Tous s’étonnaient de ces fiançailles inattendues. On lui avait proposé les meilleurs «partis» pour sa fille mais Rabbi Baroukh de Medziboz les avait tous refusés poliment. Cependant, quand on lui avait parlé du fils d’un riche notable de Zhitomir – un homme riche, certes, mais peu instruit - il l’avait accepté sans hésitation. Toute la communauté s’étonna : le fiancé avait des qualités effectivement, mais pas autant que les jeunes gens suggérés jusqu’à présent par le Chad’hane, l’entremetteur.
La semaine du mariage arriva et un cortège de ‘Hassidim accompagna le Rabbi et sa famille vers la ville de Zhitomir. La joie était palpable jusqu’à ce que…
Jusqu’à ce quelqu’un se souvint d‘un scandale qui avait éclaté une trentaine d’années auparavant et qui avait gravement éclaboussé le père du fiancé dans sa jeunesse. La rumeur circula vite et l’horreur suscitée par ce qu’on racontait frappa de stupeur les ‘Hassidim.
«Comment était-ce possible ?» se demandèrent les invités. Il était de leur devoir – n’est-ce pas – d’informer le Rabbi le plus délicatement possible, avant la cérémonie plutôt qu’après ! On se concerta et, finalement, on convint de demander à Reb Hershel d’Ostropol, connu pour son sens de l’humour, de trouver le moyen le plus judicieux. 
Le matin du mariage, Reb Hershel s’arma de courage et frappa à la porte de la chambre de Rabbi Baroukh. Le sourire aux lèvres, Reb Hershel entra et s’écria : «Mazal Tov, Rabbi, Mazal Tov !»
La Rabbi le regarda avec étonnement et Reb Hershel continua : «Nous venons d’apprendre une nouvelle union ! Vraiment conclue par la Providence Divine ! Le bon D.ieu qui décide des mariages a associé le long «Vehou Ra’houm» (la longue prière de supplication récitée les lundis et jeudis) avec le «Al ‘Heth» la prière de confession des fautes de Yom Kippour !
Et pourquoi ne pas informer le Rabbi de cette grande joie ? »
Rabbi Baroukh comprit le sous-entendu mais intima à son ‘Hassid l’ordre de révéler tout ce qu’il savait. Prudemment celui-ci répéta – avec de grandes précautions oratoires – «l’affaire» telle qu’il l’avait entendue de la bouche de plus anciens ‘Hassidim.
«Quand on apprit la terrible faute dont s’était rendu coupable le père de votre futur-gendre, il fut puni en public, humilié au point qu’il fut obligé par la suite de s’enfuir de la ville. Ce n’est que des années plus tard qu’il revint, une fois que le scandale s’était apaisé».
Le front du Rabbi se couvrit de plis tandis que son regard se perdait au loin. Reb Hershel attendait avec angoisse une réaction plus énergique. Mais, soudain, le Tsadik se secoua de sa rêverie apparente et déclara d’une voix ferme : «Cette union a été décidée au ciel et puisque telle est la volonté de D.ieu, le mariage sera célébré ce soir comme prévu, de façon très joyeuse. Que D.ieu fasse que tout se passe en son temps et que le jeune couple puisse construire dans la sérénité un foyer fidèle sur les bases éternelles de la Torah ! Que ce soit une réussite ici et dans les sphères supérieures !»
Effectivement le mariage fut célébré avec une joie particulière ; les sept jours de «Cheva Bra’hot» des «sept bénédictions» se déroulèrent dans l’allégresse ‘hassidique typique puis les ‘Hassidim s’apprêtèrent à rentrer chez eux.
Avant le départ, on annonça à Rabbi Baroukh la venue d’un messager spécialement envoyé par la Rabbanit, l’épouse déjà bien âgée de Rabbi Zeev Wolf de Zhitomir, un des disciples les plus distingués du Maguid de Mézeritch. Elle exprimait le désir que Rabbi Baroukh s’arrête chez elle lors de son retour : à cause de son grand âge et d’une certaine faiblesse, elle ne pouvait pas se rendre chez lui comme cela aurait convenu.
Rabbi Baroukh accepta de s’arrêter devant chez elle pour rendre visite à cette personne respectable.
Accompagné de quelques uns de ses proches, il entra.
«Soyez les bienvenus ! s’exclama la veille dame. D.ieu soit loué, j’ai eu le privilège d’accueillir un des Grands de notre génération !»
Rabbi Baroukh comprit qu’elle pesait chacun de ses mots et il demanda : «Et comment savez-vous qui figure parmi les Grands de notre génération ?»
La Rabbanit réfléchit et déclara : «C’est une longue histoire ! Qui s’est produite il y a bien longtemps mais je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. Un jour, on entendit dans la rue un grand vacarme. Je me suis approchée de la fenêtre et j’ai aperçu un spectacle effrayant : un jeune homme, entouré d’une foule en colère, était abreuvé d’injures et traité de façon humiliante par tous, jeunes et vieux. On lui lança même de la boue et des ordures… J’ai bien regardé cet homme et j’ai aperçu un visage aux traits distingués qui reflétait une grande conscience de la Présence de D.ieu. Je ne pouvais pas admettre qu’un homme si pur soit ainsi traîné dans la boue !
Soudain, j’ai réalisé que mon mari – que D.ieu bénisse sa mémoire – contemplait lui aussi avec effroi cette scène et soupirait : «Si seulement je méritais d’être aussi pur et saint que ce jeune homme si remarquable ! Il ne peut pas prouver son innocence face à cette foule furieuse, influencée par de la médisance et des mensonges aussi grossiers !»
Puis il ajouta : «Je suis persuadé que ce jeune homme a un mérite extraordinaire puisqu’il est écrit : «Heureux celui que l’on soupçonne pour rien !» A la suite de cette terrible humiliation, il méritera un grand privilège : son fils épousera la fille d’un Grand de la génération !»
Et la Rabbanit âgée conclut : «Sachez, Rabbi, que ce jeune homme n’est autre que le père de votre gendre ! La prophétie de mon défunt mari s’est donc réalisée. Vous comprenez maintenant comment j’ai pu affirmer que vous étiez l’un des Grands de la génération !»
Le mystère de cet étrange mariage était enfin résolu !

Sichat Hachavoua n°1115
traduit par Feiga Lubecki