Le 20 Av 1944, Rabbi Lévi Its’hak Schneerson (père du Rabbi de Loubavitch) quitta ce monde à l’âge de 66 ans après une courte maladie mais surtout un emprisonnement dans les prisons soviétiques et une terrible condamnation à l’exil. Il est enterré à Alma Ata, au Kazakhstan, non loin de la frontière chinoise.

Rav Yossef Nemotin avait pris soin de Rabbi Lévi Its’hak après qu’il soit arrivé à Alma Ata, épuisé physiquement par les épreuves mais toujours soucieux de transmettre ses connaissances de Torah et ‘Hassidout. Il veilla à son chevet jusqu’au dernier moment, procéda à son inhumation dans la plus grande pureté puis veilla sur la santé de sa veuve, la Rabbanit ‘Hanna. Quand elle réussit à quitter l’Union Soviétique, Rav Yossef l’escorta jusqu’au train puis réalisa qu’il avait achevé sa mission à Alma Ata. Il se mit à rêver lui aussi à s’enfuir de ce pays où il ne pouvait pas aisément pratiquer le judaïsme.

Dès que les portes de l’Union Soviétique s’ouvrirent un peu à la fin des années soixante, il présenta une demande d’émigration. Mais il essuya un refus. Il s’entêta, demandant constamment cette permission de partir mais il était devenu un Refuznik à qui le gouvernement refusait le droit le plus élémentaire : choisir son lieu de résidence pour ses vieux jours. Ayant été moi-même un refuznik, je peux affirmer que le KGB jouait avec les nerfs et la vie des gens, expulsant certains agitateurs politiques mais en gardant d’autres, de façon totalement arbitraire afin d’exercer un pouvoir absolu.

Chaque année, Rav Yossef demandait et chaque année, cela lui était refusé. Pendant ce temps, Rav Yossef qui ne rajeunissait pas prenait soin de la tombe de Rabbi Lévi Its’hak, enlevait les mauvaises herbes et récitait des Tehilim (Psaumes), en se demandant souvent en son for intérieur pourquoi l’illustre fils, Rabbi Mena’hem Mendel qui habitait à New York, ne venait jamais se recueillir sur la tombe de son père.

Un matin, en 1982, il ouvrit sa boîte aux lettres, trouva une lettre de l’OVIR (le service d’Emigration), l’ouvrit le cœur battant mais c’était encore une fois un refus. Amer et déçu, Rav Yossef se dirigea droit vers le cimetière, pleura et pria et, avant qu’il ne réalise ce qui sortait de sa bouche, s’écria : «Taténiou Mit Rabénou ! (Oh père du Rabbi !), quand vous m’aiderez à sortir de ce pays, j’irai voir votre fils et lui demanderai pourquoi il n’est jamais venu se recueillir sur votre tombe ! Je vous le promets ! ». Rav Yossef n’avait jamais mis ses pensées en paroles et, quand il se rendit compte de sa ‘Houtzpa (audace), il se mit à trembler !

Alors qu’il s’apprêtait à quitter le cimetière, quelqu’un l’appela :

- Rav Yossef !

Qui était-ce donc ? Il ne reconnaissait pas ce jeune homme élégant, manifestement un haut fonctionnaire…

- Rav Yossef ! Nous étions des voisins. Vous veniez chez nous tous les jours pour emmener mon père qui était aveugle à la petite synagogue afin qu’il puisse prier avec la communauté ! (Rav Yossef m’avait indiqué le nom de l’aveugle mais je ne m’en souviens plus. Quand l’aveugle était décédé, il avait été enterré dans le même cimetière que Rabbi Lévi Its’hak).

- Vous étiez un enfant alors ! Vous avez tellement grandi depuis, soupira Rav Yossef. Cela fait plus de vingt ans…

- Oh oui. Mais moi je ne vous ai pas oublié ! Que se passe-t-il ? Vous avez l’air soucieux…

- Cela fait tant d’années que je souhaite fuir ce pays mais l’OVIR persiste à me refuser cette permission…

- Ne vous inquiétez pas ! Je travaille pour le gouvernement et je sais à qui m’adresser ! Donnez-moi 4000 roubles et je débloquerai votre situation ! Vous avez aidé mon père, maintenant c’est à moi de vous aider !

Cinq minutes auparavant, Rav Yossef avait versé des larmes auprès de Rabbi Lévi Its’hak et déjà l’espoir renaissait !

4000 roubles représentaient une somme importante mais Rav Yossef se «débrouilla» et, dès le lendemain, il apporta l’argent au jeune homme. Celui-ci accomplit sa promesse et, moins d’une semaine plus tard, la famille Nemotin reçut la permission de quitter le pays !

Rav Yossef s’installa à Crown Heights, le quartier de Brooklyn où vivait le Rabbi ; il avait réussi à emporter des manuscrits de Rabbi Lévi Its’hak qu’il remit aux secrétaires du Rabbi.

Finalement, il reçut la permission d’entrer en Ye’hidout, en audience privée. Quand il entra, le Rabbi se tenait debout et non assis, ce qui était une marque inhabituelle de respect pour Rav Yossef. Le Rabbi remercia chaleureusement Rav Yossef et sa famille pour tous les soins qu’ils avaient prodigués à ses parents derrière le Rideau de Fer ainsi que pour les manuscrits.

Rav Yossef demanda s’il pouvait reprendre un des manuscrits en souvenir mais le Rabbi expliqua que, dorénavant, il ne pouvait pas s’en défaire.

A la fin de l’audience, Rav Yossef recula comme le veut la coutume afin de ne pas tourner le dos au Rabbi. Alors qu’il approchait de la porte et se tenait encore face au Rabbi, le visage du Rabbi devint très sérieux. Le Rabbi le regarda droit dans les yeux et lui rappela :

- Vous avez oublié de me poser la question que vous aviez promis à mon père de me poser !

Rav Yossef chancela et s’évanouit.

Il avait sa réponse ! Le Rabbi correspondait avec son père même quand celui-ci n’était pas proche physiquement, même quand celui-ci n’était plus de ce monde ! Il n’avait nullement besoin de se déplacer pour s’entretenir avec lui ! Depuis le Monde de Vérité, Rabbi Lévi Its’hak avait transmis à son fils toutes les demandes que lui adressaient les Juifs qui venaient se recueillir auprès de sa tombe et c’est ainsi que le Rabbi connaissait les moindres pensées et paroles de Rav Yossef…

Lors du Farbrenguen (réunion ‘hassidique) suivant, le Rabbi accueillit Rav Yossef avec beaucoup d’égards et le remercia publiquement. Il réalisa alors que le Rabbi lui pardonnait sa ‘Houtzpa.

Par la suite, le Rabbi demanda à Rav Yossef des détails sur la vie de ses parents à Alma Ata et lui accorda toujours une attention spéciale ainsi que de nombreuses bénédictions.

Dr Alexander Poltorak – PhD de physique théorique et biomathématiques

Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki