Elle tentait de ne pas pleurer. Mais que pouvait-elle faire d’autre alors que Chabbat arriverait dans quelques heures et qu’elle ne possédait pas l’argent nécessaire pour acheter les bougies de Chabbat ?
L’épouse du ‘Hozé de Lublin (Rabbi Yaakov Yts’hak) avait vérifié dans tous les tiroirs et toutes les poches. Pas un zloty ! Et le temps passait. Elle sortit dans la rue pour partager sa peine avec le vent et la pluie.
A ce moment, un carrosse passa près d’elle. Le jeune homme juif qui se trouvait à l’intérieur ne se souvenait que vaguement des bougies qui brillaient sur la table de Chabbat de ses parents. Lui, il préférait les lumières aveuglantes des tavernes et des casinos. D’ailleurs il se rendait justement chez ses amis de beuverie pour avoir du bon temps. Anticipant déjà le bon moment qu’il allait passer, il souriait en regardant par la fenêtre tandis qu’il apercevait une vieille femme juive qui pleurait doucement. Il fit arrêter son carrosse et demanda à la femme quel était son problème.
- « Je n’ai pas un sou pour acheter mes bougies de Chabbat ! » répondit-elle.
- « Oh, ce n’est qu’une question d’argent ? Tenez, voici de quoi acheter vos bougies et passez un bon Chabbat ! » dit-il, le cœur joyeux en refermant sa fenêtre.
- « Attendez, attendez ! cria la femme tandis que le carrosse s’ébranlait déjà. Vous avez accompli une Mitsva merveilleuse ! Que D.ieu vous bénisse et fasse briller dans votre cœur une lumière éternelle ! » Il sourit et partit.
Elle se dépêcha d’acheter ses bougies, rentra chez elle et les alluma juste à temps. En récitant la bénédiction avec une ferveur encore plus intense que d’habitude, elle sentait son cœur déborder d’une joie et d’une gratitude infinies.
Pendant ce temps, son mari, le saint Rabbi de Lublin, celui qu’on appelait le « ‘Hozé » (« celui qui voit au loin ») chantait les prières de Chabbat à la synagogue. Lui aussi, comme d’habitude pourrait-on dire, ressentait chaque mot et son âme dansait intérieurement en s’élevant de plus en plus haut vers les sphères supérieures. Mais soudain il remarqua que les êtres célestes pointaient vers lui un doigt accusateur.
« N’est-il pas déjà scandaleux que vous, le Rabbi, vous bénissiez toutes sortes de gens de peu de valeur et, comme vous êtes un Tsadik, un Juste, nous sommes obligés de veiller à ce que vos bénédictions se réalisent ? Mais de plus, maintenant, c’est votre épouse qui déverse des bénédictions ! » Et « on » l’informa de l’existence de ce jeune homme qui avait généreusement permis à la Rabbanit d’allumer les bougies de Chabbat, comment elle lui avait souhaité d’avoir toujours une lumière divine qui illuminerait son cœur : « Comment peut-on accorder une bénédiction aussi magnifique à un Juif qui ne célèbre aucunement le Chabbat ? » se plaignait-on.
Le ‘Hozé répliqua : « C’est vrai qu’actuellement le jeune homme ne mérite peut-être pas cette bénédiction. Mais que puis-je dire si ma chère épouse a vu, elle, la précieuse étincelle de D.ieu qui fait vivre son âme ? Donnons-lui une chance ! Qu’une lumière divine le guide pendant une demi-heure et nous verrons si elle parvient à l’influencer positivement. Sinon, je serais bien obligé d’être d’accord avec vous et vous serez dispensé d’accomplir la bénédiction de mon épouse ». Le Tribunal divin accepta.
Dans le carrosse qui était déjà sorti de Lublin, le jeune homme se sentit soudain bizarre. Il regarda autour de lui comme s’il voyait le monde pour la première fois. Tout devenait clair dans son esprit auparavant si embrouillé. Il réfléchissait à ce qui lui était arrivé. Quelque chose d’inexplicable le forçait à retourner dans cette ruelle de Lublin, là où il avait rencontré cette femme qui avait sûrement déjà allumé ses bougies. Il ordonna à son cocher de faire demi-tour.
Dès qu’il arriva près de la maison du ‘Hozé, il descendit du carrosse et regarda par la fenêtre : il vit la Rabbanit, le visage rayonnant, qui récitait ses prières avec un enthousiasme désarmant tandis qu’elle attendait le retour de son mari de la synagogue.
Le jeune homme faillit toquer à la porte, mais il se retint : il ne voulait pas déranger la ferveur de la Rabbanit. Elle terminerait sans doute bientôt. Les minutes passaient…
Dans le Tribunal céleste, on observait la scène. La demi-heure serait bientôt terminée.
La Rabbanit avait achevé sa prière. Le jeune homme s’apprêta à toquer à la porte, mais s’arrêta : « Que fais-je donc ici ? » se demandait-il.
Incapable de bouger, de se décider, il se secoua finalement et tourna les talons pour rejoindre son carrosse. Mais, dans un dernier regard, il aperçut les bougies de la Rabbanit, les flammes qui dansaient gaiement.
Le vent sembla soudain rugir de plaisir quand, du Ciel, on s’aperçut qu’il frappait enfin à la porte, à la trentième minute exactement.
La Rabbanit fut ravie de revoir son bienfaiteur. Le Rabbi qui était rentré l’invita évidemment pour ce Chabbat et pour de nombreux Chabbat par la suite. Avec le temps, il devint un disciple du Rabbi de Lublin et aida de nombreux autres Juifs à retrouver la flamme divine qui brille dans le cœur de chacun.

Traduit par Feiga Lubecki