Durant 44 ans, Rav Leibl Raskin (Zal) fut l’émissaire du Rabbi au Maroc, à Casablanca où il contribua activement au renouveau du judaïsme, dans des conditions parfois difficiles.

Au printemps 1971, nous avions mis au point un voyage organisé chez le Rabbi à New York auquel participeraient trente institutrices de notre école Beth Rivka de Casablanca. Le voyage devait commencer le dimanche 18 Tamouz et nous avions fait les préparatifs longtemps à l’avance ; nous avions même déjà acheté les billets d’avion. J’en informai le Rabbi.

Quelques jours plus tard, je reçus une réponse du Rabbi : sur l’enveloppe, il était écrit : Urgent ! Et la lettre était explicite et mystérieuse en même temps : « Comme les idées sont sujettes aux changements d’une époque à l’autre – et ceci aussi dans notre pays – (c’était une allusion au président américain Richard Nixon qui s’était rendu en Chine où il s’apprêtait à signer un accord) – et comme il est impossible de savoir où en sera la situation d’ici quelques mois, il n’est pas nécessaire que nos institutions s’occupent d’autre chose que de l’éducation et de l’enseignement du judaïsme etc… et à plus forte raison s’occupent d’organiser des voyages à l’étranger alors qu’actuellement cela ne les concerne pas ».

J’avoue que cette réponse me laissa perplexe : quel lien y avait-il entre ce qui se passait dans le vaste monde et un voyage organisé chez le Rabbi ? D’autant que le Rabbi lui-même soulignait qu’il n’y avait pas actuellement de « changements » ! Et pourquoi le Rabbi qualifiait-il ce voyage d’« occupation étrangère à l’éducation » ? En tout cas, le voyage fut annulé.

Le jeudi 15 Tamouz, le Rabbi se rendit au Ohel, sur la tombe de son beau-père, le Rabbi précédent, comme il en avait l’habitude le 15 de chaque mois. Quand il retourna à la synagogue, 770 Eastern Parkway, il demanda à son secrétaire le regretté Rav Hadakov et à mon frère, Rav David Raskin, de transmettre qu’il souhaitait que le Chabbat 17 Tamouz, on organise des réunions ‘hassidiques partout dans le monde. Rav Hadakov demanda : « Doit-on préciser ce qui devra être évoqué lors de ces réunions ? ». Le Rabbi répondit : « Qu’on parle du fait qu’« à cause de nos péchés, nous avons été exilés de notre terre » (car le 17 Tamouz eut lieu le début de la ruine du saint Temple de Jérusalem) mais grâce à un renforcement de la Techouva (retour à D.ieu) et des bonnes actions – et en particulier la croyance et la confiance en D.ieu – nous mériterons d’être délivrés de cet exil et nous mériterons la délivrance complète ».

Ni Rav Hadakov ni mon frère ne comprirent la raison de cette directive mais, bien entendu, ils s’empressèrent de téléphoner à tous les centres Loubavitch de par le monde, aussi bien jeudi soir que vendredi.

A l’époque, les directives du Rabbi étaient transmises aux émissaires principaux de chaque région du monde et ceux-ci se chargeaient de les relayer dans les villes et pays qui dépendaient d’eux. Ainsi Rav Sudak de Londres était chargé d’informer les pays d’Europe et d’Afrique du Nord.
Le vendredi matin, quand je rentrai de la synagogue, ma femme m’informa que Rav Sudak avait téléphoné deux fois et avait laissé le message du Rabbi. Par la suite j’appris que le Rabbi avait explicitement demandé si ses directives avaient aussi été transmises au Maroc…

Pour moi, ceci n’était pas simple à appliquer. Nous étions en plein dans les vacances d’été. Nos élèves avaient rejoint leurs parents et la plupart des fidèles de la synagogue se trouvaient en villégiature. Mais puisque le Rabbi l’avait demandé, j’annonçai immédiatement aux Juifs qui se trouvaient encore en ville que, le lendemain, nous organiserions une réunion ‘hassidique sur les thèmes que le Rabbi avait conseillé de développer.

Le lendemain, la réunion se prolongea tard dans l’après-midi, jusqu’à la prière de Min’ha puis du troisième repas de Chabbat. Des dizaines d’élèves qui avaient été avertis en urgence s’étaient joints à nous.

Et voici que, quelques instants avant la fin du Chabbat, un Juif arriva en courant dans la synagogue. En nous voyant si calmes, il s’exclama : « Vous ne savez pas ce qui se passe actuellement ? N’avez-vous pas entendu que le roi a été assassiné ? » Il ajouta que personne n’osait s’aventurer dans la rue : les forces de police étaient subitement devenues inexistantes et les Juifs se cachaient dans leurs maisons. La situation était très grave et il nous conseilla de nous enfuir et de nous mettre à l’abri.

Quand j’eus compris ce que cela signifiait, j’ordonnai à tous les élèves de rester à la Yechiva : j’en nommai quelques-uns, particulièrement forts et courageux, responsables de la fermeture hermétique des portes, avec verrous et cadenas. Après la prière du soir et la courte cérémonie de la Havdala, je me hâtai de rentrer chez moi. Les rues étaient étrangement vides mais chez moi, la maison était pleine à craquer ; il s’avérait que tous les Juifs du quartier, craignant pour leurs vies, avaient préféré se rassembler dans la maison qui leur paraissait la plus sûre, celle de l’émissaire du Rabbi…
Nous avons écouté les nouvelles à la radio : le roi du Maroc avait célébré son anniversaire et, au milieu de la réception, des rebelles dirigés par le général Oufkir avaient fait irruption dans la salle et avaient tiré dans tous les sens. Le roi avait sans doute été assassiné, ce qui plongeait tous les Juifs du Maroc dans une angoisse terrifiante.

Vers minuit, on annonça à la radio que la situation était confuse et qu’il était possible que le roi ait échappé à l’attentat. Finalement on apprit ce qui s’était passé : un soldat avait saisi le roi et l’avait menacé de son fusil. Le roi lui avait demandé de lui laisser la vie sauve et avait dit : « Pourquoi veux-tu me tuer alors que je suis ton roi ? D’ailleurs, c’est l’heure de la prière : viens, nous allons prier ensemble ! » Le soldat avait fondu en larmes et avait accompagné le roi pour la prière ! Peu de temps après, le roi avait repris la situation en main, fait exécuter les rebelles et, parmi eux, douze généraux de valeur. Les Juifs de Casablanca respirèrent à nouveau avec soulagement.

Le dimanche matin, 18 Tamouz, on apprit que les rebelles avaient, de fait, préparé de grandes caches d’armes pour exécuter un gigantesque pogrome dans le quartier juif. D.ieu avait eu pitié des Juifs de Casablanca… C’est alors que nous avons compris quel miracle s’était produit quand le roi avait échappé à l’attentat.

Cependant, à cause de la gravité de la situation, tous les aéroports du Maroc restèrent fermés durant trois jours. Celui qui se rendait néanmoins à l’aéroport était immédiatement interrogé, fouillé et retenu dans les pires conditions.

C’est alors que nous avons compris les mots prophétiques écrits par le Rabbi, déjà quelques mois plus tôt : « Comme les idées sont sujettes aux changements d’une époque à l’autre, d’un endroit à l’autre et il est impossible de savoir où en sera la situation d’ici quelques mois, il n’est pas nécessaire que nos institutions s’occupent d’autre chose et, à plus forte raison, s’occupent d’organiser des voyages à l’étranger alors qu’il est prévisible que cela les concerne… »

Quant à nous, nous sommes persuadés que l’appel pressant du Rabbi aux Juifs du monde entier, mais surtout du Maroc, d’organiser une réunion ‘hassidique ce Chabbat-là, a sauvé la vie du roi du Maroc et donc de tous les Juifs du royaume.

Rav Leibl Raskin (Zal)
Magazine Kfar Chabad
traduit par Feiga Lubecki