Yoav arriva d’Israël en 1989. On lui avait affirmé que les rues de New York étaient pavées d’or. Handicapé par les blessures qu’il avait subies durant la guerre, il pensait que la vie serait plus facile pour lui aux Etats-Unis.
Comme tous les immigrants, Yoav comprit bien vite que les routes n’étaient faites que de béton et non de diamants. Décidé à travailler, il proposait ses services partout où il voyait un écriteau proposant un job, mais on lui demandait à chaque fois : «Green Card», la «carte verte» qui permet à un étranger de vivre aux Etats-Unis. Non, il ne possédait pas le précieux sésame.
Le peu d’argent qu’il avait apporté fut rapidement dépensé et Yoav se vit forcé de dormir la nuit sur les bancs de Central Park.
Un soir, alors qu’il s’était écroulé sur un banc, affamé, fourbu et désespéré, un prêtre qui s’était spécialisé dans les clochards de Central Park lui donna une tape amicale dans le dos : «Est-ce que tu bois de l’alcool ?» demanda-t-il à Yoav qui répondit non. «Prends-tu de la drogue ?» continua-t-il. Encore une fois, la réponse était négative.
«Dans ce cas, viens avec moi. Tu pourras manger à notre soupe populaire et dormir dans notre foyer pour S.D.F.».
Cette nuit fut la première où Yoav se coucha avec l’estomac plein, après une bonne douche et dans un vrai lit, depuis bien des semaines. Au matin, le prêtre le salua cordialement et Yoav lui raconta comment il était venu d’Israël et combien il souhaitait travailler, mais il ne possédait pas la «Green Card».
- Je vais téléphoner à des organisations philanthropiques juives pour voir si elles peuvent t’aider. En attendant, voici vingt dollars et va voir si tu peux trouver quelque chose.
Chaque matin, Yoav demandait anxieusement au prêtre si une organisation juive avait répondu en sa faveur mais chaque fois la réponse avait été négative : «Dites-lui de retourner en Israël !» déclaraient la plupart d’entre elles.
Un matin, le prêtre eut une idée : «Il y a encore une organisation juive que je n’ai pas contactée : c’est les Loubavitch. Mais si eux me disent qu’ils ne peuvent pas t’aider, alors je te propose de te convertir au christianisme. En six mois, je t’obtiendrai une «Green Card» et un travail !»
Le prêtre téléphona au secrétariat du «National Comittee fort the Furtherance of Jewish Education» et il s’adressa à Rav J.J. Hecht, son dynamique directeur : «J’ai ici un des vôtres dans mon église ! annonça-t-il. C’est un Israélien, handicapé, sans argent et sans Green Card. Toutes les autres organisations juives s’en désintéressent. Et vous ?»
- Dites-lui de m’attendre devant l’église ! J’y serai dans quinzaine minutes !
Rav J.J. Hecht sortit en trombe de son bureau, demanda à sa secrétaire d’annuler tous ses rendez-vous, se précipita dans sa voiture et fonça vers l’église de Manhattan.
Il freina devant les marches de l’édifice. Yoav l’attendait avec le prêtre.
- J’ai besoin d’une Green Card ! annonça Yoav, sur un ton de défi.
- Tu as besoin d’une Nechama (une âme) ! répondit Rav Hecht, paternel.
- Il me promet une «Green Card» en six mois si j’accepte de me convertir !
- Je t’en procurerai une en trois mois ! affirma Rav Hecht avec assurance.
Yoav remercia le prêtre pour son aide, ramassa son maigre balluchon et entra dans la voiture de Rav Hecht, encore arrêtée au milieu de la chaussée. Quand ils arrivèrent dans le bureau du NCFJE, Rav Hecht expliqua à Yoav : «Quand tu as besoin de quoi que ce soit, quelle que soit l’heure, tu viens me voir !» puis il le présenta à quelques-uns de ses fils en ajoutant : «Ce sont mes fils et maintenant tu es comme l’un de mes douze enfants !»
En quelques jours, Rav Hecht trouva pour Yoav un appartement et du travail. Chaque semaine Yoav demandait où en étaient les formalités pour obtenir sa «Green Card».
«Je m’en occupe !» affirmait Rav Hecht.
Un jour, Yoav arriva au bureau pour parler avec Rav Hecht. La secrétaire l’informa, les larmes aux yeux, que Rav Hecht était décédé la semaine passée.
Une fois que Yoav se fut remis du choc, il demanda : «Et comment obtiendrai-je maintenant ma Green Card ?» La secrétaire ne put lui répondre.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, comme celle de centaines, peut-être de milliers de personnes dont la vie a pu être changée ou même sauvée grâce à mon grand-père, Rav J.J. Hecht de mémoire bénie. Mais j’ai rencontré Yoav quand il s’est fiancé à Alba, une de nos employées au jardin d’enfants de Brooklyn Heights. Alba m’avait demandé d’officier à son mariage, ce que j’avais volontiers accepté.
Yoav s’est mis à me raconter sa vie. Il parlait avec affection et respect de Rav J.J. Hecht, comment celui-ci lui avait sauvé la vie, physique et spirituelle. Quand je lui dis que c’était mon grand-père, il en fut ravi.
Et quand j’ai appris que Yoav n’avait toujours pas sa Green Card, je m’en suis personnellement occupé. D.ieu merci, j’ai pu aider Yoav à trouver du travail et, grâce au mérite de mon grand-père, il a obtenu sa Green Card.

Rav Aaron Leib Raskin
L’Chaim
traduit par Feiga Lubecki