituel). Ensuite, lors de l’examen des organes internes, ils dégageraient les œsophages, les rempliraient d’air et les ferait flotter dans une bassine pleine d’eau. Si les œsophages étaient troués, des bulles d’air s’échapperaient dans l’eau, apportant ainsi la preuve que les volailles n’étaient pas cachères. L’absence de bulles les rendrait cachères.
Le Yisma’h Moché accepta le test mais le résultat de la procédure fut absolument étonnant : tous les volatiles engraissés et abattus sous l’autorité du ‘Hatam Sofer étaient cachères sans l’ombre d’un doute alors que ceux du Yisma’h Moché étaient tous, absolument tous blessés et donc «taref», non cachères.
On expliqua alors que, de fait, la décision et la parole de ces deux sommités rabbiniques avaient changé la réalité physique : leur appréhension de la Hala’ha (la loi juive) avait influencé la situation concrète !

* * *

On raconte à ce sujet une histoire à propos d’un célèbre Rabbi qui avait des milliers de ‘Hassidim, le Maguid de Zidochov.
Un vendredi, alors qu’il enseignait la Torah à ses disciples, une femme entra dans la pièce avec un poulet qu’elle désirait faire cuire pour Chabbat. Or le Cho’het (sacrificateur) avait déclaré que la cacherout du poulet était problématique et elle venait donc demander l‘opinion du Rav. De fait, le poulet présentait d’importantes lésions sur les poumons, ce qui le rendait «Taref» pour ainsi dire automatiquement. Mais, à la grande surprise de ses élèves, le Maguid réfléchit longuement, regarda dans un livre, puis dans un deuxième jusqu’à ce qu’une pile impressionnante de livres se forma sur son bureau. On voyait qu’il cherchait par tous les moyens à déclarer ce poulet cachère. «Il serait tellement plus simple de donner à cette femme un rouble pour qu’elle s’achète un autre poulet» pensaient les disciples, vaguement ennuyés de ce contretemps. Finalement, après plusieurs heures passées à consulter tous les livres possibles, le Maguid se leva et déclara que le poulet était cachère ! Ses disciples n’en croyaient pas leurs oreilles mais il leur prouva par divers arguments la justesse de sa décision. Soulagée, la femme repartit avec son poulet pour préparer ses repas de Chabbat et les élèves purent reprendre leur étude.
Mais pas pour longtemps.
Une autre femme complètement hystérique entra peu après : «Rabbi, Rabbi !» s’écria-t-elle puis elle s’évanouit. Quand on réussit à la ranimer, elle se mit à pleurer et à implorer : «Rabbi ! Aidez mon mari ! Les médecins affirment qu’il n’y a plus d’espoir !» Le Maguid lui demanda calmement : «Racontez-moi donc de quoi souffre exactement votre mari».
Elle expliqua, tout en s’essuyant les yeux, qu’il présentait de sérieuses lésions aux poumons. En entendant cela, le Rabbi s’exclama joyeusement : «Je viens de trancher que ce type de maladie est cachère ! Rentrez chez vous et ne vous inquiétez pas. Votre mari vivra encore de nombreuses années !»
C’est effectivement ce qui se passa.
Ce n’est qu’alors que les étudiants comprirent que, par son «Roua’h Hakodech», l’inspiration sainte qui l’animait, le Rabbi avait su qu’il était vital de trancher la Hala’ha dans le bon sens. En déclarant que la maladie du poulet ne l’empêchait pas d’être cachère, malgré toutes les apparences contraires, il avait aussi annulé les effets néfastes de la maladie d’un Juif.

Le’haïm
traduit par Feiga Lubecki