Samedi, 26 mai 2018

  • Nasso
Editorial

 Plus grand qu’un rêve

Tous les grands événements ont cette même caractéristique bouleversante : chacun attend leur venue avec une véritable tension intérieure et chacun ressent leur passage avec une acuité infinie. Puis, après avoir vécu de leur souffle, chacun perçoit qu’ils s’écoulent, s’éloignent et, bientôt, ne forment plus qu’un point à l’horizon. C’est là le sort des choses. L’homme, soumis à la dictature du temps, n’y peut rien. Il a ainsi appris à recourir au souvenir. Pourtant, quand passe la fête de Chavouot, elle ne peut s’effacer.

Ce n’est pas que nous ayons trouvé le secret qui suspendrait le déroulement du temps. Ce n’est pas non plus que nous ayons choisi d’entretenir l’illusion d’une impossible permanence. Simplement, le jour du Don de la Torah laisse une marque autant sur l’univers et la conscience collective que sur l’homme et la conscience individuelle. De fait, à l’écoute des Dix Commandements, tout l’existant vit la rencontre avec D.ieu. Le monde tout entier fait silence et s’en pénètre pour ne plus jamais être le même. Quant à l’homme, il acquiert la certitude que l’histoire a un sens et que les actions humaines, aussi barbares puissent-elles être, ne peuvent fondamentalement la détourner de son cours.

Lorsque les heures de Chavouot passent, elles ne disparaissent donc pas. Peut-être s’enfoncent-elles simplement un peu plus. Elles ne sont plus à la surface de l’esprit, elles y sont entrées et continuent d’exercer leur puissance. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : puissance de la Révélation Divine ou puissance du monde matériel. L’éternel combat se poursuit aujourd’hui en chacun. Nous n’en sommes pas uniquement les spectateurs ou les arbitres mais bien les parties prenantes. Le Don de la Torah nous donne cette force-là : décider de la direction à suivre, pour nous-mêmes et pour tout ce qui nous entoure. Cela s’appelle la liberté et elle commence maintenant, à la fois privilège et responsabilité.

Savoir, c’est pouvoir dit-on. Avec le Don de la Torah, la Sagesse de D.ieu révélée, nous savons sans obstacle ni retour. Nous avons la capacité d’agir. Faire de ce monde un lieu de vie plus beau, ce n’est plus forcément un rêve.

Etincelles de Machiah

 Le sort des nations

Décrivant le temps de Machia’h, le prophète Isaïe (54 :7) déclare : « Car la nation et le royaume qui ne te serviront pas disparaîtront ». Cette annonce présente évidemment un caractère dramatique cependant elle ne correspond pas à une punition, même méritée.

En effet, à cette nouvelle époque, la réalité de chaque existence apparaîtra. C’est ainsi que tous verront clairement que toute la création, y compris l’ensemble des nations du monde, n’a été créée que pour accomplir la Volonté Divine. C’est dire que le refus de se conformer à cet objectif ultime prive la créature de sa raison d’être.

C’est pourquoi, lorsque le Machia’h viendra, toute créature qui rejettera la fonction pour laquelle elle a été créée, ne pourra que cesser d’exister.

(d’après Likouteï Si’hot, vol. XXIV, p. 161)

Vivre avec la Paracha

 Nasso

En complément du recensement des Enfants d’Israël effectué dans le désert du Sinaï, un total de 8 580 Lévites, hommes entre 30 et 50 ans, est compté, pour récapituler le nombre de ceux qui se livreront effectivement à la tâche de transporter le Tabernacle.

D.ieu enseigne à Moché la loi de la Sotah, la femme suspectée d’infidélité envers son mari. Sont également données les lois du Nazir qui renonce à la consommation de vin, laisse pousser ses cheveux et ne peut se rendre impur par le contact avec un corps sans vie.

Aharon et ses descendants, les Cohanim, sont instruits sur la manière de bénir le peuple d’Israël.

Les dirigeants des douze tribus d’Israël apportent tous leurs offrandes pour l’inauguration de l’autel. Et bien que leurs dons soient identiques, chacun est apporté un jour différent et ils sont décrits, un par un, par la Torah.

 

La Paracha Nasso évoque de nombreux commandements parmi lesquels figurent les diverses obligations du Nazir. L’une d’entre elle nécessite qu’il ne se coupe pas les cheveux, comme l’illustre l’un des plus célèbres : Chimchone (Samson). Cette loi concernant le Nazir souligne la sainteté extraordinaire des cheveux et c’est pourquoi la Torah insiste sur le fait qu’il ne doit pas les couper. Nous savons tous que Chimchone en tirait sa force prodigieuse. Il semble donc que les cheveux comportent un aspect positif.

Cependant dans certains passages de la Torah, nous lisons tout le contraire. Par exemple, dans le cas du Metsora, celui qui est atteint d’une maladie un peu comparable à la lèpre, dont nous avons parlé il y a quelques semaines, nous observons que ses cheveux devaient être complètement rasés.

Les Lévites, dans le désert, reçurent également l’injonction de les couper complètement.

Quelle est donc la véritable signification des cheveux ? Est-ce quelque chose qui manque de sainteté, comme nous pouvons le constater avec le Metsora ou avec les Lévites, ou cela contient-il une sainteté extrêmement importante, comme pour le Nazir ?

Ces commandements semblent s’opposer les uns aux autres.

La ‘Hassidout explique que le cheveu représente une diminution de la force vitale, une contraction pour ainsi dire. En effet, nous pouvons constater d’une part que les cheveux sont vivants, qu’ils ne cessent de pousser. Mais par ailleurs, la force vitale des cheveux est si faible qu’on peut les couper sans en ressentir aucune douleur. Ainsi s’ils sont vivants, ils le sont moins, pour ainsi dire, que d’autres parties de notre corps.

Cette vitalité affaiblie constitue-t-elle un aspect positif ou le contraire ?

Tout dépend de la situation.

Prenons pour exemple un maître transmettant un enseignement à ses élèves. S’il n’est que peu versé sur le sujet par rapport à ses élèves, il devra leur dispenser la totalité de ses connaissances. S’il venait à contracter et diminuer ses informations, ses élèves n’apprendraient rien, puisque déjà, a priori le maître n’a pas beaucoup de connaissances. Et dans ce cas, le fait de contracter, réduire et diminuer la transmission serait quelque chose de négatif.

Mais si, par contre, l’enseignant possède des connaissances bien plus profondes et supérieures à celles de ses élèves, c’est précisément le fait de ne pas s’adapter, de ne pas se mettre à leur portée, de ne pas contracter son savoir qui empêchera toute acquisition de la part des élèves. Pour que les élèves puissent tirer parti de cet enseignement, il est indispensable que le maître puisse se mettre à la portée des âmes qu’il a en main. S’il veut leur transmettre l’ensemble de ses connaissances, ils n’apprendront rien.

Cette contraction est donc, dans ce cas, un élément positif.

La ‘Hassidout explique qu’il s’agit du même processus dans l’idée de la contraction de la Divinité qui permet à D.ieu de créer et de faire vivre le monde.

Si nous parlions d’un niveau de Divinité inférieur dans le monde, un tel niveau, après avoir été contracté, aurait des influences négatives. Cette force vitale pourrait se diriger vers des forces indésirables et nourrir des forces opposées à la Divinité.

Cependant, l’essence de la Divinité, la lumière illimitée de D.ieu doit être contractée pour que le monde soit créé. Dans le cas inverse, le monde ne serait pas en mesure d’exister et devant l’extraordinaire révélation de la Divinité, il serait totalement annihilé dans son existence, tout comme un objet matériel exposé à proximité du soleil serait complètement brûlé.

C’est pourquoi, lorsque nous parlons d’une contraction d’un niveau si extraordinaire de Divinité, il s’agit d’une contraction positive, absolument nécessaire.

Mais si nous évoquons la contraction d’un niveau inférieur de Divinité, cela n’est pas seulement inutile mais cela peut également avoir des conséquences négatives.

Cette idée de contraction est représentée par les cheveux.

Dans certains cas, la loi évoque la coupe des cheveux dans une représentation qui souligne l’aspect négatif de cette contraction, comme nous l’avons vu plus haut. Il s’agit ici d’une révélation inférieure de la Divinité et cela représenté par les lois qui rendent nécessaire la coupe des cheveux, comme c’est le cas pour les Lévites ou le Metsora.

Mais parfois, la contraction est nécessaire et cela apparaît, dans la loi juive, par les cheveux du Nazir où la contraction, c’est-à-dire le fait de laisser pousser les cheveux, est quelque chose de positif, constructif et saint.

C’est la raison pour laquelle, dans le cas du Nazir, ses cheveux ne doivent pas être coupés.

Le Coin de la Halacha

 Jusqu’à quel point doit-on préférer acheter dans des magasins tenus par des coreligionnaires ?

Il est écrit dans la Torah (Vayikra – Lévitique 25 : 35) : « Tu le renforceras ». Les Sages déduisent de là qu’il faut renforcer son frère juif et lui faire gagner de l’argent si les conditions sont les mêmes que chez son concurrent.

Le Rambam compte huit degrés dans la façon de donner la Tsedaka (charité) et écrit : « La façon la plus haute – il n’y en a pas de plus haute – de renforcer financièrement son frère juif (qui s’est appauvri) est de lui offrir un cadeau ou de lui proposer un prêt ou de l’engager comme associé ou de lui trouver du travail afin qu’il n’en vienne pas à avoir besoin (de la charité) des autres ».

Ainsi celui qui préfère acheter chez un coreligionnaire et lui évite ainsi la faillite ou lui procure un travail adéquat accomplit la Mitsva de Tsedaka. S’il s’avère que le produit acheté ainsi est plus cher que dans un autre magasin, on peut inclure la différence dans le calcul du Maassère (les 10 % de ses revenus qu’on doit remettre à la Tsedaka).

Les notables de la communauté devraient exhorter les fidèles à privilégier les achats dans les magasins tenus par d’autres Juifs et préférer employer en priorité les coreligionnaires.

Cependant, le propriétaire du magasin ne devrait pas exagérer et profiter de cette mesure pour augmenter ses prix de façon délibérée, surtout sur les produits de première nécessité comme l’huile, le vin, les céréales.

Il est interdit à des commerçants de provoquer une rupture de stocks ou de s’entendre sur le prix des marchandises pour les augmenter artificiellement. Rappelons que les Sages ont institué des règles très strictes dans tout ce qui concerne le commerce et l’interdiction de prendre indûment l’argent (ou le travail) des autres et, en cas de doute, il est recommandé de consulter les rabbins spécialisés dans ces lois.

(d’après Rav Yossef S. Ginsburgh – Sichat Hachavoua N° 1635)

Le Recit de la Semaine

 Le « brûlé mauve »

 En 1987, j’avais onze ans et nous avons passé Chabbat chez le Rabbi. Ce fut un Chabbat merveilleux. J’étais si proche du Rabbi, je l’entendais parfaitement puisque je m’étais caché sous la table. J’eus même droit à un encouragement de sa part et ce fut aussi la première fois que je reçus de sa main un billet tout neuf d’un dollar à remettre à la Tsedaka.

J’étais venu avec des amis de mon âge et un moniteur qui nous faisait confiance. Trop confiance. Pendant qu’il bavardait avec ses camarades de Yechiva, nous étions livrés à nous-mêmes et observions le monde autour de nous. Il y avait tant de gens différents. Mais il y avait un jeune homme qui se distinguait malheureusement trop des autres : son visage était terriblement difforme ! Sa lèvre inférieure était gonflée comme un melon, la peau de son visage était bleuie, violette même. A vrai dire, c’était effrayant. Et nous, les enfants, nous nous moquions de lui. Nous ignorions de quel mal il était affecté : était-ce une maladie ? Un accident ? Une casserole d’eau bouillante qui s’était peut-être renversée sur lui ? Toujours est-il que nous tournions autour de lui en l’affublant de toutes sortes de sobriquets. Entre nous, nous le surnommions « le Mauve ».

Quand nous sommes revenus à la maison, nous avons raconté cet épisode à nos parents et soudain, nous avons réalisé combien nous nous étions mal conduits. En plus, dans la synagogue du Rabbi ! Oh, combien nous l’avons regretté ! Alors que nous avions vécu un merveilleux Chabbat auprès du Rabbi qui nous avait remarqués, qui nous avait encouragés, qui avait pris de son temps pour nous manifester tant d’attention, nous avions osé nous moquer d’un autre Juif qui souffrait certainement suffisamment de sa difformité et du regard des autres ! Je devais absolument m’excuser, lui demander pardon et lui promettre que jamais plus je ne recommencerais ! Par la suite, chaque fois que je suis revenu au 770, pendant des années je recherchais ce jeune homme pour lui demander pardon de ma conduite inqualifiable mais je ne l’ai plus revu.

J’ai grandi, je me suis marié et j’ai eu des enfants D.ieu merci.

Un jour, dans un hôtel à Tel-Aviv, je le reconnus ! Le cœur battant, je me suis approché de lui : j’avais enfin l’occasion de lui demander pardon ! Je me suis présenté, j’ai expliqué que j’étais un de ces enfants insolents qui l’avait tourmenté des années auparavant au 770 et lui ai demandé de me pardonner. Mais il répondit : « Je ne peux pas vous pardonner ! ». J’étais bouleversé. Je l’implorai encore une fois mais il hocha la tête et me raconta son histoire.

De fait, il était atteint d’une maladie rare, ses cellules avaient cessé de grandir comme il faut tandis que ses lèvres avaient continué d’enfler). Il avait habité en Israël puis à New York et même en France où il ramassait des fonds afin de payer ses soins médicaux. C’était un érudit, il connaissait par-cœur le livre de Tehilim (Psaumes) et de nombreuses lois juives. Certains chuchotaient que toutes ses bénédictions se réalisaient…

Quoi qu’il en soit, certains jeunes enfants étaient traumatisés en le voyant et en faisaient des cauchemars au point que le père d’un petit Mendi dut demander au Rabbi une bénédiction pour que son fils de trois ans cesse de s’angoisser. Le Rabbi répondit qu’il prierait pour lui et, effectivement, le petit Mendi se calma.

Moché, le père de Mendi, avait remarqué quelque chose de curieux. Normalement, le Rabbi s’approfondissait dans la lecture de son livre de prières pendant que l’officiant répétait la Amida. Pour mieux se concentrer sans doute, le Rabbi se couvrait toujours la tête de sa main. Pourtant il arriva de rares fois que le Rabbi ne se couvrit pas le front et les ‘Hassidim s’en étonnèrent. Moché remarqua que c’était seulement quand « le brûlé » (comme d’autres le surnommaient) était présent dans l’assemblée.

Moché demanda au Rabbi pourquoi il arrivait à certaines reprises que le Rabbi ne se couvre pas le front et le Rabbi répondit que c’était à relier à la Mitsva de l’amour du prochain. La sensibilité sans borne du Rabbi lui faisait craindre que des gens puissent croire qu’il se couvrait le front pour ne pas voir le visage difformé de ce malheureux jeune homme. Le plus étonnant était que « le brûlé » lui-même était aveugle et ne pouvait donc pas s’offusquer du fait que le Rabbi se couvre ou non le visage. Et malgré tout, le Rabbi tenait à le respecter et ne voulait pas que quiconque interprète son geste d’une façon incorrecte !

Le jeune homme en question s’appelait Chimon Frima et on lui avait raconté combien le Rabbi le respectait (au point de changer ses coutumes) et cela l’avait beaucoup touché. Quand je l’avais abordé, il s’indigna : comment, insista-t-il, moi qui me prétendais être un ‘Hassid du Rabbi, avais-je pu me conduire ainsi ? Je l’implorai du fond du cœur de me pardonner, lui racontai que j’avais maintenant des enfants et que je me promettais de veiller à leur éducation afin qu’ils respectent chacun – comme le Rabbi nous l’avait enseigné de façon si poignante. Ému, Chimon prit ma main entre les siennes : « Je suis d’accord de vous pardonner à condition que vous racontiez autour de vous comment vous vous êtes si mal conduit alors que vous vous trouviez dans la synagogue du Rabbi et que le Rabbi se conduisait d’une façon si noble envers moi ! ». C’est effectivement pourquoi je raconte souvent son histoire.

Chimon avait un ami, aveugle comme lui qui, de plus, avait besoin d’une greffe de rein. Miraculeusement, on trouva une donneuse potentielle, juive de surcroit, qui était prête à subir l’opération pour lui donner un rein. L’opération réussit et les deux devinrent amis. Un jour, cette dame lui confia combien elle souhaitait se marier et il lui présenta son ami Chimon au visage si… différent (comme il était aveugle, il ne réalisait pas ce qu’il lui proposait). Dès la première rencontre, elle exprima son intention de l’épouser : ce mariage fut extrêmement émouvant comme vous pouvez l’imaginer.

Il y a quelques années, cette dame valeureuse est tombée malade et dépend maintenant d’une chaise roulante. Chimon a repris ses voyages cette fois pour vendre les tableaux de sa femme (une véritable artiste), payer ses soins à elle et aménager leur appartement pour son handicap. Dernièrement, il est parti à Los Angeles et a fait une chute de 15 marches. Hospitalisé, il s’est éteint là-bas il y a quelques semaines.

Que le souvenir de cet homme si particulier et grâce à qui nous avons tant appris sur la Mitsva de l’amour du frère juif soit béni !

Avraham Berkowitz (Russie)

Traduit par Feiga Lubecki