Quelques jours avant le congrès international des émissaires du Rabbi, en octobre 1992, quelqu’un nous proposa des billets particulièrement bon marché pour New York. Avec d’autres, je fus alléché par cette offre et nous avons confié l’argent à cet homme. Le voyage était prévu pour le jeudi 23 ‘Hechvan, au milieu de la nuit. Le jour prévu s’approchait et nous n’avions toujours pas reçu les billets. Finalement, on nous annonça que ceux-ci seraient distribués au comptoir à l’aéroport Ben Gourion de Lod avant le départ.
Comme vous l’avez déjà compris, à notre arrivé à l’aéroport, il s’avéra que la compagnie aérienne avait bien encaissé l’argent mais les avions étaient remplis – sans nous ! Certains d’entre nous tentèrent d’acheter des billets auprès d’El Al mais cet avion était aussi plein.
Comment décrire notre déception ? Bien entendu, aucun d’entre nous ne pouvait imaginer que c’était là le dernier congrès auquel le Rabbi participerait mais de toute manière, nous attendions avec impatience ce rassemblement unique en son genre. Comment imaginer qu’après tous ces efforts nous ne passerions pas Chabbat auprès du Rabbi ?
Nous avons insisté auprès de l’homme qui nous avait fait miroiter monts et merveilles pour qu’il trouve une solution. Il téléphona à droite et à gauche et, finalement, la compagnie TWA promit de nous réserver des places dans l’avion qui partirait le lendemain matin, à 7 heures. Après un rapide calcul, nous avons accepté : en partant à 7 heures de Tel-Aviv, nous devrions arriver vers midi (heure locale) à New York, ce qui était acceptable. Mais ceci ne serait confirmé qu’à 4 heures du matin quand le comptoir serait ouvert par les employés à Lod.
Passer une nuit dans la salle d’attente de l’aéroport n’est pas spécialement passionnant, mais nous avions de quoi étudier et puis… des ‘Hassidim réunis ensemble ont toujours de quoi parler et s’encourager.
A quatre heures, les employés de TWA nous expliquèrent qu’ils devaient d’abord s’occuper des passagers inscrits avant nous. Enfin, nous avons pu nous installer dans l’avion. C’est là que nous avons rencontré encore d’autres Chlou’him et, parmi eux, Rav Shimon Lazaroff du Texas et Rav Yossef Gerlitzky de Tel-Aviv.
L’avion tardait à décoller.
On était vendredi, Chabbat approchait, même en tenant compte du décalage horaire. D’abord on nous annonça un retard d’une heure, puis d’une heure supplémentaire. A 10 heures, l’avion était sur le point de décoller, nous dit-on.
C’est alors qu’on nous précisa un «petit détail technique» : à cause d’un manque d’essence, notre avion serait obligé d’effectuer un petit détour par Montréal ! Cela signifiait tout simplement qu’il était impossible d’arriver à New York à temps pour Chabbat. Après tous ces efforts ! Que faire maintenant ?
Deux passagers décidèrent de ne pas prendre de risque et demandèrent à descendre de l’avion.
Nous avons décidé de rester. Au pire des cas, nous passerions Chabbat à Montréal et regagnerions New York après Chabbat. Nous avons donc demandé aux deux passagers de prévenir la communauté Loubavitch de Montréal de se préparer à nous accueillir en catastrophe.
A 10 h 30, l’avion décolla tandis que nous n’osions pas nous demander si nous n’avions pas commis une grosse erreur.
Au cours du voyage, nous nous sommes rassemblés autour de Rav Lazaroff, un homme particulièrement agréable et toujours joyeux. Nous avions bien besoin de lui pour nous remonter le moral. A un moment donné, le commandant de l’avion passa parmi les passagers. C’était un Américain typique, âgé d’une cinquantaine d’années, sympathique et souriant. Quand il arriva à notre hauteur, Rav Lazaroff l’aborda avec humour comme à son habitude : «Dites-moi, pilote, je sais que dans une voiture, on circule à vitesse moyenne mais qu’il existe des dispositifs qui permettent d’aller bien plus vite. Je suis sûr que cela existe aussi dans un avion. Nous sommes des émissaires du Rabbi de Loubavitch et nous devons absolument atterrir à New York avant Chabbat. Faites quelque chose pour nous !»
Le pilote éclata de rire mais soudain Rav Lazaroff devint sérieux : «Ecoutez ! Si vous parvenez à nous amener à New York à l’heure, je vous promets que vous vivrez au moins quinze années de plus que prévu!». Il lui tendit la main : «Affaire conclue !» Le pilote rejoignit sa cabine avec un large sourire et nous nous réjouissions de cette plaisanterie.
Deux heures plus tard, le pilote raconta par micro à tous les passagers ébahis la conversation qu’il avait eue avec «un groupe de rabbins» et il annonça que les vents étaient de notre côté : l’avion avait si bien progressé qu’il serait sans doute possible d’éviter le détour par Montréal !». Tous les passagers applaudirent spontanément tandis que nous regardions - stupéfaits - Rav Lazaroff qui ne semblait pas très bien comprendre ce à quoi avait mené sa propre plaisanterie. Les autres passagers le regardaient également avec respect et Rav Lazaroff se coula bien vite dans l’habit d’un faiseur de miracles…
Au bout d’une heure, le pilote confirmait la bonne nouvelle tout en demandant au «rabbin» de confirmer sa promesse de quinze années de vie supplémentaires ! D’une voix ferme, Rav Lazaroff proclama : «Avec la force du Rabbi de Loubavitch, je promets ces quinze années de vie supplémentaires à notre valeureux pilote !»
Peu avant l’atterrissage, le pilote prit encore une fois la parole : «Je sais que vous avez tous envie de sortir rapidement de l’avion mais je vous demanderais de laisser d’abord sortir ces rabbins qui doivent arriver chez leur Rabbi avant l’entrée du Chabbat !»
Les passagers, ravis, acceptèrent de bon cœur et applaudirent le pilote à tout rompre. A ce moment-là, nous avons remarqué que certains passagers juifs – qui jusque-là ne portaient rien sur la tête – avaient discrètement mis une Kippa, sans doute pour profiter de notre descente prioritaire…
Nous sommes donc sortis les premiers ; les bagages arrivèrent eux aussi très vite et le contrôle des passeports fut très rapide. Nous arrivâmes à Crown Heights quelques minutes avant Chabbat…
Même un envoyé du Rabbi peut accomplir de véritables miracles !

Rav Menachem Brod
Kfar Chabad