On était mardi, je me trouvais dans la synagogue du Rabbi au 770 Eastern Parkway. Normalement, j’aurais dû retourner à Los Angeles le mercredi mais suite à un coup de fil inattendu, je devais rentrer le jour-même de toute urgence. Le prochain vol était prévu dans une heure et demie depuis l’aéroport Kennedy alors que mon billet original était daté de mercredi, depuis l’aéroport de Newark. Autant dire que mes chances d’obtenir le vol que je désirais étaient quasi nulles. Alors que je me précipitai vers la station de taxis sur Kingston Avenue, je me souvins d’une histoire arrivée un siècle plus tôt avec le Rabbi Rachab…

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Lors d’un voyage à St-Pétersbourg, le Rabbi Rachab avait perdu une valise. Et cela le peinait énormément car cette valise contenait d’importants livres de Torah. Malgré toutes les réclamations présentées par les ‘Hassidim, les fonctionnaires des chemins de fer ne la retrouvaient pas.
Les jours passèrent et un jeune ‘Hassid, Avraham Eliahou Gurary se rendit chez le Rabbi. Il s’était marié récemment, avait reçu une dot de 10 000 roubles mais en avait perdu 90% dans des transactions commerciales douteuses. Ceci avait créé des tensions dans son couple qui maintenant battait de l’aile. Il était donc venu demander de l’aide au Rabbi.
Quand il fut admis dans le bureau, le Rabbi s’écria, tout heureux : «Ah ! Avraham Eliahou est certainement celui qui me rapportera ma valise !». Et avant même que le jeune marié ait pu comprendre de quoi il s’agissait, le Rabbi lui avait remis le ticket de réclamation tout en lui recommandant de se dépêcher.
Avraham Eliahou se rendit à la gare, sans même savoir combien les autres ‘Hassidim avaient fourni d’efforts en vain. La gare était calme. Ignorant où il devait s’adresser, il s’assit et se mit à fumer une cigarette. Soudain, il remarqua un non-Juif qui le regardait fixement. Il lui offrit une cigarette et l’homme la prit avec reconnaissance. Le ‘Hassid lui raconta alors qu’il recherchait la valise de Rabbi Schneersohn.
- Vous avez trouvé la personne qu’il faut, s’écria l’homme : je suis le responsable des bagages dans cette gare !
Effectivement, quelques minutes plus tard, grâce à l’intervention énergique de cet homme, Avraham Eliahou avait récupéré la valise ! Il la rapporta immédiatement au Rabbi qui le remercia chaleureusement : «Je te suis maintenant débiteur, Avraham Eliahou !»
Celui-ci raconta alors au Rabbi la raison de sa venue à Loubavitch, comment ses investissements étaient devenus des gouffres et avaient engendré un manque de Chalom Bayit (harmonie dans le couple).
- Combien d’argent te reste-t-il ? demanda le Rabbi.
- Seulement 1000 roubles.
- Va à Kretz et D.ieu t’enverra ta subsistance. En partant, emporte de la nourriture !
Avraham Eliahou rentra chez lui, raconta à sa jeune épouse ce que le Rabbi lui avait promis : D.ieu nous aidera certainement ! conclut-il.
Comme lui, sa femme se réjouit de cette bonne nouvelle et, conformément aux instructions du Rabbi, prépara pour son mari de délicieux biscuits.
Reb Avraham Eliahou prit son Talit et ses Téfilines ainsi que les biscuits et se rendit à Kretz. Ne sachant qu’y faire, il s’assit et croqua un biscuit. Non loin de là, il aperçut un Juif qui le regardait : il lui offrit des biscuits et ils engagèrent la conversation. Avraham Eliahou expliqua qu’il ne lui restait plus que mille roubles mais que le Rabbi lui avait promis qu’il réussirait dans les affaires à Kretz. L’homme l’écouta attentivement : il avait quelqu’un à lui présenter. Effectivement, le lendemain, il était de retour avec un homme d’affaires qui était prêt à lui vendre tout un wagon de papier à cigarettes pour 1000 roubles. Le ‘Hassid accepta et le commerçant fit expédier le wagon à Kremenchug où se trouvaient des usines à cigarettes.
Quand il arriva à Kremenchug, Avraham Eliahou se rendit à l’usine de Tsvi Gurary et lui proposa le papier, pour le prix de 10.000 roubles, afin qu’il puisse retrouver l’argent initial de la dot, comme le Rabbi lui avait promis. Tsvi Gurary tenta de marchander mais Avraham Eliahou restait ferme sur sa position. Tsvi Gurary se rendit même chez le grossiste qui avait vendu le papier à Avraham Eliahou mais celui-ci confirma qu’il n’avait plus rien à proposer et que, d’autre part, il y aurait bientôt une rupture mondiale de stock de papier. Tsvi Gurary comprit qu’il n’avait pas le choix et paya les 10 000 roubles, amenant ainsi à la réalisation de la bénédiction du Rabbi qui remarqua par la suite : «Avraham Eliahou ! J’ai remboursé ma dette envers toi !»


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(Retour au récit de Rav Estulin : )

En me souvenant de cette histoire, je me précipitai dans un magasin et achetai une très belle boîte de biscuits de luxe, agrémentés de pépites de chocolat. Si le Rabbi Rachab avait aidé son ‘Hassid grâce à des biscuits, mon Rabbi m’aiderait certainement, moi son émissaire, à regagner l’endroit dont j’étais responsable en son nom. 
J’arrivai à l’aéroport et pris place dans la longue file d’attente. En observant l’employée en charge de l’enregistrement des bagages, je réalisai qu’elle n’était pas du genre à comprendre et apprécier mon initiative audacieuse. Elle n’était pas agréable avec les passagers et si je n’avais pas été obligé de retourner de toute urgence à Los Angeles pour accomplir mes devoirs de Chalia’h, je me serais déjà résigné à ne prendre l’avion que le lendemain.
Mon tour approcha quand, tout-à-coup, j’entendis des cris : un de ses supérieurs s’adressait durement à cette employée.
Il s’avéra que l’homme avait laissé près du comptoir de cette dame une belle boîte de biscuits qui devait être le cadeau d’anniversaire d’un ami. Or la dame, pensant qu’un passager les avait oubliés, en avait mangé et en avait même offert à ses collègues.
L’homme était furieux.
C’est alors que j’intervins : je proposai à l’homme la belle boîte que je venais d’acheter sur Kingston Avenue et la lui offris. Soulagé, il me remercia chaleureusement. Quant à l’employée, elle était émerveillée de la tournure des événements et m’adressa un grand sourire. Elle examina mon billet et le tamponna comme si elle n’avait pas remarqué que la date et l’aéroport ne correspondaient pas et s’excusa même : «Le seul problème, c’est qu’il n’y a plus de place pour vous en class business ! Je serais obligée de vous faire voyager en première classe !»

Rav Naftali Estulin
traduit par Feiga Lubecki