Dans la navette Columbia qui s’est désagrégée en entrant dans l’atmosphère, entraînant la mort de ses astronautes, se trouvait un rouleau de la Torah qui avait une histoire bien particulière.

La famille Yossef aurait pu échapper à la Shoah. En effet, en 1933, quand les Nazis avaient pris le pouvoir en Allemagne, la famille était “montée” en Erets Israël et s’était installée à Tel-Aviv. Mais l’un des enfants tomba malade et, sur le conseil des médecins, les Yossef s’installèrent à Amsterdam, non loin de la maison d’Anne Frank qu’ils connaissaient de vue. Comme elle, malgré leurs précautions, les Yossef furent capturés par les Allemands et envoyés dans le redoutable camp de Bergen-Belsen en Allemagne.
Avant d’être obligé de se séparer de ses deux fils, M. Yossef avait dit à l’aîné, Yehoya’hine: “Prends soin de ton petit frère et sois pour lui un père et une mère !” Cette petite phrase eut une si grande importance pour Yehoya’hine que c’est sans doute ce qui l’obligea à lutter pour rester en vie.
Car rester en vie à Bergen-Belsen était un pari de tous les instants. Les deux frères furent affectés à la coupe du bois alors qu’ils n’avaient droit qu’à cinq millimètres de pain dur et un bol de soupe claire par jour. Les déportés mouraient comme des mouches, de faim, de maladies, de faiblesse sans compter les coups de fouets de leurs gardiens. Certains gelaient lorsqu’ils s’aventuraient à l’extérieur et Yehoya’hine était chargé de ramasser les corps. De plus, il avait servi de cobaye aux “médecins” qui lui avaient injecté de mystérieux produits qui, heureusement, ne lui laissèrent aucune séquelle.
Dans ces conditions extrêmes, les détenus s’attachaient à toute bribe d’espoir comme des naufragés s’agrippent à un fétu de paille.
“Le Grand Rabbin de Hollande, Rav Dosberg, détenu dans la même baraque que moi, s’était rendu compte que j’aurais bientôt treize ans et s’était mis en tête de célébrer dignement ma Bar Mitsva. Sur le moment, je ne compris pas très bien quelle était son intention, mais par la suite je compris qu’il cherchait simplement à insuffler du courage, le courage de tenir pour tous mes codétenus. Rav Dosberg avait réussi à emporter un tout petit rouleau de la Torah. Après d’épuisantes journées d’esclavage, il me prenait à part le soir et m’apprenait à lire et à préparer un discours.
Un matin, à trois heures moins le quart, la cérémonie eut lieu. J’étais très ému. C’était ma Bar Mitsva. Je me souvenais de la fête qui avait été organisée pour un ami de mon père à Amsterdam, les invités, les cadeaux, le discours qu’il avait prononcé dans la grande synagogue… Je pleurai presque de dépit et de douleur: mes pieds étaient blessés et gelés, il faisait horriblement froid.
Quelqu’un murmura mon nom pour m’appeler à la Torah. Je m’habillai et me dirigeai vers la table autour de laquelle de nombreux détenus avaient pris place malgré le manque de sommeil que cela impliquait. Sur la table, on avait disposé deux bougies de chaque côté et le Séfer Torah au milieu, sur des couvertures. On avait accroché des couvertures aux fenêtres pour que les Nazis ne remarquent rien.
Nous commençâmes la prière. Soudain, on entendit frapper à la porte. Nous étions terrorisés et certains d’entre nous se cachèrent sur les planches qui nous servaient de lits. Quelqu’un finit par ouvrir la porte: un courant d’air glacé s’infiltra dans la baraque, ce qui fit s’entrechoquer mes jambes de douleur. On m’appelait par mon nom: c’était ma mère qui avait réussi, au prix de quels efforts, à rendre visite à mon père et mes frères alors internés à l’infirmerie puis à moi-même en l’honneur de ma Bar Mitsva. Il était strictement interdit à une femme d’entrer dans la baraque des hommes et elle fut donc obligée de rester à l’extérieur.
On ouvrit le Séfer Torah pour je puisse y lire la “Paracha” et je prononçai mon “discours”. Soudain, je réalisai que j’étais maintenant un homme: j’étais si content que je n’écoutais même pas le discours de Rav Dosberg. Il me dit : “Prends ce Séfer Torah car toi, tu as plus de chances de sortir un jour d’ici. Mais promets-moi que tu raconteras ce que nous avons souffert ici”.
Un de mes camarades m’offrit une croûte de pain avec un bout de saucisse, un autre me donna un morceau de chocolat et des cartes à jouer miniature. Le Rav Dosberg me bénit et de tous les coins, j’entendis fuser les cris de “Mazal Tov, Mazal Tov !”. Je sortis embrasser ma mère qui m’offrit sa portion hebdomadaire de pain et une paire de gants en flanelle qu’elle avait réussi à dérober à son travail. Je la raccompagnai jusqu’au portail et retournai nettoyer la baraque avec les autres adolescents.
Après bien des aventures, je réussis à sortir du camp et toute la famille se trouva à nouveau réunie et monta pour de bon en Erets Israël ”.
Yehoya’hine Yossef a raconté cette histoire bien plus tard à ses enfants et petits-enfants. Ceux-ci décidèrent alors de confectionner une petite armoire dans laquelle on plaça le Séfer Torah. Le petit Yehoya’hine devint un spécialiste de physique planétaire et atmosphérique. Quand il mit au point, avec les physiciens de la Nasa, le programme de la navette Columbia, il reçut la visite d’Ilan Ramon, qui devait être le premier astronaute israélien. Quand il vit la petite armoire et apprit l’histoire de ce Séfer Torah, il demanda la permission de l’emporter avec lui dans l’espace, car il était lui-même le fils d’une rescapée d’Auschwitz.
Quel symbole que ce Séfer Torah qui avait traversé tant d’épreuves !

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Que le souvenir d’Ilan Ramon soit une bénédiction !

“Yediot A’haronot”
traduit par Feiga Lubecki