Je suis née et j’ai grandi en Hollande. Mes parents étaient des catholiques fervents. Jusqu’à maintenant, ils se rendent chaque dimanche à l’église. A la maison régnait une atmosphère violemment antisémite : le mot «Juif» était la pire des injures.
A l’âge adulte, je me suis spécialisée dans la sculpture et j’ai rencontré un grand succès. Certaines de mes œuvres ont été couronnées par des prix internationaux et j’ai été invitée à participer à d’importantes expositions. Il y a trente ans, le gouvernement néerlandais m’a choisie pour représenter mon pays en Israël, lors d’un concours à Haïfa.
La beauté de ce pays m’a subjuguée. Je l’ai visité de long en large mais c’est Jérusalem qui m’a véritablement fascinée. Je repoussai la date de mon retour et, finalement, je suis restée plusieurs mois.
A cette époque, j’ai fait la connaissance d’un jeune Israélien, Nissim Ozri qui était photographe de presse. Comme il devait se rendre à New York, je le suivis. Quand il me proposa, pour l’épouser, de me convertir au préalable, je compris que notre relation touchait à sa fin : pour moi il n’était pas question de devenir juive.
A New York, j’ai rencontré un autre jeune homme juif, traditionaliste, qui m’a expliqué le judaïsme sous d’autres aspects. Ses paroles ont éveillé ma curiosité et je me suis mise à étudier tout cela plus sérieusement. Au bout d’un certain temps, j’ai rejoint un stage pour candidats à la conversion, sous la direction de Rav Chlomo Riskin (actuellement rabbin de la ville d’Efrat). Tout mes moments libres, je les consacrais à l’étude du judaïsme, sa philosophie et ses grands principes. C’était absolument passionnant.
Cela a duré plusieurs mois jusqu’à ce qu’arrive le moment de vérité : étais-je prête à passer à l’étape suivante, à savoir la mise en pratique ? J’ai alors suivi des cours de Hala’ha, de lois concrètes, précises et pour tout dire tatillonnes. Mais cela ne m’intéressait pas du tout ! Tant que le judaïsme trônait dans les sphères supérieures de l’intellect, c’était admirable. Mais maintenant je me retrouvais face à des problèmes terre à terre comme par exemple la nécessité d’utiliser du savon liquide Chabbat ou l’obligation de vérifier les salades feuille par feuille de peur d’y trouver des insectes. Je me suis dit qu’après tout, le judaïsme devait être réservé seulement aux Juifs.
Quand mon ami a perçu que je ne désirais pas continuer, il m’a encouragé à persister : «Tu as investi tellement de temps et d’énergie ! Ce serait dommage de t‘interrompre à ce stade ! Tu devrais t’investir plus profondément!»
Nous étions à l’époque de la fête de Souccot. Il m’a proposé de l’accompagner, Sim’hat Torah, aux «Hakafot» chez le Rabbi de Loubavitch. Cette idée m’a semblé saugrenue mais j’ai tout de même accepté.
La partie de la synagogue réservée aux femmes était pleine à craquer. Chacune tentait de s’approcher de la vitre teintée pour voir ce qui se passait en bas chez les hommes, pour apercevoir le Rabbi en train de danser avec le Séfer Torah. Et pourtant une femme inconnue me prit par la main et me permit ainsi d’apercevoir le Rabbi qui venait justement de se retourner et qui encourageait le chant avec de rapides mouvements de ses bras. Un tremblement me traversa. J’étais tout simplement bouleversée, comme hypnotisée par ce que je voyais. A ce moment-là j’ai décidé : «Je veux faire partie de ce peuple!»
De suite après la fête, je me suis inscrite sur une liste au secrétariat du Rabbi. Quelques semaines plus tard, quand arriva mon tour au milieu de la nuit, je pus m’entretenir avec le Rabbi. J’avais eu l’intention de lui raconter ma vie, mes hésitations, mes doutes. Mais, sous le coup de l’émotion, je perdis un instant la parole. Le bon sourire du Rabbi m’encouragea à retrouver mes esprits.
Je parlais en allemand et il me répondait dans cette langue. La conversation a duré huit minutes. Après que j’ai exposé la raison de ma venue, le Rabbi me dit : «A mon avis, vous n’avez pas besoin de vous convertir puisque vous êtes juive !». Il a encore dit autre chose mais je n’ai pas entendu tant j’étais hébétée : «Ce n’est pas possible ! Ce doit être une erreur !» Le Rabbi rétorqua : «Ce n’est pas une erreur !» Avec toute la courtoisie dont j’étais capable, j’expliquai que j’étais née dans une famille catholique qui était foncièrement antisémite. Le Rabbi continua : «Faites des recherches et vous arriverez certainement à la vérité. Nos Sages affirment : ‘Celui qui dit qu’il s’est fatigué et qu’il a trouvé, tu peux le croire !’»
J’ai tout de suite téléphoné à ma mère et lui ai demandé s’il était possible que je sois juive. Un instant, elle a cru qu’elle entendait mal puis elle a hurlé : «Si je t’entends encore parler de cela, je te renierai et tu ne pourras plus entrer dans notre maison!»
C’est justement cette réaction outrée qui m’a convaincue de la nécessité de retourner en Hollande et d’entamer des recherches généalogiques. En arrivant à la maison, je décidais de ne pas évoquer le sujet devant mes parents.
Au bout de trois jours, ma mère m’a invitée à me promener avec elle. Après un long silence, elle m’a demandé de promettre de ne jamais dire à mon père de quoi nous allons parler. J’ai promis et alors elle m’a raconté que sa grand-mère, la mère de sa mère, avait émigré d’Espagne vers la Hollande quand elle était toute jeune. A cause des persécutions qu’elle avait subies dans son pays natal, elle avait décidé de cacher son judaïsme et d’ouvrir une nouvelle page en vivant comme une chrétienne.
Cette découverte me bouleversa au plus profond de mon âme. J’annonçai à ma mère que j’avais décidé de retourner au judaïsme. Elle tenta par tous les moyens de m’en dissuader : «Pourquoi te mettre sur le dos toutes les haines du monde?». Mais ma décision était irrévocable.
Je suis retournée à mes racines, au judaïsme. Après un bref séjour en Hollande, j’ai repris contact avec Nissim Ozri et j’ai accompli les dernières formalités pour officialiser mon nouveau ancien statut.
D.ieu merci, je suis fière d’avoir franchi ce pas et, avec Nissim, j’ai fondé un foyer juif traditionnel et épanoui.

Hermine Ozri (Herzlia Pitoua’h)
Si’hat Hachavoua
Traduite par Feiga Lubecki