En 1948, pendant la guerre d’indépendance, durant neuf longs mois, nous avons été détenus par les Jordaniens dans un camp au cœur du désert, Oum Jamal, sur la frontière jordano-irakienne. Nous étions un groupe de soldats et d’officiers israéliens de la division “Mirmach” qui avions pris part aux combats pour Jérusalem. Nous avons beaucoup souffert durant cette détention, mais il m’y est arrivé une histoire incroyable qui, d’ailleurs, ne s’est terminée que dix-neuf ans plus tard…
Tout a commencé un jour où je m’étais rendu à l’infirmerie pour un soin quelconque. Soudain un officier jordanien s’est approché de moi et m’a dit : “ Je te connais ! ” Surpris, je l’ai regardé, mais n’ai rien dit. Dans ce genre de situations, il vaut mieux se taire car qui sait ce qu’il préparait… Mais il continua : “ Tu viens de Kfar Etsione ! ”. Je continuai de me taire. 
“Tu t’es battu dans le monastère russe !” Je ne répondis pas.
“D’ailleurs tu t’es bien battu !”
A ce stade de la conversation, je ne pus plus me retenir et je lui demandai d’où il connaissait tous ces détails.
“Mais bien sûr ! Je me souviens de toi puisque j’ai combattu contre toi !”
Comment pouvait-il se souvenir de moi durant la bataille ? Mais il était sérieux. Il se mit à fouiller dans son sac et en retira une photo: j’y apparaissais en tenue de combat, en compagnie de quelques camarades, à Sodome où nous nous trouvions avant que nous n’ayons tenté de protéger Gouch Etsione.
D’où tenait-il cette photo ?
“Ton sac personnel est resté dans le monastère russe, expliqua-t-il, et c’est moi qui l’ai trouvé. Dans ce sac, j’ai trouvé cette photo et j’ai décidé de la prendre: peut-être un jour rencontrerai-je l’un des personnages figurant dessus pour la lui rendre. Quand je t’ai aperçu dans le camp, j’ai remarqué que tu ressemblais à l’un d’eux et j’ai donc décidé de te rendre la photo ! Voilà, elle t’appartient dorénavant !”
Je l’ai remercié. Puis une idée fulgurante, folle, me traversa l’esprit. “Je vous en prie, insistai-je, dans le sac que j’ai été obligé d’abandonner dans le monastère se trouvaient aussi mes Téfilines !”
“C’est quoi ?” demanda-t-il, étonné. Il ignorait ce qu’étaient des Téfilines et je ne voulais pas me lancer dans une description compliquée de cet objet de culte que j’avais reçu pour ma Bar Mitsva, à l’âge de treize ans. Je lui montrai donc un de mes camarades qui était justement en train de prier avec les Téfilines sur la tête et le bras gauche.
“Pas de problème, répondit l’officier jordanien; je te les rendrai la prochaine fois”. 
Mais il n’est pas revenu au camp de prisonniers ou, en tous cas, il ne m’a pas rapporté mes Téfilines.
Les années ont passé.
Lors de la guerre des Six Jours, en 1967, donc dix-neuf ans après la Guerre d’Indépendance, Tsahal libéra le village de Nabou Samuel. Les agents de renseignements du Mossad fouillèrent les maisons arabes à la recherche de papiers importants.
Dans un tiroir, ils trouvèrent un sac contenant des Téfilines ; il portait mon nom brodé avec la date de ma Bar Mitsva. Ils étaient persuadés que le sac appartenait à un des soldats tombés à l’époque lors des combats. Par chance, un de mes amis entra justement à ce moment dans la pièce et, en apercevant le sac de Téfilines, s’écria: “Yts’hak Kop ! Je le connais ! Il est vivant !”
Quelques jours plus tard, il profita d’une courte permission pour me rendre visite avant même de rentrer chez lui. Quand il me montra le sac de Téfilines, je le saisis avec émotion et n’arrêtai pas de l’embrasser. Je ne peux décrire ma joie de retrouver enfin mes Téfilines après presque vingt ans, ces Téfilines qui me rappelaient aussi tous mes camarades qui n’étaient pas revenus…
Il s’avéra qu’à la fin de la guerre d’Indépendance, l’officier jordanien s’était installé dans un village proche de Nabou Samuel et avait gardé le sac de Téfilines, en souvenir des combats qu’il avait menés dans le Gouch Etsione. 

L’histoire de mes Téfilines fut rapportée dans de nombreux journaux israéliens.