Juste avant la Guerre des Six Jours, en juin 1967, le Rabbi de Loubavitch avait lancé sa première campagne mondiale, encourageant tous les Juifs à mettre les Téfilines.
A l’époque, quelqu’un me demanda pourquoi le Rabbi avait choisi particulièrement cette Mitsva. Je posai donc la question au Rabbi quelque temps plus tard, quand je me rendis à Brooklyn. Il répondit : “ Il y a deux raisons à cela : la première, c’est que le traité talmudique – Roch Hachana déclare que dès qu’un Juif a mis au moins une fois dans sa vie les Téfilines, il entre dans une “ catégorie spirituelle ” bien supérieure ; d’autre part, lorsqu’un juif de Miami verra des photos de Juifs priant devant le Mur Occidental avec des Téfilines, il aura lui-même envie de mettre les Téfilines ”.
En 1974, un de mes anciens clients m’appela car son comptable désirait discuter certains points avec moi. Il me demanda de venir à Miami, ce que je fis quelques semaines plus tard.
Tôt le matin, l’associé de mon ancien client se rendit à mon hôtel pour m’emmener au rendez-vous. Il frappa à ma porte mais, comme je ne répondais pas, il entra et me vit en train de prier avec mon Talit (châle de prières) et mes Téfilines. Il s’excusa et sortit.
A l’heure dite, nous nous retrouvâmes pour un petit déjeuner d’affaires. Le comptable, qui était juif, me demanda pourquoi je ne mangeais rien : mon ancien client répondit à ma place, affirmant que je ne mangeais que cachère : “ D’ailleurs quand je suis entré dans sa chambre pour le rendez-vous, il priait avec le châle de prières et “ des trucs ” sur sa tête et son bras ”.
Le comptable demanda : “ Vous mettez les Téfilines ? ” Je répondis par l’affirmative et demandai à mon tour : “ Et vous ? ”
“ Je n’ai plus mis les Téfilines depuis ma Bar Mitsva, il y a cinquante ans ; mais récemment, j’ai vu une photo de Juifs priant devant le Mur Occidental avec les Téfilines et j’ai eu envie de les mettre moi-même ”.
Dès que la réunion fut terminée, il entra dans ma chambre et mit les Téfilines pour la seconde fois de sa vie…

* * *

L’année suivante, je retournai aux Etats-Unis, à Detroit, pour mes affaires. Dans la soirée, mon hôte avait invité plusieurs couples et, sans que j’en sois l’instigateur, la conversation tourna autour de la religion. L’un des hommes présents n’arrêtait pas de poser des questions sur les Téfilines : pourquoi ne peut-on pas les fabriquer ronds ? Qui a dit qu’ils devaient être noirs etc… Etonné, je lui dis : “ On dirait que vous vous intéressez beaucoup aux Téfilines ! ”
“ Oui, répondit-il, et pourtant cela fait vingt ans que je ne les ai pas mis ! ”
“ Mais vous devriez ! ”
“ Comprenez-moi : je possède une boulangerie et nous travaillons toute la nuit. Si vous voulez me mettre les Téfilines, venez dans ma boulangerie à six heures et demi : nous avons une pause à ce moment et je pourrai mettre les Téfilines ”.
Je ne pouvais refuser. Le lendemain, à six heures et demi, j’arrivai à la boulangerie. Dans un coin, au milieu des sacs de farine, il mit les Téfilines. Il savait exactement comment les mettre et quelle bénédiction prononcer. “ Puisque vous savez les mettre, vous pourriez les mettre facilement tous les jours ! ” remarquai-je.
Il répondit qu’il ne possédait pas de Téfilines et que ce n’était pas une dépense à laquelle il songeait en priorité. Cependant, si quelqu’un lui en offrait, il s’engageait à les mettre chaque jour. Je lui dis que je devais retourner dans six semaines à Detroit et je lui en apporterai.
Ce soir-là, je pris l’avion pour New York. Le lendemain matin, après la prière, j’écrivis une lettre au Rabbi pour lui demander des conseils pour mes affaires et je décrivis ma rencontre. Je terminais ma lettre en annonçant au Rabbi que je reprenais l’avion le soir même pour Londres : j’attendais ce Chabbat, depuis longtemps car, pour la première fois, tous mes enfants et petits-enfants seraient réunis à notre table.
Quand j’entrai dans la synagogue du Rabbi l’après-midi pour la prière de Min’ha, un des secrétaires m’annonça que le Rabbi avait déjà répondu à ma lettre.
Dans cette réponse, le Rabbi accordait sa bénédiction pour la poursuite de mes affaires, mais continuait : “ Pensez-vous qu’il soit correct qu’un Juif qui a mis hier les Téfilines pour la première fois depuis vingt ans doive attendre encore six semaines pour que vous lui achetiez des Téfilines et qu’il puisse refaire la Mitsva ? Vous devez lui acheter des Téfilines aujourd’hui-même et vous arranger pour qu’il les obtienne aujourd’hui à Detroit. Sinon, vous devez retourner vous-même à Detroit aujourd’hui pour qu’il puisse les mettre immédiatement. Vous devez agir ainsi même si cela signifie que vous ne pourrez pas passer Chabbat avec votre famille ! Et quand ce Juif verra combien il est important pour vous qu’il ne rate pas un seul jour le mérite de mettre les Téfilines, cette Mitsva aura une importance particulière pour lui ”.
Je ne peux décrire tous les obstacles que je rencontrai. Mais en quelques heures, je réussis à acheter des Téfilines avec leur sac en velours brodé, je les apportai à l’aéroport La Guardia, m’arrangeai avec la compagnie American Airlines pour les acheminer jusqu’à Detroit où mon ami accepta de les récupérer et de les transmettre au boulanger. Après avoir reçu confirmation que tout s’était bien passé, j’informai le Rabbi de cette heureuse conclusion et je pris l’avion pour passer un Chabbat inoubliable à Londres.
Par la suite, je rencontrai à nouveau le boulanger de Detroit. Il me dit que, depuis, il n’avait pas manqué de mettre les Téfilines un seul jour de la semaine – même lorsqu’il dut une fois marcher longtemps dans la neige avant le coucher du soleil un jour où sa voiture était tombée en panne : “ Du fait que vous vous êtes tant investi pour que je possède des Téfilines le jour – même, les Téfilines sont particulièrement importants pour moi ! ”

Rav Bentsion Rader
traduit par Feiga Lubecki