Un rabbin prestigieux d’une certaine communauté ‘hassidique de New York s’approcha un jour de moi : sachant que je venais d’Australie, il me demandait de retrouver une jeune femme dont on n’avait plus de nouvelles. Née et élevée dans une bonne famille de Boro Park (un des quartiers ‘hassidiques de Brooklyn), elle s’était mariée mais s’était séparée de son mari : le mari refusait, on ne sait pourquoi, de lui accorder le Guet(l’acte de divorce) et, lassée d’attendre, elle avait tout quitté. Sa famille avait appris qu’elle s’était enfuie en Australie – sans plus de détails.

- L’Australie a la taille des États-Unis ! remarquai-je et y rechercher quelqu’un sans plus de précisions, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin !

- Je sais, soupira-t-il mais peut-être pourriez-vous demander au Rabbi de Loubavitch comment agir…

Avant de retourner en Australie, j’entrai en Ye’hidout – audience privée chez le Rabbi et lui racontai toute l’histoire. Il me demanda quand je voyageais.

- Mercredi, répondis-je.

- Une fois arrivé sur place, peut-être la semaine suivante, vous devriez vous rendre à Brisbane !

Il n’expliqua pas pourquoi je devais agir ainsi mais, bien sûr, je me conformai à ses directives sans poser de question ; une fois arrivé en Australie, je pris l’avion pour Brisbane. C’est une ville située au nord du pays et elle ne comptait, à l’époque qu’une toute petite communauté juive : elle n’hébergeait pas encore Rav Lévi et Dvorah Jaffe qui sont, depuis, devenus les émissaires du Rabbi sur place.

Dans l’avion, je me trouvais assis à côté d’une dame élégante, non-juive qui se présenta comme étant chrétienne grecque orthodoxe. Voyant que j’étais juif, elle me posa des questions théologiques sur la Bible puis me demanda assez étrangement :

- Quelle est la position du judaïsme vis-à-vis d’une personne qui abandonne la foi ? Une telle personne peut-elle réintégrer la communauté ou est-elle définitivement excommuniée ?

- Aucun Juif ne peut jamais être séparé de D.ieu Tout Puissant, la rassurai-je. Même si quelqu’un «prend des vacances» de la Torah, il peut à tout moment revenir «à la maison» et la communauté l’accueillera à bras ouverts !

- Je vous explique pourquoi je vous pose cette question, continua-t-elle : je possède une chaîne de magasins de vêtements en Australie ; dans la ville de Cairns, dans un de mes magasins, nous avons engagé une jeune femme juive qui vient d’une famille très pratiquante de New York. Je peux aisément constater qu’elle vit ici très différemment de la façon dont elle a été élevée. Elle prétend qu’elle est heureuse mais je vois bien qu’elle ne l’est pas : je suppose qu’elle vivrait beaucoup mieux si elle retournait dans sa propre communauté.

A cet instant, je ne pus m’empêcher de sursauter : je me rendais à Brisbane sur le conseil du Rabbi, sans savoir pourquoi. Et, en route, je rencontrai une femme chrétienne qui me parlait d’une jeune femme juive qui avait quitté sa famille. J’en eus la chair de poule sur tout le corps et je me mis à trembler de tous mes membres.

- Sachez que je voyage vers Brisbane sans savoir où aller. Je le fais parce que nous avons un Rabbi à New York qui est sans doute le plus grand Sage de notre époque qui m’a dit d’agir ainsi après que je lui ai demandé comment retrouver une jeune femme juive !

En entendant ces mots, la dame se mit à trembler elle aussi !

- Peut-être s’agit-il justement de cette jeune femme ! reconnut-elle.

Je dus admettre qu’elle avait sans doute raison. Elle se mit immédiatement à mon service pour ainsi dire, offrit de payer toutes les dépenses impliquées afin que je puisse rencontrer cette jeune femme – bien que je déclinai son offre.

De Brisbane, je pris l’avion pour Cairns et je me rendis dans le magasin de vêtements : c’était bien la jeune femme que je recherchais ! Bien sûr, elle n’était pas habillée selon les standards habituels de Boro Park et, de son côté, elle fut plus qu’étonnée de voir entrer dans le magasin de vêtements féminins un ‘Hassid en costume noir, avec barbe et chapeau, dans ce coin perdu d’Australie où elle avait cru pouvoir s’enfuir loin de son peuple.

- Je m’appelle Pinchas Woolstone, je suis un Loubavitch, commençai-je…

J’avais du mal à trouver mes mots, à lui expliquer ce que je faisais là. Je décidai finalement de juste lui raconter tout ce qui s’était passé. Puis je lui demandai :

- Etes-vous prête à me parler ?

- Je ne peux pas parler maintenant, je travaille, répondit-elle sur la défensive.

- Alors je reviendrai quand le magasin fermera…

Elle était loin d’être enthousiaste à cette perspective. Elle bredouilla :

- Tout ce que je veux, tout ce que j’ai toujours voulu, c’est le Guet !

- Mais vous avez rejeté la religion, remarquai-je : pourquoi avez-vous besoin d’un Guet ?

- Si vous pouvez m’aider avec le Guet, d’accord. Sinon, laissez-moi tranquille.

Je rappelai les gens à New York et ils réussirent finalement à faire en sorte de lui obtenir le Guet. Tandis que je m’occupai de toutes ces formalités, je la rencontrai encore une fois et remarquai :

- A vrai dire, votre réaction à tout ce qui vous est arrivé se comprend. Mais obtenir le divorce de votre ancien mari ne signifie pas que vous devez divorcer de votre famille, de votre communauté, de la Torah, de D.ieu !

Elle m’écouta.

Une fois qu’elle reçut son Guet, elle retourna aux États-Unis et s’inscrivit à l’Université, ce qui était, bien sûr, bien éloigné du style de vie de ses parents. Mais à l’Université, elle fit connaissance du Chalia’h Habad local, se mit à fréquenter ses repas de Chabbat, à discuter avec son épouse et, petit à petit, redevint pratiquante.

Aujourd’hui, elle est remariée et élève ses nombreux enfants dans le chemin de la Torah.

Et tout ceci avait été enclenché par le Rabbi qui m’avait conseillé : «Allez à Brisbane !»

Rav Pinchas Woolstone – Sydney – JEM

Traduit par Feiga Lubecki