La première fois que j’ai rencontré le Rabbi, c’était en 1971, quand je suis arrivé à New York avec mes parents, juste après que nous ayons obtenu l’autorisation de quitter l’Union Soviétique. Ce fut un moment très émouvant à cause de l’histoire de notre famille et de l’implication du Rabbi dans notre libération.

Mon père avait été emprisonné deux fois pour le «crime» d’avoir enseigné la Torah dans une école juive clandestine, à la demande de Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi. Oui, mon père était accusé d’être un «Schneersonsky» – un ‘Hassid du Rabbi. La première fois, il fut détenu cinq ans et la seconde fois dix ans ! Ma mère aussi passa presque dix ans en prison car elle avait joué un rôle important en transmettant des messages et des provisions pour cet enseignement clandestin : elle paya chèrement ces activités interdites par la loi soviétique.

J’étais encore un enfant et je fus donc élevé par mon grand-père. Ce n’est qu’à l’âge de onze ans que je revis mes parents, quand ils furent libérés lors de l’amnistie générale qui suivit la mort de Staline au début des années cinquante.

Dès qu’ils furent libérés de prison, mes parents tentèrent de quitter la Russie. Mais chaque fois qu’ils déposaient une demande de sortie, le visa leur était refusé. C’était un cycle sans fin : ils déposaient une demande, étaient refusés et recommençaient immédiatement ! Pendant ce temps, je continuais mes études dans le système soviétique et obtins le diplôme d’ingénieur en électricité tout en fournissant des efforts incessants pour éviter d’aller à l’école le samedi et les fêtes juives, ce qui représentait un véritable défi.

Et soudain, en 1971, nous avons obtenu un visa de sortie ! C’était absolument incroyable mais enfin, c’était bien réel ! Nous avons pris l’avion pour Vienne puis, de là, pour Israël où nous avons été accueillis dans le village ‘hassidique de Kfar ‘Habad. Là, on nous a annoncé que nous partions pour un court voyage chez le Rabbi à New York.

Bien entendu, pour nous, il était évident que c’était le Rabbi qui était à l’origine de notre sortie tant attendue de Russie. Qui d’autre aurait pu intervenir en notre faveur ? Qui d’autre se préoccupait constamment du sort des Juifs de Russie en général et des ‘Hassidim en particulier ? Personne ! Pour nous, il était évident que, sans le Rabbi, nous ne serions jamais sortis !

Quand nous sommes arrivés à New York nous étions submergés par l’émotion. De fait, depuis que nous étions sortis, nous avions retrouvé tant de membres de notre famille en Israël que nous étions dans un état de bouleversement intense. Quand nous sommes entrés dans le bureau du Rabbi, ma mère a éclaté en sanglots ; mon père n’était plus lui-même et moi non plus. Mais la gentillesse et la bonté du Rabbi nous ont aidés à retrouver nos esprits. Quand il nous regarda, un sentiment de sérénité et de plénitude nous enveloppa.

Il nous posa beaucoup de questions auxquelles ma mère répondit parce qu’elle avait joué le rôle de messager durant toutes ces années et elle connaissait les gens dont le Rabbi demandait des nouvelles.

Après cette entrevue privée, nous sommes retournés en Israël et j’ai étudié à la Yechiva Loubavitch de Tom’hé Tmimim. Je me suis marié – avec la bénédiction du Rabbi – et j’ai été engagé par l’Armée de l’Air d’Israël comme ingénieur en électronique.

La Guerre de Kippour éclata en octobre 1973 ; durant les premiers jours de la guerre, l’armée de l’air subit de graves pertes : nos avions tombaient comme des mouches ! La raison en était que nous utilisions encore une technologie obsolète, dépassée, issue de la Guerre des Six Jours en 1967 alors que les Arabes étaient déjà en possession d’équipements modernes et sophistiqués fournis par les Russes. Heureusement, les Américains envoyèrent immédiatement des renforts, établirent un pont aérien et envoyèrent les fournitures nécessaires à l’Armée de l’air israélienne en vingt-quatre heures.

Mais après la fin de la guerre, il était clair qu’Israël devait se réapprovisionner avec les techniques les meilleures et les plus modernes. Je fus un des deux candidats choisis pour me renseigner sur les équipements qu’on pourrait éventuellement obtenir aux États-Unis. Alors que je me rendais à Austin, au Texas avec escale à New York, j’en profitais pour me rendre chez le Rabbi. Avant l’entrevue, j’écrivis une note demandant au Rabbi sa bénédiction pour mes études de Torah, pour mon action en faveur des Juifs de Russie et d’autres sujets personnels. Mais je ne mentionnai nullement la mission pour laquelle j’avais été envoyé aux États-Unis.

Quand j’arrivais dans le bureau du Rabbi, je tendis ma note, le Rabbi la regarda et me demanda immédiatement : «Que faites-vous aux États-Unis ?».

Je décrivis le but de ma visite et le Rabbi me posa de nombreuses questions – des questions très détaillées qui me firent réaliser qu’il me manquait des renseignements essentiels pour le succès de ma mission.

Bien sûr, je savais que le Rabbi avait obtenu des diplômes d’ingénieur mais ce détail n’intervenait absolument pas dans ma perception de lui comme Rabbi. J’étais vraiment surpris et impressionné qu’il puisse conduire une telle conversation, à un tel niveau technique.

De plus, il m’apprit quelque chose de fondamental : j’avais considéré les problèmes que nous tentions de résoudre avec une perspective trop courte. Mais le Rabbi me souleva pour ainsi dire à une hauteur bien plus grande et, de là, l’image était entièrement différente. Je réalisai alors qu’il y avait des trous dans l’image !

Bien que je crûs être un expert sur ces sujets, je n’avais pas de réponses à quelques-unes des questions qu’il soulevait : par exemple, il m’interrogea sur les fréquences qui concernent la location des radars, les technologies infrarouges, en particulier sur une technique évasive utilisée pour se débarrasser de missiles infrarouges. Ses questions étaient très techniques, du genre : «Quelle est la trace spectrale du moteur ?».

J’ignorais ce dont il s’agissait.

Les questions du Rabbi et son désir de ne laisser aucune pierre non retournée me firent examiner toute une série d’éléments auxquels je n’avais pas pensé ou que j’ignorais même complètement. Et cette négligence aurait pu résulter en des achats d’équipements de bien plus mauvaise qualité.

Ce n’est que plus tard que je réalisai ce qui s’était produit durant cette entrevue : le Rabbi avait assuré le succès de ma mission !

Le meilleur moyen pour lui de m’aider avait été exactement ce qu’il avait fait : analyser, examiner et m’amener à réaliser par moi-même où se trouvaient des erreurs. Et je reste persuadé que telle avait été son intention tout au long de cette conversation.

Yitzchak Rappaport – Magic Information Systems Inc. Toronto – JEM

Traduit par Feiga Lubecki