Semaine 10

  • Tetsavé
Editorial
« Souviens-toi »

A quelques jours de la fête de Pourim, le dernier Chabbat qui la précède, les synagogues retentissent d’une lecture particulière, celle d’un texte de la Torah qui donne justement son nom à ce jour : «Za’hor» ou «souviens-toi». On le dit souvent, de manière générale et avec juste raison, le peuple juif a une longue mémoire. De fait, il a appris, depuis bien longtemps, à se souvenir car il sait que l’oubli du passé engendre les avenirs dépourvus de sens. Pourtant, il y a ici quelque chose de plus. Le souvenir auquel nous sommes conviés avec une insistance remarquable est celui de la guerre cruelle que fit Amalek aux Hébreux alors que, sortant d’Egypte, ceux-ci marchaient vers le Sinaï et le Don de la Torah. Il est vrai que cette histoire dépasse largement le niveau de l’anecdote. Ce n’est pas d’une rencontre belliqueuse avec un autre peuple qu’il s’agit, comme il en exista tant dans l’antiquité. Amalek incarne ici une véritable opposition à tout ce qui est saint et, d’abord, au lien qui se tisse alors entre D.ieu et Son peuple.
Si on relit ce texte à proximité immédiate de Pourim, c’est parce que, selon la généalogie traditionnelle, Amalek fut aussi l’ancêtre d’Haman et que, dans un cas comme dans l’autre, leur tentative d’en finir avec le peuple juif et son message aboutit à leur défaite et à leur disparition. L’ordre «souviens-toi» prend ainsi tout son sens. Depuis lors, le peuple juif a traversé bien des siècles, bien des pays et bien des cultures. Il a parfois rencontré le bonheur et souvent l’épreuve. Il a parfois vécu dans la sérénité et souvent dans l’incertitude. Et, lorsque les ombres ont grandi, lorsque l’exil a semblé devenir plus obscur encore, il a su ne pas désespérer, continuer son chemin avec le courage et la ténacité que donnent l’expérience des choses déjà vécues et la conscience du but à atteindre. Il a su voir la chute de ceux qui voulaient sa perte.
Alors que Pourim se lève à l’horizon, tel une indépassable lumière, les échos de cette histoire résonnent à nos oreilles avec un bruit familier, presque comme si l’on parlait d’événements de notre temps. Ce n’est guère étonnant : la Torah n’est-elle pas parole d’éternité ? Il existe toujours des «Amalek» ou des «Haman» que le peuple juif dérange par sa fidélité et sa constance. Prêts à tout, ils n’ont de cesse que d’éteindre sa voix. Nous savons qu’ils n’y parviendront pas. Eternellement libre, le peuple juif reste lui-même. Ne renonçant jamais à son héritage spirituel ni à sa mission, il sait que, derrière les nuages qui s’amoncellent, le soleil brille toujours. Il sait que le sort de l’obscurité est de s’évanouir et qu’inéluctablement, la lumière vaincra. Pourim n’est-il pas le temps de la joie ?
Etincelles de Machiah
Malgré l’obscurité

Le Talmud (traité Sota 49a) annonce : « A la veille de la venue de Machia’h… chaque jour, sa malédiction est plus grande que celle de la veille ». C’est bien évidemment là une déclaration surprenante. Même si force est de constater que le monde où nous vivons paraît suivre la voix du chaos, quel est le but du Talmud lorsqu’il l’affirme avec une telle netteté ? En quoi une telle connaissance est-elle pertinente ?

En fait, si la Torah ne nous l’avait pas fait savoir, nous aurions pu désespérer. La situation générale nous aurait semblé légitimement si noire et les issues si peu nombreuses que nous aurions été incapables de poursuivre notre route. Nous serions, sans doute, restés à nous interroger : « Comment tout cela est-il possible ? » A présent, forts de cette conscience, nous ne désespérons pas. Renforçant notre attachement à D.ieu, nous poursuivons notre chemin vers le temps prochain de Machia’h.
(d’après un enseignement du Rabbi de Loubavitch, 19 Tévèt 5742)
Vivre avec la Paracha
Tetsavé : fouiller les décombres

Si un mapolète (bâtiment qui s’effondre) s’écroule sur quelqu’un [le Chabbat], même s’il existe un doute quant à la présence de l’individu sous les décombres, quant à sa survie ou non, quant au fait qu’il est Juif ou non, on doit le rechercher.
Jusqu’à quelle distance faut-il le rechercher [au cas où la victime ne donne aucun signe de vie] ? Jusqu’à son nez. Une autre opinion soutient : jusqu’à son cœur. Si l’on remarque que ceux qui étaient au-dessus [dans les parties supérieures des décombre] sont décédés, il ne faut pas en conclure que ceux qui sont en dessous le sont également. Il arrive que ceux qui sont au dessus soient morts alors que ceux qui sont en dessous sont vivants (Talmud Yoma 83a et 85b).

Apparemment, le passage du Talmud cité ci-dessus n’est qu’une loi déterminant dans quelle mesure il est permis de violer le Chabbat, s’il existe la chance la plus infime de sauver une vie. Mais à un niveau plus profond, les principes établis par cette loi s’étendent, au-delà du cas spécifique d’un bâtiment qui s’écroule sur ses habitants le Chabbat, pour nous éclairer dans notre lutte pour trouver de l’ordre et un sens aux hasards de la vie.

Une réalité démolie
Un immeuble écroulé, peut-on arguer, n’est pas essentiellement différent d’un immeuble debout. Sa masse et son poids n’ont pas changé pas plus que la composition de ses matériaux. La seule chose qui ait changé est leur forme extérieure et leur agencement. Mais quelle différence ! D’un côté nous avons une maison abritant la vie complexe et diversifiée des familles. De l’autre, nous avons un amas de décombres qui met en danger, ou pour le moins rend aléatoire, la vie des malheureux qui en sont prisonniers.
Le monde est une structure complexe dont l’agencement et le dessein sont évidents pour n’importe quel observateur impartial. Mais l’homme dispose du libre arbitre : il peut choisir d’ignorer l’évidence et considérer le monde comme un amas hasardeux de décombres, sans direction ni but. Un tel homme est comparable à celui qui a été enterré sous un mapolète , à celui qui habite la création non comme le résident de la maison qu’elle est mais comme quelqu’un qui est enfoui dans un tas de débris dépourvu de sens et dévastateur de l’âme.
«Ne reste pas immobile devant le sang de ton frère» avertit la Torah. Tu ne peux pas t’envelopper dans une égoïste sainteté du Chabbat, rester indifférent au monde chaotique. Tu dois, au contraire, t’acharner à dégager les monceaux de décombres qui couvrent ton prochain, l’amenant à la lumière par l’enseignement et l’exemple. Quand la vie spirituelle de ton prochain est menacée, tu dois interrompre ton propre «Chabbat» pour le sauver.

Trois doutes
Ici, chacun des détails cités par le Talmud, les doutes possibles qui peuvent se soulever (présent ou non, vivant ou non, Juif ou non-Juif), la distance jusqu’où il faut chercher des signes de vie ( le cœur ou le nez), et la profondeur à laquelle est enfouie la victime (au-dessus ou au-dessous dans les décombres), tout cela a un sens profond.
D’une manière générale, trois questions peuvent se poser concernant cette victime de la perception matérialiste de la réalité :
a) Est-elle là ? Souvent une âme peut être plongée dans les entreprises de la vie matérielle mais elle n’est pas réellement «là». Son cœur est avec son moi spirituel. Elle sent que sa place n’est pas «là» et aspire à une vie plus spirituelle. Un tel individu est certainement celui que l’on peut aider le plus facilement à sortir des décombres. Par contre, l’homme peut être tellement immergé dans l’amoncellement des décombres que ses pensées, ses sentiments et ses désirs sont véritablement «là», enfouis dans la matérialité.
b) Est-elle vivante ? La vie, dans son ultime définition, est l’attachement au Créateur ; selon les mots de la Torah : «Ceux qui s’attachent à D.ieu… sont vivants». Ainsi un homme peut être enseveli dans les monceaux de la matérialité mais toujours en vie, animé par l’accomplissement de la Torah et des Mitsvot. Ou, à D.ieu ne plaise, il peut s’être séparé de la source vitale de son âme.
c) Juif ou non-Juif ? Même celui qui transgresse la volonté divine peut encore être fidèle à son identité, quels que soient son comportement et sa perspective. Mais qu’en est-il de celui qui a complètement renoncé à l’essence de ce qu’il est ? N’y aurait-il alors aucune raison de se départir de sa tranquillité personnelle pour tenter de le sortir des décombres ?

Les signes de vie
Aucune âme n’est sans espoir car l’âme est «littéralement une partie de D.ieu En Haut». Il est vrai que D.ieu a créé le corps humain à partir de «la poussière de la terre», rendant l’homme sensible à la matérialité de son environnement. Mais «Il a insufflé dans ses narines une âme vivante», imprégnant la poussière d’esprit et donnant à l’argile une étincelle de divinité.
Il se peut que l’individu refoule son essence divine dans les recoins les plus reculés de son cœur, la réduisant à un faible rai de conscience qui ne jaillit que lors de certaines occasions. Il peut même ne plus en exister aucune influence perceptible. Mais il ne peut défaire ce qu’a fait D.ieu. D.ieu a insufflé dans ses narines une âme vivante ; l’homme peut le nier mais ce fait existe, réalisé à l’aube de sa vie. On se réfère à un tel être comme à celui dont «l’âme est dans le nez», à l’entrée de son corps dont elle a été exilée, prête à pénétrer son esprit, son cœur et sa vie au moment où il inspirera le souffle divin de vie qui lui a été imparti.
C’est là le sens profond des deux opinions citées par le Talmud concernant les signes de vie à rechercher. L’une des opinions soutient que s’il n’existe plus de signe de vie dans le cœur, il n’est plus besoin de creuser plus profondément. Spirituellement, cela signifie que même si dans son comportement, rien ne reflète la Divinité de son âme, il subsiste toujours un espoir de ranimer la personne, tant que son cœur présente un souffle de vie, même sous forme de faible mémoire. Si ce n’est pas le cas, alors il n’y a plus rien à faire.
Mais une autre opinion, et c’est celle qu’adopte la loi, affirme que même si le cœur ne montre aucun signe de vie, il faut continuer de creuser. Car si la vie ne subsiste que dans «le nez», son potentiel divin peut encore être ranimé et réussir à faire revivre son être tout entier.

Le survivant tout en dessous des décombres
Enfin l’emplacement de la victime s’envisage également dans une perspective spirituelle. Si vous voyez des hommes, grands spirituellement, enfouis sous les décombres, ne présumez pas que ceux qui sont moins talentueux, moins intelligents ou moins spirituellement élevés, sont perdus. Bien au contraire, nous avons vu, au cours du temps, que les gens simples sont ceux qui ont souvent persévéré alors que bien souvent des érudits et des plus éminents ont failli.
Le Juif simple, sa foi et son intégrité indifférentes aux prétentions de l’intellect, est le survivant le plus tenace.
Le Coin de la Halacha
Que fait-on à Pourim ?

Cette année, Pourim tombe le mardi 14 mars 2006.
Lundi 13 mars 2006, on jeûne du matin au soir : le matin, on récite les Seli’hot et la prière «Avinou Malkenou». Avant l'office de «Min'ha», l'après-midi, on donne trois pièces de cinquante centimes d’euro à la «Tsedaka» (charité) en souvenir de l'offrande des trois demi-sicles pour la construction et l'entretien du Temple. Dans la «Amida», on rajoute la prière «Anénou».
Lundi 13 mars, après la prière du soir, on écoute attentivement chaque mot de la Méguila, le rouleau d’Esther.
Pourim, les enfants se déguisent, si possible dans l'esprit de la fête en évitant de se déguiser en «méchant».
Mardi matin 14 mars, ou éventuellement plus tard dans la journée :
(1) on écoute à nouveau chaque mot de la lecture de la «Méguila».
(2) ce n’est qu’après avoir écouté la «Méguila» qu’on peut procéder aux autres Mitsvots de Pourim : on offre au minimum deux mets comestibles à au moins un ami, en passant par un intermédiaire : un homme à un homme, et une femme à une femme : ce sont les «Michloa'h Manot» ;
(3) on donne au moins une pièce à au minimum deux pauvres pour leur permettre de célébrer la fête, c'est : «Matanot Laévyonim».
(4) mardi après-midi, on se réunit pour prendre part au festin de Pourim dans la joie.

F. L.
De Recit de la Semaine
Pourim sans Kobi

Le jeune Kobi Mandell a été horriblement assassiné en Israël avec un de ses amis, en mai 2002.

On m’a demandé d’écrire un article intitulé «Pourim sans Kobi». Mais je ne peux pas écrire à propos de Pourim sans Kobi parce que, même si Kobi est décédé, je ne célèbre ni Pourim ni rien d’autre – sans Kobi. Dans un article paru dans le New York Times, Steven Flatow écrivait que même si sa fille Aliza avait été assassinée par des terroristes, il restait le père d’Aliza. Moi je suis toujours la maman de Kobi, je ne cesserai jamais de l’être.
Tenter d’expliquer ma relation actuelle avec Kobi est comme tenter d’expliquer les couleurs à un aveugle. Je parle maintenant différemment. C’est comme se trouver dans une maison hantée. Il y a des moments où je ressens une terrible douleur et j’ai l’impression que je serai toujours hantée. Je remarque parfois comment les gens me regardent et je me souviens de la maison hantée devant laquelle je passais quand j’étais enfant. Contrairement à nos maisons modernes, celle-ci était vieille, faite en briques sombres, avec des fenêtres arrondies. Peut-être que maintenant je la trouverais étrange, intéressante ou même jolie. Ce qui est hanté peut aussi être auréolé, sanctifié car se perdant dans quelque chose de plus grand et s’attachant à D.ieu. Tout dépend de la façon dont vous traduisez votre expérience.
Pourim nous raconte que la signification véritable de ce monde est cachée. Le nom d’Esther, l’héroïne de l’histoire de Pourim, vient du mot hébraïque qui signifie « se cacher ». Dans la Méguila de Pourim, le nom de D.ieu n’est jamais mentionné même si Son influence est perceptible à chaque instant.
Pour rencontrer D.ieu, nous devons abandonner notre position orgueilleuse et adopter une certaine humilité, comme pour nous cacher. Ce n’est qu’alors que nous ressemblerons à la reine Esther : elle aurait pu rester dans ce palais royal où elle vivait dans le luxe, avec massages, parfums et maquillages mais elle choisit au contraire de ressentir la souffrance de son peuple. Esther n’a pas laissé son statut de reine lui monter à la tête.
C’est peut-être notre rôle dans ce monde : être davantage en phase avec d’autres gens, ressentir leur douleur et leurs problèmes, agir en osmose avec eux. Peut-être est-ce cela que nous devons célébrer : notre capacité à nous aider les uns les autres à progresser vers la guérison, notre propension à l’égoïsme qui se transforme en empathie avec les gens autour de nous. Une telle unité peut mener vers la guérison.
Moins d’un an après l’assassinat de notre fils, mon mari et moi-même avons marqué notre anniversaire de mariage par un dîner au restaurant. Je ne peux pas dire «célébrer» parce que nous étions trop tristes. Quand nous sommes entrés dans l’établissement, une serveuse souriante nous a accueillis : elle avait des cheveux noirs brillants et se montrait dynamique et souriante. Je l’admirai pour son enthousiasme et pensai : «Elle n’a aucune idée de la douleur qui m’accompagne, du poids de ce que je porte».
Tandis que nous mangions, nous avons apprécié le décor et avons pensé que ce restaurant serait l’endroit parfait pour marquer prochainement ce qui aurait dû être le quinzième anniversaire de Kobi. Nous avons décidé alors d’inviter quinze personnes pauvres ou handicapées au restaurant pour marquer ce jour important – pour se souvenir des défunts en apportant un peu de joie aux vivants.
Nous avons parlé au directeur de l’établissement. Il mentionna qu’il travaillait bénévolement dans un centre de réhabilitation non loin de là, il aidait les adolescents issus de familles pauvres, de foyers désunis et il nous suggéra d’inviter ces jeunes à se joindre à nous : ils apprécieraient certainement cette sortie. L’idée prenait forme presque d’elle-même. Nous n’avions pas pensé inviter des adolescents mais il y avait là une certaine logique : Kobi lui-même en était un. Nous avons remercié le directeur pour sa suggestion. Avant de partir, mon mari lui demanda : «Au fait, connaissez-vous les Goodman ? Ils habitent non loin d’ici. Ils ont perdu leur fils de seize ans, Tami, cette année, dans un accident. Nous leur avons présenté nos condoléances durant la semaine de deuil, je voudrais savoir comment ils vont».
- «Vous pouvez le demander vous-même : votre serveuse est leur fille !»
Je la regardai, si belle et si gaie et je me dis : «On ne sait jamais ce qui se passe à l’intérieur d’une personne !» Je l’avais mal jugée. Quand elle vint à notre table, je lui racontai notre deuil et elle nous raconta sobrement le sien.
Au cours de notre conversation, je réalisai combien des pans entiers de notre vie sont cachés. Nous ne voyons pas les peines et les soucis des autres.
Alors que nous échangions nos impressions, mon mari et moi-même nous sentions moins isolés. La douleur s’était estompée pendant un moment. La guérison peut se produire quand nous choisissons de révéler ce qui est caché en nous. Alors la douleur ne nous hante plus mais nous rapproche les uns des autres.
Si nous ne parvenons même pas à voir ce qui est à l’intérieur des gens, imaginez combien il est difficile de voir D.ieu dans ce monde. Mais Pourim nous enseigne que même quand nous ne pouvons pas voir D.ieu, Il est avec nous. Même si nous ne le ressentons pas, même si tout semble signifier le contraire, D.ieu ne nous abandonne pas dans notre chagrin.
Et viendra le jour où nous serons tous à nouveau réunis.

Sherri Mandell
Kosher Spirit Magazine – Le’haïm
www.kobimandell.org
traduit par Feiga Lubecki