En 1977, après avoir obtenu mes diplômes de podologie au New York College et effectué un internat au Maimonides Hospital, je décidai d’ouvrir mon cabinet à Crown Heights. Bien que je ne sois pas Loubavitch, j’avais néanmoins choisi ce quartier de Brooklyn parce que j’appréciais particulièrement cette communauté et que je m’y sentais à l’aise.

Bien entendu, avant d’entreprendre une démarche aussi importante dans ma vie professionnelle, j’écrivis au Rabbi pour obtenir sa bénédiction. Il répondit que, du moment que je n’entrais pas en concurrence avec d’autres confrères et que je ne risquais pas de leur voler leur clientèle, j’étais assuré de sa bénédiction : le Rabbi était toujours très strict sur ce point : nul ne devait gagner sa vie aux dépens d’un autre.

J’agis comme il me l’avait demandé et je commençais à travailler à Crown Heights.

Un jour, je reçus un appel : une dame demandait une consultation à domicile, ce que je ne faisais pas habituellement car les rues de ce quartier pouvaient être dangereuses pour un médecin portant sa mallette. Néanmoins, je répondis à la dame au téléphone pour élucider son problème et comprendre pourquoi elle ne pouvait pas se déplacer. Il s’avéra qu’il s’agissait d’une dame âgée qui s’était récemment fracturé la hanche. Je lui demandais son nom et elle répondit : «Je m’appelle Madame Schneerson et j’habite sur President Street».

Cinq minutes plus tard, je quittais mon cabinet avec ma sacoche et ma secrétaire m’interpella, surprise : «Je croyais que vous n’effectuiez pas de visites à domicile…». Je rétorquai du tac au tac : «Si je travaillais à Londres et que la reine Elizabeth m’appelait, je n’hésiterais pas, même si elle habitait dans un quartier douteux…».

Je n’étais pourtant pas certain à 100 % qu’il s’agissait de la Rabbanit ‘Haya Mouchka – après tout, d’autres personnes pouvaient porter ce nom prestigieux. Mais dès que j’entrai, je compris que c’était bien l’épouse du Rabbi : c’était la seule maison du quartier dans laquelle j’étais entré et où il n’y avait pas de portrait du Rabbi…

Par la suite, j’allais lui rendre visite tous les quelques mois pour veiller sur la santé de ses jambes. Ceci dura de nombreuses années. Je me souviens d’elle comme étant toujours très courtoise, amicale et… oui, vraiment une noble dame.

Une fois, Rav Leib Groner, le secrétaire du Rabbi, me demanda si je voulais bien rendre visite au Rabbi à son domicile. A cette époque, je n’exerçais plus à Crown Heights mais, bien sûr, j’acceptais. La première fois que je m’occupais du Rabbi, il voulut me payer mais je considérais comme un honneur qu’il m’ait appelé et je ne voulais évidemment pas prendre d’argent. Il répondit : «Cela ne fonctionne pas ainsi : je vous donne un chèque pour votre consultation et je compte sur vous pour l’encaisser !». En sortant, j’en parlais au Rav Groner qui m’avertit : «Si vous n’encaissez pas le chèque, le Rabbi ne vous appellera plus ! Le Rabbi insiste à chaque fois pour payer un professionnel qui lui rend service personnellement !»

Je fis donc une photocopie du chèque mais je l’encaissais. Par la suite, j’assurais le Rabbi que sa compagnie d’assurance couvrait les frais de la consultation et il accepta cet argument.

Le Rabbi avait déjà plus de 80 ans - presque 90 - quand je m’occupai de lui. Il m’appelait souvent avant les jours de fête, sachant qu’il resterait debout durant de longues heures. Je me souviens d’une fois, avant Pessa’h : le Rabbi avait été très occupé dans son bureau et le secrétaire me demanda si je pouvais me rendre au domicile du Rabbi très tard le soir. Quand j’arrivai, la personne qui m’ouvrit la porte expliqua que le Rabbi se reposait. Je m’excusais et m’apprêtais à repartir mais cette personne hésita : «Attendez…». Un moment plus tard, cette personne déclara que le Rabbi désirait que je reste : «Vous venez de loin ! Le Rabbi ne veut pas vous faire perdre votre temps !»

Je répliquai que cela ne me dérangeait pas de revenir le lendemain mais il insista de son côté.

Cinq minutes plus tard, le Rabbi descendit et je pus constater qu’il était très, très fatigué. Je m’excusai mais il protesta : «Non, non ! Vous venez de loin et je veux que vous preniez soin de moi maintenant !». Jusqu’à aujourd’hui, je me sens malheureux de l’avoir privé du peu de repos qu’il s’accordait. J’aurais pu revenir le lendemain mais il ne souhaitait pas me faire perdre mon temps !

Mon temps ! Mais qui étais-je ? Un jeune médecin alors qu’il était le plus grand Rabbi de la génération ! Mais il était si humble qu’il ne voulait pas profiter de la situation et me forcer à revenir le lendemain.

Je peux résumer ainsi les faits : je suis un spécialiste de la douleur du pied et de la cheville. Je donne des conférences sur ce sujet et j’ai publié de nombreux articles dans des revues prestigieuses. Des personnalités célèbres viennent me consulter de tous les Etats-Unis mais aucune n’est aussi célèbre que ne l’était le Rabbi, connu dans le monde entier. Et cependant, il était la personne la plus humble que je n’ai jamais rencontrée !

Dr. Elliot Udell – www.chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki