J'avais passé trois jours à Amsterdam avec mon épouse : nous avons visité quelques musées, la maison d'Anne Frank, des synagogues… Tous ceux que j'avais rencontrés m'avaient affirmé qu'il y avait au moins trente mille Israéliens dans cette ville. Ils disaient cela sur un ton monotone, en regardant dans le vide et avec un demi-sourire ironique comme pour dire : " C'est dégoûtant mais c'est ainsi ". (Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, Amsterdam est bien loin d'être la " ville sainte ", la Jérusalem d'Europe. Bien au contraire ! Et c'est pour cela que les Israéliens l'adorent !)
Dans l'avion de retour, je décidais de convaincre un maximum de Juifs de mettre au moins les Téfilines. Les Israéliens se faisaient d'ailleurs remarquer car ils avaient du mal à tenir en place. Je tentais ma chance : certains refusèrent, un accepta, puis d'autres, puis certains affirmèrent qu'ils les avaient déjà mis etc… J'arrivais vers la queue de l'avion où se trouvaient trois jeunes Israéliens. Apparemment, ils avaient bien appris si on peut dire, à Amsterdam : boucles d'oreilles, piercings dans les sourcils et le nombril, tatouages et cheveux teints de couleur vives.
Je m'approchais d'eux, sachant par expérience qu'on ne peut jamais préjuger de la réaction des Juifs, quelle que soit leur apparence extérieure. Le premier, assis près du couloir, tourna la tête de l'autre côté et haussa les épaules pour bien me faire comprendre que les Téfilines ne l'intéressaient pas. Sans insister, mais sans me décourager, je proposais mes Téfilines à son voisin : celui-ci ferma les yeux, et se mit à ronfler comme s'il dormait d'un coup profondément.
Il n'en restait qu'un : assis près de la fenêtre, feuilletant un magazine, il s'était enveloppé d'une couverture. " Viens mettre les Téfilines ! " criai-je à son intention. Il leva soudain les yeux vers moi : " Quoi ? Qu'est-ce que vous dites ? "
Le premier des trois, celui qui avait refusé, suivait la scène d'un air amusé, savourant déjà ma défaite probable. Celui du milieu, qui soi-disant dormait, semblait néanmoins curieux de voir comment cela se terminerait.
" Téfilines ? " dit mon " client " potentiel. " Vous voulez que moi je mette les Téfilines ? " Il s'était levé (pourquoi ?) et il releva sa manche gauche avec un sourire : " Bien sûr ! Quelle bonne idée ! Je vais mettre les Téfilines ! "
Le premier semblait en état de choc : son meilleur ami ! Même lui s'était laissé prendre ! Le " dormeur " du milieu ouvrit un œil pour s'assurer qu'il avait bien entendu. Et mon troisième me laissa lui mettre les Téfilines, répéta la bénédiction et se mit à lire à haute voix le " Chema Israël " imprimé sur la carte que je lui tendais.
Ce que je ne savais pas, c'est qu'on nous observait. Un non-Juif, d'une cinquantaine d'années, bien habillé, nous regardait attentivement, incrédule. Quand j'eus terminé avec mon Israélien, j'engageai la conversation avec ce non-Juif : " Ceci, lui dis-je en montrant les boîtiers des Téfilines, est fait en cuir. A l'intérieur se trouvent des parchemins sur lesquels sont écrits des mots de la Torah. D.ieu veut que chaque homme juif les pose sur sa tête et son bras une fois par jour. Comme de nombreux Juifs ne pratiquent pas tous les commandements, le Rabbi de Loubavitch a demandé à ses disciples de sortir à la rencontre des autres, de leur rappeler leur devoir sacré et de les aider. Je suis un de ces 'Hassidim".
Il était visiblement impressionné. Il regarda l'Israélien, puis moi et s'exclama : " Vous voulez dire que ce jeune homme n'est pas pratiquant et qu'il a mis ces boîtiers juste parce que vous le lui avez demandé ? Si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux, je ne l'aurais jamais cru ! "
Il était dans un état d'excitation intense. Je lui demandai son prénom, il s'appelait Peter. Je continuai mon exposé : " Savez-vous ce qui est écrit dans les parchemins ? Quatre paragraphes de la Bible qui mentionnent ce commandement. Et le plus important proclame : " Chema Israël : écoutez, Juifs, D.ieu est Un ! "
Malgré le ronronnement de l'avion, il m'écoutait attentivement : " Cela signifie que c'est D.ieu tout seul Qui créé et recréé toute chose constamment ! Comprenez-vous ce que cela signifie, Peter ? " Il écarquillait les yeux, stupéfait de ce qu'il entendait mais je continuai : " Cela signifie que D.ieu, Qui peut tout faire, vous créer, vous Peter, à chaque instant ! Et D.ieu le fait gratuitement. Alors, si D.ieu vous recrée à chaque seconde gratuitement, vous pouvez aussi agir pour Lui gratuitement ! " Et je lui expliquai brièvement les sept Lois des Enfants de Noé (ne pas voler, ne pas tuer, ne pas blasphémer, ne pas pratiquer l'idolâtrie, promulguer et appliquer des lois civiles, mener une vie conjugale régulière, ne pas manger d'un animal vivant).
Nous nous serrâmes la main et je partis m'asseoir à ma place. Mais ce n'était pas fini.
Soudain, Peter desserra sa ceinture de sécurité, se leva, rajusta sa veste et sa cravate, pointa son doigt sur moi et proclama, aussi fort qu'il le pouvait : " Ce rabbin a raison ! Et je veux présenter mes excuses. M'excuser en public pour ce que nous avons fait à son peuple. Parce que nous avons renié les Saints Commandements !!! "
Ces trois derniers mots, il les avait vraiment criés ! Tous les passagers le regardaient, stupéfaits ! Puis il me serra la main de façon très protocolaire mais chaleureuse et se rassit à sa place.
Il avait compris que les lois de D.ieu ne se discutent pas…

Traduit par Feiga Lubecki