Le regretté Natane Yelin-Mor était un remarquable journaliste, doté d’une plume absolument extraordinaire. Il s’en servait pour combattre tout ce qui concernait le judaïsme et ne se gênait pas pour l’exprimer dans un journal d’extrême-gauche en Israël.

Le second jour de Roch Hachana 1977, il arriva chez son collègue Rav Gershon Jacobson à New York. Celui-ci l’invita à assister à un Farbrenguen, réunion ‘hassidique où le Rabbi se lavait les mains, mangeait du pain, déversait des paroles de Torah inspirantes puis, après le Birkat Hamazone (bénédictions après le repas) distribuait du vin de sa coupe aux nombreux participants.
Ils se rendirent donc tous deux au 770 Eastern Parkway, dans la synagogue pleine à craquer. D’une façon ou d’une autre, Rav Jacobson parvint à se frayer un chemin dans la foule et s’approcha du Rabbi à qui il présenta son hôte :
- Voici Natane Yelin-Mor.
Le Rabbi leva les deux mains et, avec un grand sourire, l’accueillit chaleureusement :
- Monsieur Natane Yelin-Mor ! Quel honneur pour moi de vous voir dans ma synagogue pour une visite ! Quand je reçois le journal, chaque mercredi soir, je lis votre tribune en premier ! Vous êtes un écrivain remarquable et je souhaite vous bénir pour que vous continuiez à écrire et utiliser vos dons et vos sentiments encore durant de longues années !
L’homme faillit s’évanouir ! Stupéfait de l’accueil du Rabbi, il balbutia :
- Le Rabbi lit mes articles ? Je ne comprends pas ! Le Rabbi est-il d’accord avec ce que j’écris ?
Une fois de plus, le Rabbi répondit avec un grand sourire :
- Si je ne devais lire que ce avec quoi je suis d’accord, je ne lirais que très peu dans ma vie ! Je lis beaucoup – et même vos articles !
- Je ne comprends pas, réagit le journaliste. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, pourquoi dites-vous que je suis un écrivain remarquable ?
- Le bon D.ieu vous a accordé un don d’écriture absolument extraordinaire et vous devez bien l’utiliser !
Le journaliste n’y comprenait plus rien. Il quitta le Rabbi en disant Chalom. Et, alors qu’il se tournait pour partir, le Rabbi le rappela :
- Je me pose une question à votre sujet : qu’en est-il de votre vie personnelle en ce qui concerne la Torah et les Mitsvot ? Le judaïsme ?
- Un juif réfléchit, répondit Yelin-Mor citant une sorte de périphrase yiddish.
- Si vous aviez dix-sept ans, répliqua le Rabbi, ce serait une bonne chose que de réfléchir. Mais vous avez déjà dépassé l’âge de soixante-dix ans, il est temps d’arrêter de réfléchir et plutôt d’agir ! Jusqu’à quand allez-vous retarder la prise de conscience qu’il faut agir ?
- Je suis comme le Juif dans l’histoire de Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev, suggéra le journaliste en esquivant la réponse.
Sans attendre un seul instant, le Rabbi le reprit :
- Non, je ne suis pas d’accord avec vous ! L’histoire avec le Rabbi de Berditchev nous apprend ce que lui a dit d’un autre Juif. Mais vous, vous le dites sur vous-même !
Le journaliste était hébété. Il balbutia quelque chose puis partit.
Il arriva chez lui bouleversé et expliqua ce qu’il avait voulu sous-entendre au Rabbi : Rabbi Lévi Its’hak était arrivé un soir de Yom Kippour à la synagogue et avait rencontré un juif qui fumait ; il lui avait gentiment demandé :
- Cher Juif ! Peut-être ne te souviens-tu pas qu’aujourd’hui, c’est Yom Kippour ?
- Mais si, bien sûr ! rétorqua l’homme d’un ton moqueur.
- Peut-être ne sais-tu pas qu’il est interdit de fumer à Yom Kippour ? continua le saint Rabbi.
- Je sais qu’aujourd’hui, c’est Yom Kippour et je sais qu’il est interdit de fumer. Et malgré cela, je fume ! persista l’homme, très content de sa répartie.
Rabbi Lévi Its’hak leva les yeux au ciel et s’écria :
- Maître du monde ! Regarde quels précieux Juifs Tu as ! Même un Juif qui fume Yom Kippour ne ment pas !
Et Yelin-Mor continua :
- C’était cela que je voulais faire comprendre au Rabbi : que je ne mens pas ! Et, bien sûr, le Rabbi m’avait parfaitement compris !

L’histoire ne se termine pas là. En 1981, Yelin-Mor téléphona à Rav Gershon et l’informa qu’il se trouvait à l’hôpital à Manhattan. Il souffrait de «la» maladie et lui demandait de bien vouloir lui rendre visite. Quand il arriva le lendemain, le journaliste expliqua que les médecins ne pouvaient plus rien faire pour lui et ne lui donnaient que quelques mois à vivre. Il souhaitait donc prendre congé de son collègue et ami. Puis il lui tendit une enveloppe :
- Je vous en prie : vous ouvrirez cette enveloppe après ma mort.
Ils s’embrassèrent avec émotion, en pleurant tous les deux.
A peu près deux mois plus tard, Yelin-Mor quitta ce monde. Rav Gershon ouvrit l’enveloppe. Sur une feuille se trouvait un article pour le journal. Sur un autre papier, Natane Yelin-Mor remerciait encore une fois Rav Gershon pour son amitié et pour lui avoir donné l’occasion de rencontrer le Rabbi. Il demandait à Rav Gershon de faire imprimer ce mot à côté de son article posthume, ce qu’il fit.
Le titre était : «Une lettre depuis le Guéhinam (l’enfer) :
Maintenant, je ne suis plus de ce monde. Je me trouve dans les sept niveaux du Guéhinam ». (Il décrivait ensuite de façon dramatique un feu qui se mêlerait à de la glace, un feu rouge puis un feu blanc, jaune, vert, noir...) Et soudain je vois en face de moi une lumière qui contrebalance tous ces niveaux de l’enfer, qui brise toutes les murailles, qui descend jusqu’au plus profond de l’abîme où se trouve mon âme ; cette lumière brise la muraille de fer de ma personnalité qui me séparait de mon Père au Ciel. Cette lumière saisit et emporte la profondeur de mon âme juive et tente de l’empêcher de sombrer définitivement. Je pense que, grâce à cette lumière, je parviendrai à sortir de ces profondeurs. Vous me demanderez qu’est-ce que cette lumière ? C’est la lumière de l’âme du dirigeant juif, saint, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson. Et là, je veux vous raconter une histoire...
Il racontait alors tout ce qui lui était arrivé ce Roch Hachana et ajoutait : «Si j’ai un mérite dans ma vie, c’est cette rencontre que j’ai eue avec le chef du peuple juif qui avait une telle foi, non seulement en D.ieu mais aussi en l’homme ! Il avait même foi en moi, il avait foi dans ma judaïté, il avait confiance que je pouvais retourner à D.ieu. Grâce à sa confiance en moi, bien que moi je n’ai pas eu confiance en moi, j’ai confiance que cette lumière me fera sortir de la boue vers une lumière éternelle de D.ieu.
J’ai été stupéfait de rencontrer un Juif qui savait parfaitement qui j’étais, qui connaissait mes opinions mais qui, avec une candeur presqu’enfantine, s’interrogeait sincèrement à mon propos : «Qu’en est-il de la Torah et des Mitsvot ?»

Rav Nechemia Wilhelm – Bangkok – Michpa’ha ‘Hassidit N° 1611
Traduit par Feiga Lubecki