Vers « le monde d’après »
Nous l’attendions, n’est-ce pas ? Et ce n’est pas du « déconfinement » qu’il s’agit ! Alors ? La fête de Chavouot est notre rendez-vous. De fait, nous l’avons attendue depuis Pessa’h et, malgré les soubresauts de l’actualité, nous n’avons jamais perdu de vue l’avancée majeure que ce jour représente. Les épreuves de la période n’ont en rien attiédi l’ardeur naturelle qui s’empare de chacun à l’approche de la fête. Au contraire, elles l’ont soulignée. En effet, si avoir des repères forts est toujours nécessaire, cela devient sans doute encore plus impératif quand le monde alentour semble comme déstabilisé.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Jusqu’au Don de la Torah, les hommes erraient sans même être capables de donner un nom à cette errance morale et intellectuelle. Qu’est-ce qu’un être humain s’il ne possède pas de valeurs incontournables ? Qu’est-il s’il n’a pas de vision d’avenir et si, pour lui, tout n’est qu’un éternel recommencement ? Sans un espoir qui le pousse vers tous les devenirs, il n’est plus que l’image de la stagnation, du repli sur soi. Mais vient le Don de la Torah, la révélation de la Volonté Divine dans ce monde, et tout change. C’est comme si, tout à coup, les choses prenaient forme c’est-à-dire sens et vie. Nouveauté radicale : l’homme découvre le chemin qui le conduit au-dessus de lui-même. Il peut enfin sortir des limites de sa condition et, créature, s’élever jusqu’au Créateur. Plus encore, quand le ciel s’assombrit, que les circonstances lui font perdre la route, il possède à présent un guide, des repères qui le maintiennent dans la société des hommes et dans une civilisation d’harmonie.
Pour toutes ces raisons, Chavouot n’est pas une fête comme les autres et encore moins une commémoration. C’est le jour fondateur, la pierre ultime sur laquelle se fonde notre existence et il doit être ainsi vécu. En ce jour, les Dix Commandements retentiront et, comme la première fois, au mont Sinaï au lendemain de la sortie d’Egypte, D.ieu les proclamera, pénétrant ainsi le monde de Sa sagesse et de Sa présence. Plus rien ne sera jamais pareil. S’il y a un « monde d’après », c’est de celui-là qu’il s’agit. Il nous appartient de le concrétiser.
Le secret du secret
Les premiers ‘Hassidim, citant le troisième Rabbi de Loubavitch, le Tséma’h Tsédek, ont enseigné :
La Torah comporte quatre niveaux d’interprétation : le “Pchat” ou “sens premier”, le “Rémez” ou “sens allusif”, le “Drach ou “sens homilétique” et le “Sod”, “sens ésotérique” ou littéralement “secret”. Chacun de ces quatre niveaux se subdivise par les quatre autres. Ainsi, pour le “Sod”, on trouvera la partie “Pchat” du “Sod”, la partie “Rémez” du “Sod” etc.
Le “Pchat” du “Sod” a été révélé par Rabbi Chimon bar Yo’haï. Le “Rémez” du “Sod” l’a été par Rabbi Its’hak Louria, le Ari Zal. La “Drouch” du “Sod” a été révélé par le Baal Chem Tov. Quant au “Sod” du “Sod”, il le sera par le Machia’h.
(d’après la tradition ‘hassidique)
Chavouot : Recevoir de nouveau la Torah
Le Don de la Torah n’est pas un événement qui n’appartient qu’au passé lointain. Chaque Chavouot, et dans une moindre mesure, chaque jour, nous revivons cette expérience. Cela se reflète dans la louange que nous adressons à D.ieu : « Celui Qui donne la Torah », où nous utilisons le temps présent, et dans la déclaration de nos Sages selon lesquels nous devons toujours considérer la Torah comme « quelque chose de nouveau que nous recevons aujourd’hui. »
Les circonstances matérielles du Don de la Torah sont donc primordiales car dans leur sens métaphorique, elles nous indiquent comment, en tout temps et en tous lieux, se lier à la Torah. Le Mont Sinaï et son environnement symbolisent les qualités personnelles qui permettent à un individu d’acquérir la Torah.
Le Midrach relatant le choix qu’opéra D.ieu au Mont Sinaï nous indique que c’était « la plus petite des montagnes » pour mettre l’accent sur l’importance de l’humilité. Si l’on se demande pourquoi, dans cette perspective, D.ieu ne donna-t-Il pas la Torah dans une plaine ou dans une vallée, la réponse est que le choix d’une montagne indique le besoin d’une certaine dose d’estime de soi. Ce sont ces deux qualités : l’humilité et l’estime de soi qui sont nécessaires à notre acquisition de la Torah.
Faire la synthèse d’attributs contraires
Un être humain habité par l’égoïsme ne peut établir de relation avec D.ieu. Comme le statue le Talmud : « (en ce qui concerne) une personne qui possède un esprit dédaigneux, le Saint Béni soit-Il déclare : ‘Moi et lui ne pouvons résider dans le monde’. » Dans nos prières quotidiennes, nous exprimons la relation entre l’humilité et l’étude de la Torah en demandant dans un même élan : « que mon âme soit de la poussière pour tous, ouvre mon cœur à Ta Torah. »
Cependant, l’humilité seule ne suffit pas pour acquérir la Torah. Une personne à qui il manque de la force de caractère et l’estime de soi ne sera pas capable de surmonter les innombrables obstacles qui peuvent se soulever dans son chemin vers l’observance de la Torah.
L’humilité et la fierté peuvent ne pas être mutuellement exclusives. Elles ne sont pas toujours issues de l’égocentrisme, pas plus qu’elles ne sont toujours le résultat de la perception que l’on peut avoir de ses propres qualités.
Une image de soi positive et le sentiment de satisfaction personnelle naissent de notre prise de conscience du lien que nous établissons avec D.ieu grâce à la Torah. Le fait de savoir que l’observance des Mitsvot nous permet d’accomplir la Volonté Divine est la plus grande source possible de renforcement personnel.
Dans cette perspective, les qualités d’humilité et d’estime de soi sont complémentaires. L’humilité encourage le développement d’une connexion encore plus profonde avec D.ieu, ce qui, à son tour, va faire naître une estime de soi comme on l’a décrite plus haut.
Le sentiment de fierté issu d’une relation avec D.ieu est bien plus puissant que celui que produit l’appréciation de nos qualités propres. L’orgueil qui se tourne vers la personne elle-même est limité en fonction de ses qualités et peut être abattu par un individu exceptionnel ou un défi insurmontable. En revanche, la force personnelle que l’on tire d’un engagement à accomplir la Volonté divine appartient au domaine infini de son objectif. Aucun obstacle ne peut se mettre en travers de son chemin.
Une fierté humble, une humilité assumée
La combinaison de ces deux qualités était parfaitement personnifiée par Moché Rabénou. Il fut, d’une part, le chef du Peuple Juif. Il reçut la Torah au mont Sinaï et l’étudia avec D.ieu pendant quarante jours et quarante nuits. Lui-même écrivit le verset : « et ne se leva jamais en Israël un prophète comme Moché. » Et pourtant, il était « plus humble que tous les hommes à la surface de la terre. »
Moché avait pris conscience que tous les dons dont il bénéficiait lui avaient été octroyés par D.ieu. Il allait jusqu’à croire que si quelqu’un d’autre avait été gratifié des mêmes dons, il serait parvenu à de plus grands accomplissements que lui. La conscience de son immense potentiel ne le faisait pas plonger dans un orgueil égocentré pas plus que son humilité ne l’empêchait d’apprécier et d’utiliser ses capacités.
Une terre sans propriétaire
Le mont Sinaï est situé dans le désert. Chaque année, la relation entre le Sinaï et le désert est ravivée par la lecture de la Paracha Bamidbar, qui se traduit par « dans le désert », que l’on fait avant Chavouot.
Nos Sages soulignent que le désert n’appartient à personne. En donnant la Torah dans le désert, D.ieu voulait montrer que personne, aucune tribu ne peut la contrôler : chaque Juif a une part égale dans la Torah.
Face à la terre stérile
Une autre leçon se dégage du fait que la Torah fut donnée dans le désert. Non seulement il n’a pas de propriétaire mais c’est également une terre stérile et désolée. Quand nos ancêtres reçurent la Torah, ils dépendaient donc exclusivement de D.ieu pour leur subsistance, l’eau et les vêtements. Et pourtant, loin de s’en inquiéter, ils reçurent la Torah avec une foi remplie d’amour. Leur dévotion servit de mérite éternel pour le Peuple juif, comme il est écrit : « Je me suis souvenu de vous, de l’amour de vos jours de mariage, du fait que vous M’ayez suivi dans le désert, sur une terre inconnue. »
A certains moments, nos moyens de subsistance sont problématiques, notre environnement nous apparaît comme un désert stérile. Ces obstacles ne doivent pas tiédir notre engagement à l’étude de la Torah et à la pratique des Mitsvot. Au lieu d’accorder la priorité à nos préoccupations matérielles, considérons que c’est la Torah qui mérite la primauté et gardons la foi que D.ieu subviendra à nos besoins comme Il l’a fait pour nos ancêtres.
Le désert peut fleurir
Le désert peut aussi être compris comme une métaphore du sentiment d’aridité et de vide spirituels. Celui qui ressent de tels sentiments devrait se rappeler que la Torah fut donnée dans un désert, et que, dans sa situation présente, D.ieu descend et lui donne Son bien le plus précieux : la Torah. Quel que soit son état, que cet homme reconnaisse qu’il a sans cesse l’occasion de se lier à D.ieu par le biais de la Torah.
Ce concept s’applique également dans nos relations avec autrui. Nous pouvons, et devons, partager la Torah avec tous les Juifs, même ceux qui semblent être des déserts stériles. Nos Sages nous conjurent d’ « être parmi les disciples d’Aharon… aimant les créatures et les rapprochant de la Torah. » Dans le Tanya, Rabbi Chnéor Zalman explique que cette phrase nous enseigne que nous devons aimer tous les Juifs, même ceux auxquels il ne reste comme caractéristique que d’être des créations de D.ieu.
Nos Sages relatent qu’au cours des quarante années de périple dans le désert, tous les Juifs purent transformer cette terre aride en « terre de résidence » au point que poussaient des arbres fleuris et fruitiers.
Notre étude de la Torah peut susciter un effet similaire. Les aspects de notre personne et de celle d’autrui qui semblent stériles peuvent devenir productifs grâce à la Torah.
Cela évoque le temps de la Délivrance où même « les arbres d’ombre seront chargés de fruits. » Les fruits du Service divin des Juifs au cours de l’exil fructifieront alors et toute l’humanité pourra apprécier que le monde est la résidence de D.ieu. Que cela se produise dans le futur immédiat !
Que fait-on à Chavouot ?
On a coutume de se couper les cheveux la veille de Chavouot, donc cette année le jeudi 28 mai 2020.
Jeudi 28 mai 2020, on aura pris soin de préparer le « Erouv Tavchiline » avant l’entrée de la fête de façon à pouvoir cuisiner le vendredi pour Chabbat.
On allumera avant 21h 24 (heure pour l’Ile-de-France) une bougie de 24 heures pour pouvoir aussi allumer les bougies du vendredi soir. Puis les femmes allumeront les deux bougies de la fête (les jeunes filles et les petites filles allumeront une bougie), en récitant les bénédictions :
1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Yom Tov » - (« Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les bougies du jour de fête »
2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - (« Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre, exister et qui nous as fait parvenir à ce moment »).
Dans nombre de communautés, on a la coutume de décorer la synagogue et sa maison de fleurs, en souvenir du don de la Torah, quand le désert et le mont Sinaï se sont couverts de fleurs.
Il est de coutume de veiller et de lire le Tikoun - Kriei Moéd toute la première nuit de Chavouot, donc la nuit du jeudi 28 au vendredi 29 mai 2020.
Cette année, lorsque les conditions le permettent, tous, hommes, femmes et enfants, même les nourrissons, se rendront à la synagogue vendredi matin 29 mai 2020 pour écouter la lecture des Dix Commandements. On marque ainsi l’unité du Peuple juif autour de la Torah, et on renouvelle l’engagement d’observer ses préceptes.
On a l’habitude de prendre un repas lacté avant le vrai repas de viande vendredi midi.
Vendredi 29 mai, avant 21h 25, les femmes, jeunes filles et petites filles allumeront leurs bougies à partir d’une flamme déjà existante et prononceront les bénédictions :
1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Chabbat Vechel Yom Tov » - (« Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les bougies du Chabbat et du jour de fête »
2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - (« Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre, exister et qui nous as fait parvenir à ce moment »).
Samedi matin 30 mai 2020, on récite, pendant l’office du matin, la prière de Yizkor en souvenir des disparus : on donnera de l’argent à la Tsedaka pour leur mérite après la fête.
La fête se termine samedi soir 30 mai 2020 après 22h 48 (heure pour l’Ile-de-France). On récite la prière de la Havdala.
Rappelons qu’on ne récite pas la prière de Ta’hanoun (supplications) depuis Roch Hodech Sivan (dimanche 24 mai) jusqu’au jeudi 12 Sivan (4 juin 2020).
Les parchemins
Le vieux paysan polonais désirait amuser le régiment de soldats russes qui avait délivré sa ville de l’occupation nazie : « Venez, je vais vous montrer quelque chose d’intéressant ! » se réjouit-il d’annoncer avec un clin d’œil lourd de sous-entendus.
Il les mena vers un grand bâtiment. Dès qu’ils entrèrent, un des soldats russes reconnut une entaille sur le linteau de la porte : la trace d’une Mezouza, ce parchemin sacré posé à l’entrée de chaque porte d’une maison juive. Certainement la Mezouza avait été arrachée et la maison pillée après que ses habitants en aient été chassés et sans doute déportés. En entrant plus à l’intérieur, ce soldat juif comprit qu’il ne s’agissait pas d’une simple maison mais d’une synagogue. Elle était maintenant en ruine : cependant, on reconnaissait l’arche sainte, ouverte, saccagée, vide, salie et souillée.
Les Polonais et les Russes ne s’aimaient pas depuis des siècles. Mais autant les uns que les autres, ils haïssaient les Juifs ; et tous riaient de bon cœur, comme s’ils avaient joué un bon tour à leur « ennemi » commun en constatant l’état de délabrement de la synagogue. Quant au seul soldat juif du bataillon russe, il sentait un terrible pincement au cœur qu’il s’efforça de ne pas montrer à ses camarades : sur les murs du « bâtiment » étaient agrafés - comme d’immenses posters - les parchemins sacrés arrachés aux rouleaux de la Torah !
Il s’appelait Acher Itzeldaïev et était né en 1917 près de Boukhara. Quand il avait deux ans, les Musulmans avaient assassiné son père. A l’âge de neuf ans, il perdit aussi sa mère, de maladie. Il fut recueilli dans un orphelinat où il passa de longues années très difficiles, avec des enfants d’une sauvagerie extrême et des moniteurs cruels et antisémites. Malgré cet environnement éprouvant, il se souvenait qu’il était juif, se répétait mentalement chaque soir les quelques prières qu’il avait apprises « avant » et s’efforçait de garder une conduite humaine, morale et digne. Par la suite, il étudia à l’université de Samarkand et se maria avec une jeune fille juive, issue d’une prestigieuse famille de Rabbanim. Grâce à son épouse, il put approfondir un peu ses connaissances du judaïsme, apprendre à lire l’hébreu et prononcer quelques prières de base.
Alors que le jeune couple avait deux enfants, la seconde guerre mondiale avait éclaté et Acher avait été incorporé de force dans l’armée rouge. On l’avait incorporé au bataillon de cavaliers des Cosaques, ces rudes combattants connus pour leur audace et leur cruauté mais surtout pour leur antisémitisme forcené. Ceci n’empêcha pas Acher de s’affirmer en tant que Juif et de se faire respecter grâce à ses capacités et son courage dans les combats. Il participa à la bataille décisive de Stalingrad qui marqua un tournant dans la suite de la guerre et signifia le début des défaites des Nazis. Ceux-ci battirent en retraite, les Russes les poursuivirent et, petit à petit, libérèrent la Pologne. C’est ainsi que le bataillon d’Acher parvint dans cette petite ville.
Quand ils sortirent de la synagogue profanée, Acher se tourna vers un de ses compagnons et lui demanda secrètement de l’aider durant la nuit. La lune éclairait leur chemin et les deux cavaliers arrivèrent devant le bâtiment déserté. Sans un bruit, ils entrèrent et détachèrent soigneusement les parchemins sacrés qui avaient servi de papier peint. Ils les enroulèrent et les cachèrent sous leurs longs manteaux, boutonnés jusqu’au cou et façonnés de sorte à les couvrir entièrement quand ils chevauchaient leurs montures.
Profitant de l’éclairage de la pleine lune, tous deux se dirigèrent vers le cimetière juif local. Là aussi, Acher dut réprimer un flot de larmes en constatant que les pierres tombales avaient été saccagées et servaient de pavés sur le chemin… Ils localisèrent un endroit propice, creusèrent la terre gelée et y enfouirent respectueusement les parchemins souillés.
De fait, Acher n’était pas certain d’avoir agi comme il se doit. Il ne possédait pas de grandes connaissances dans le judaïsme et craignait d’avoir accentué la profanation plutôt que d’y avoir remédié. Naïvement et sincèrement, il s’adressa à D.ieu de tout son cœur : « Maître du monde ! Je ne sais pas si j’ai agi correctement mais je ne pouvais pas supporter l’idée que ces parchemins aient été ainsi traités ! » Puis il se souvint qu’à chaque enterrement juif, on récite le Kaddich en présence de dix hommes. Il réfléchit et leva les deux mains vers le ciel en estimant que ses dix doigts remplaceraient les dix hommes : il récita alors les paroles du Kaddich dont il se souvenait face au monticule de terre qui cachait les précieux parchemins. Avec son compagnon, le cœur serré, il rejoignit le campement des Cosaques.
Après la fin de la guerre, Acher reçut la médaille des héros car il avait sauvé la vie de son commandant blessé en le portant sur ses épaules, dans la neige, sur plusieurs kilomètres. C’est à Berlin qu’il fut libéré de l’armée et il put alors rejoindre sa famille à Samarkand.
Tout ce temps, il resta incertain quant à cet enterrement qu’il avait entrepris en Pologne : avait-il agi comme il le fallait ? A Samarkand, il posa la question qui ne cessait de le tarauder à un érudit, le ‘Ha’ham Yedidia Kaïkov. Celui-ci fut bouleversé en entendant son récit et plus encore, quand il exprima son inquiétude et le fait que sa conscience ne le laissait pas en paix : « A la guerre, tu as gagné une médaille pour ton courage, le rassura-t-il. Mais par le mérite d’avoir sauvé ces parchemins sacrés, tu as mérité le plus beau des cadeaux : la vie sauve et, avec l’aide de D.ieu, beaucoup de joies de tes enfants ! ». Et le ‘Ha’ham posa ses deux mains sur sa tête pour le bénir avec émotion.
En 1979, Acher put monter en d’Israël avec sa femme et leurs deux enfants. Ils eurent la joie de voir petits-enfants et arrières petits enfants s’épanouir et se renforcer dans le chemin de la Torah.
Chaque fois qu’Acher racontait l’épisode des parchemins de la Torah, il pleurait sans pouvoir se retenir, de chagrin et de joie.
Yekatrina Pozailov (fille d’Acher)
Tel-Aviv
Si’hat Hachavoua N° 962
Traduit par Feiga Lubecki