Dans le chalet qui surplombe l’immense domaine skiable des Catskills – non loin de New York – David, soixante-cinq ans, propriétaire du site, remonte la manche gauche de sa chemise et met les Téfilines. Très ému, il lit sur le feuillet les bénédictions et le Chema en phonétique.
Nous respectons ses sentiments et nous abstenons de parler jusqu’à ce qu’il déclare, le regard perdu dans le magnifique paysage où évoluent des centaines de skieurs : «Vous savez, cela fait cinquante ans que je n’ai pas remis les Téfilines ! Vous ne pouvez pas savoir combien je vous suis reconnaissant !»
Des larmes perlent sur son visage.

* * *

Deux semaines auparavant, Rav Menachem Mendel Okinov, directeur éducatif de l’organisation «Free» et de la Yechiva Ohel David d’Ocean Parkway à New York avait téléphoné à David : il lui avait rappelé qu’aujourd’hui, ce serait le premier anniversaire du décès de son père. Il devrait donc réciter le Kadich en présence d’un Minyane, dix Juifs âgés de plus de treize ans. «Nous sommes prêts à organiser ce Minyane pour vous !» lui dit-il.

David fut très heureux de ce coup de fil et accepta volontiers.
«Par ailleurs, continua Rav Okinov, j’organise aussi actuellement un camp d’hiver pour de jeunes Juifs sortis récemment de Russie et qui ne sont pas scolarisés dans des écoles juives !»
David n’hésite pas une seconde : «Soyez les bienvenus ! J’ai actuellement un monde fou dans nos installations hôtelières et sportives mais, comme mon regretté père, je serais heureux d’accueillir votre groupe !»
Rav Okinov est ravi de cette réponse chaleureuse. Bien vite, il contacte des jeunes étudiants de Yechiva et leur demande de l’accompagner pour le Minyane en mémoire du père de David, Israël. Ce dernier était affectueusement surnommé Izzy par ses proches et ses collaborateurs. C’était lui qui avait aménagé de ses propres mains cet immense domaine skiable et l’avait transformé en station de sports d’hiver très prisée des New-Yorkais.
A la mort d’Izzy, son fils David avait pris sa succession. Tous les matins, il arrivait à six heures, expliquait ses directives à ses employés et gèrait tout le travail. Mais quand nous arrivâmes dans son bureau, il se mit immédiatement à notre disposition avec le sourire – en laissant de côté toutes ses autres occupations. 
Dans le chalet, nous avons aperçu un tableau sur lequel étaient suspendus tous les diplômes et titres honorifiques de Izzy. L’un d’entre eux lui avait été attribué par Rav Okinov pour le remercier de sa collaboration avec «Free».
Au deuxième étage se trouvait… une salle de prières, avec livres d’études : «Ainsi chaque Juif qui le désire peut venir prier ici» nous explique David en remarquant notre étonnement. «C’est mon père qui a tenu à établir un lieu de prières dès qu’il a ouvert ce domaine».
Quand le jeune David Okinov demanda à l’autre David de mettre les Téfilines, ce dernier hésita un instant puis accepta : il expliqua ensuite que tout ce dont il se souvenait de sa Bar Mitsva, c’était le Talit mais pas les Téfilines.
Rav Okinov en déduit immédiatement : «Si vous ne vous souvenez pas des Téfilines, c’est sans doute que vous avez fêté votre Bar Mitsva dans une synagogue libérale ; cela signifie que vous mettez les Téfilines aujourd’hui pour la première fois de votre vie…»
Un grand silence se fit.
David enleva les Téfilines et quelqu’un lui demanda, respectueusement : «Avez-vous jamais prié ?» Là, David s’anima : «Ah oui ! Je prie tous les jours pour qu’il neige et pour n’avoir pas besoin des canons à neige : le domaine est tellement immense !»
Et il revint sur les Téfilines : «De fait, j’avais toujours envie de faire quelque chose dans ce sens mais je n’en ai jamais eu la possibilité. Vous êtes vraiment des anges envoyés par D.ieu !»
Pour la prière du soir, il fit venir tous ses employés juifs. Stupéfaits, ceux-ci contemplèrent ce spectacle étonnant : leur patron entouré par neuf jeunes Loubavitch… «Comme à l’époque d’Izzy !» remarque l’un d’entre eux. En l’honneur du Yahrzeit de son père, David déboucha une bouteille de vodka, proposa des gâteaux secs et des cornichons. Les employés n’en revennaient pas : «Vous êtes venus exprès de New York – quatre heures de route ! – pour que David puisse réciter le Kaddich à la mémoire de son père ? Seuls les Loubavitch sont capables de cela !». La discussion se poursuivit sur les problèmes actuels des Juifs et du judaïsme. Avant de nous séparer, David nous serra la main avec émotion : «N’oubliez pas de prier pour la neige !»
Effectivement, quelques jours plus tard, David nous téléphona ; il criait presque de joie : «Il neige, il neige ! Vos prières ont aidé !»

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A deux heures de là, nous avons visité la colonie de vacances de «Free». Les enfants originaires des pays de l’est avaient là l’occasion de vivre du matin au soir dans une atmosphère juive : pour certains d’entre eux, c’étaient la première fois qu’ils allumaient les lumières de ‘Hanouccah : «Moi je savais qu’il fallait les allumer car ma grand-mère, en Russie, nous avait raconté que son père les allumait, même quand le régime communiste envoyait pour cela des gens aux travaux forcés en Sibérie !»
En rentrant à New York, je me retournai pour contempler encore une fois les montagnes du Catskills en réfléchissant avec admiration : le même jour, un Juif âgé avait mis les Téfilines pour la première fois de sa vie et de jeunes enfants avaient eu un premier contact avec leur judaïsme.

Menachem Goren
‘Hadachot Chabad
traduit par Feiga Lubecki