C’était un jeudi, à deux heures du matin. Quelques instants auparavant, Rav Kalmenson, émissaire du Rabbi à Cincinnati (Ohio) venait enfin de se coucher après une journée épuisante. Le téléphone sonna ! A l’autre bout du fil, il entendit une voix hachée, désespérée. Une certaine Mme Kopel désirait lui parler de toute urgence. Oui, à cette heure-là. Le problème ne pouvait pas attendre. Une demi-heure plus tard, elle arriva, accompagnée de son mari qui était aveugle. Rav Kalmenson les fit entrer et, surpris, leur demanda ce qui se passait. Elle se mit alors à éclater en sanglots amers ; elle semblait inconsolable.
Elle se reprit et parla d’elle-même et de sa magnifique famille. Elle avait trois filles qu’elle élevait, avec son mari, dans le respect des Dix Commandements, de l’éthique universelle mais sans aucun lien avec une communauté juive, ou une synagogue.
« J’ai toujours été très fière de la proximité et de la bonne entente qui régnait dans notre famille. Nous n’avons pas de secret l’un pour l’autre ; nous discutons ouvertement de tout avec les enfants. Nous leur avons tout donné : une bonne éducation, des cours de piano, de tennis… tout ! Une famille idéale. Le problème a commencé quand notre seconde fille était âgée de dix-sept ans. Un jour, je suis entrée dans sa chambre et j’ai trouvé, sous l’oreiller de ma fille, un exemplaire du Nouveau Testament. Quel choc ! D’accord, je n’étais pas un pilier de synagogue et j’étais fière de mon ouverture d’esprit mais tout de même ! Voir un livre pareil dans le lit de ma fille m’avait fendu le cœur.
« Quand elle rentra à la maison, ma fille n’eut aucune peine à affirmer de façon hautaine : « Oui, j’ai commencé à y croire! Et j’estime que je n’avais pas à vous en parler ! »
« J’étais furieuse : comment pouvait-elle nous cacher un changement aussi énorme ? Et bien sûr, je ne pouvais accepter l’idée que ma fille pense à se convertir. J’en devins hystérique, je criai et m’énervai : un moment plus tard, ma fille quitta la maison en claquant la porte.
« Effrayés, nous sommes partis à sa recherche ; nous l’avons retrouvée et avons tacitement convenu de ne plus évoquer ce sujet.
« Un de ses professeurs s’était rapproché du christianisme et avait profité de sa position pour influencer ses élèves et, en particulier, cette jeune fille juive. Petit à petit, il l’avait persuadée de la justesse de sa religion tout en lui conseillant de n’en rien dévoiler à ses parents avant qu’elle ne soit assez forte pour résister à leurs pressions. Quand elle demanda s’il lui était permis de nous mentir, il affirma avec force que c’était même une obligation !
« Nous avons couru d’un expert à l’autre pour savoir comment agir. Mais rien ne marchait. Ce matin, un docteur m’a dit : « Essayez donc les Loubavitch, parlez à Rav Kalmenson, il saura peut-être vous aider ». Et c’est ainsi que nous avons enfin réussi à vous trouver ce soir ! »
Il était maintenant trois heures et demie. La rue était calme, la maison silencieuse. Rav Kalmenson se demandait comment sauver une âme juive. Il décida d’inviter toute la famille pour Chabbat : ils n’avaient qu’à dire à leur fille qu’ils avaient rencontré quelqu’un qui les avait invités, sans préciser que c’était un rabbin, bien sûr.
Ils arrivèrent vendredi soir. Mme Kopel eut un choc : Rav Kalmenson qui, la veille, portait un costume « normal » était maintenant revêtu d’un caftan noir… Mais les chants pour accueillir le Chabbat, le Kiddouch, les paroles de Torah détendirent l’atmosphère. La jeune fille tenta bien quelques paroles provocatrices, mais Rav Kalmenson fit semblant de ne rien remarquer… Elle insista tant et si bien qu’il accepta le défi : « Je ne connais rien du christianisme mais vous ne connaissez rien du judaïsme. Je suis d’accord d’écouter vos arguments à condition que vous m’écoutiez à propos de la Torah ». Elle accepta, les yeux brillants, déjà heureuse à l’idée de pouvoir le convertir !
Le repas du vendredi soir se termina à six heures du matin. Flattée par l’attention que Rav Kalmenson lui portait, la jeune fille accepta de revenir plusieurs fois jusqu’à ce que Rav Kalmenson commença la contre-attaque. Frappée par ses arguments qu’il assénait avec la conviction d’un homme qui est dans le vrai, elle tenta de résister mais il était trop tard : elle était obligée d’admettre que son monde à elle n’était que fumée et vanité.
Lentement mais graduellement, Rav Kalmenson la ramena au judaïsme : d’abord elle alluma une bougie avant Chabbat puis elle décida de manger cachère et d’apprendre à lire l’hébreu pour prier. Quelques mois plus tard, elle se joignit à un groupe qui passait Sim’hat Torah à New York, auprès du Rabbi.
Mais l’histoire n’est pas finie. Au cours d’une de leurs discussions théologiques, Rav Kalmenson avait expliqué le rôle du Rabbi, son amour de chaque Juif qui lui faisait parfois accomplir des miracles. Tandis que la jeune fille expliquait que son père était devenu aveugle à la suite d’une opération pour réduire la pression artérielle, il avait remarqué : « Qui sait ? Peut-être que votre intérêt pour le christianisme devait juste servir à provoquer la guérison de votre père… »
« Je ne sais pourquoi j’avais dit cela. C’était de la folie pure ! Une fois qu’elle était déjà revenue au judaïsme, elle me demanda ce que j’avais voulu dire ». Je lui conseillai de demander au Rabbi une bénédiction pour son père.
Elle reçut la réponse suivante : elle devait clouer des Mezouzot aux portes de sa maison, son père devait mettre tous les jours des Téfilines cachères et prendre conseil auprès d’un médecin ami au sujet de sa cécité. Elle aida donc son père à mettre régulièrement les Téfilines mais ce fut Rav Kalmenson qui dût poser les quarante Mezouzot que réclamait leur vaste demeure. Et ce fut lui qui s’entretint avec le médecin, ami de la famille, qui avait dirigé vers lui les Kopel. Le docteur éclata de rire : ce n’était pas du tout sa spécialité, mais Rav Kalmenson, impassible, attendit la suite. Quelques jours plus tard, le médecin téléphona : il avait lu un article à propos d’un spécialiste à New York, qui avait développé une nouvelle technique chirurgicale…
L’opération qui aurait dû prendre quatre ou cinq heures fut achevée en une demi-heure ! Et quand le médecin retira les bandages, devant Rav Kalmenson et toute la famille qui retenaient leur souffle, le patient s’écria : « Je vois ! »
Quelques semaines plus tard, M. Kopel se remettait à conduire sa voiture…

Aharon Dov Halperin
(VeRabim Hechiv Meavone)
traduit par Feiga Lubecki