Quand Rav Ezriel Chaikin et son épouse se proposèrent pour partir en «Chli’hout» comme envoyés du Rabbi de Loubavitch, celui-ci leur indiqua leur prochaine destination : Copenhague. Bien vite, le couple s’installa donc au Danemark et se mit à contacter les Juifs de l’endroit.
Lors d’une Ye’hidout (entretien privé), le Rabbi leur conseilla à la fin de la conversation : «Vous devez élargir le domaine de vos activités au-delà de Copenhague et même au-delà des frontières du Danemark ! Recherchez les Juifs dans toute la péninsule scandinave !»
«Dès que je suis retourné chez-moi, déclare Rav Chaikin, je me suis mis à voyager tout autour de notre région. J’ai découvert en Norvège de nombreux villages dans lesquels résident seulement une ou deux familles juives. Très souvent, leur solitude était telle qu’elles en oubliaient même le fait qu’elles étaient juives.
Un jour, la Providence Divine m’a fait rencontrer un Juif du nom de Chmouel David Popovitch qui habitait la bourgade de Halden. Il s’engagea à m’aider par tous les moyens possibles afin de repérer et de rassembler encore d’autres juifs. Lui-même était originaire de Roumanie et il avait eu le mérite, dans son enfance, de se rendre avec son père chez des Rabbis ‘hassidiques.
Chmouel David réussit à localiser une vingtaine de Juifs dans les villes et villages autour de sa demeure. Une fois par semaine, ceux-ci se réunissaient dans sa maison et j’y allais moi aussi afin de donner un cours de Torah pour leur enseigner les connaissances de base du judaïsme. Petit à petit, ils se mirent à pratiquer davantage et à être plus conscients et fiers de leur appartenance au peuple juif.
A un moment donné, je décidai que le cours n’était plus suffisant. Je me mis à visiter les villages les plus perdus afin de découvrir des Juifs que même Chmouel David n’avait pas réussi à rencontrer. Chaque fois que je trouvais un Juif, je lui rendais visite dans sa maison et tentais de l’intéresser à tout ce qui avait trait au judaïsme.
Un soir, j’arrivai dans un village proche de Halden. Je savais qu’il s’y trouvait une seule famille juive. Il était déjà relativement tard et j’hésitais : après tout, il n’est pas recommandé de frapper à la porte d’inconnus alors qu’ils sont peut-être déjà prêts à aller se coucher. Mais j’ai décidé que je n’avais pas le choix : qui sait, en effet, quand j’aurais la possibilité de retourner dans cet endroit pour y rencontrer cette famille ?
A ma grande joie, je fus accueillis chaleureusement par le couple. Je me suis assis autour de la table avec le mari et la femme et je compris rapidement que le mari était en proie à un gros souci. Il ne parlait pas beaucoup et se contentait d’écouter. La femme aussi réagissait très peu.
A un moment donné, elle s’est levée et s’est rendue dans une autre pièce. Soudain, le visage de l’homme devint rouge d’émotion, il se pencha vers moi et murmura : «Vous ne pouvez pas savoir ce que votre visite implique pour nous ! En un instant, vous avez dissipé toutes nos idées de conversion au christianisme ambiant pour au moins vingt ans !»
J’étais stupéfait et j’attendis l’explication. Il continua son histoire. Lui et son épouse étaient arrivés dans ce village perdu immédiatement après la Seconde guerre mondiale. Ils étaient les seuls Juifs ; de fait, ils menaient exactement le même genre de vie que leurs voisins chrétiens sauf qu’ils ne fréquentaient pas l’église.
Ceci gênait considérablement leurs relations avec les autres habitants du village qui auraient voulu les voir se mêler davantage à eux.
Très souvent, ils avaient essayé de les convaincre de se joindre à eux : «De toute manière, proclamaient ces voisins bien pensants, votre judaïsme ne signifie plus rien !»
Ces derniers temps, toute cette affaire était devenue encore plus pressante à cause du dynamisme du curé local. C’était un prêtre qui rendait visite à ses ouailles dans tous les villages avoisinants. Il passait de maison en maison, il parlait avec chacun, il se rendait même chez cette famille juive, il n’évoquait pas la religion et se contentait de paroles aimables et agréables.
Ces derniers temps, il revenait encore et encore ; bien qu’il n’exerçât aucune pression, son amitié semblait tellement sincère que la maîtresse de maison commençait à réfléchir sérieusement à la conversion, ce qui lui faciliterait grandement les relations avec ses voisins. Entre autres, sa femme avait présenté l’argument suivant : «Regarde depuis combien de temps nous habitons ici ! Jamais un Juif n’est venu nous rendre visite ! Et encore moins un rabbin pour prendre de nos nouvelles ! Notre judaïsme n’a plus aucun sens puisque les Juifs ne s’intéressent plus à nous ! Par contre le curé ! Comme il est amical ! Il passe toujours nous voir et bavarde gentiment avec nous !»
Les pressions augmentaient de son côté et l’homme se sentait de plus en plus affaibli. Il n’y avait plus de raison sérieuse de refuser de franchir le pas même si, au fond de lui, il ressentait que la décision était cruciale. 
«Et soudain vous avez sonné à la porte ! Comme un ange du ciel ! Vous comprenez maintenant pourquoi je suis si ému ?»
J’ai immédiatement compris l’importance de ma mission, conclut Rav Chaikin. J’ai gardé des relations régulières avec ce couple et ai encouragé cette famille à pratiquer davantage de Mitsvot, de commandements. Par la suite, ils ont décidé de déménager et de s’installer dans une ville où existait une communauté juive organisée.
Encore une famille juive réunie à son peuple !

Sichat Hachavoua n°1244
traduit par Feiga Lubecki