Les visites quotidiennes du Rabbi

     Mon fils, auquel j’ai fait allusion ci-dessus, que D.ieu lui accorde de longs jours et de bonnes années, vient de repartir. Il me rend visite chaque jour(317) et que la mention de tout cela ne me cause pas de tort, selon l’expression des femmes. Tous les vendredis, il vient me voir deux fois. Il me rend la vie bien meilleure et il me permet de me sentir mieux, comme on dit ici.

     La pièce dans laquelle je réside actuellement n’est pas très grande(318). Mais, d’une certaine façon, quand il est là, elle me semble plus spacieuse. A ce moment-là, je ne ressens plus différents éléments qui, par ailleurs, suscitent mon insatisfaction. Je vis par la force de ses visites, par la force de sa noble abnégation et de sa hauteur morale, jusqu’à la visite suivante, soit une attente de près de vingt-quatre heures.

     Je suis, cependant, peinée de constater qu’il ne se sent pas bien. J’observe sur son visage une profonde fatigue, bien qu’il fasse de grands efforts pour me montrer que ce n’est pas le cas.

     Tout d’abord, il travaille énormément. En outre, il est confronté à des situations qu’il ne peut pas supporter, du fait de la vérité pure qu’il porte en lui, parce qu’il ne peut pas et ne veut pas avoir recours aux ruses et aux stratagèmes.

     Bien entendu, tout cela a un effet sur sa personne et la sérénité de son esprit en est troublée. Et, il surmonte cette situation uniquement parce qu’il a l’esprit large.

     Je prie D.ieu pour qu’il ait une bonne santé et de longs jours.

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Le ministre de l’éducation du Rabbi Rayats

     Je me souviens de mon fils, avant qu’il nous ait quittés(319). Je ne l’ai pas vu pendant pratiquement vingt ans. A l’époque, le Rabbi(320), dont la mémoire est une bénédiction, qui devint par la suite son beau-père, avait immédiatement reconnu ses qualités. Il ne lui permettait pratiquement pas de le quitter. Il faisait sans cesse appel à lui, toujours pour un autre objet.

     Le Rabbi a dit qu’il le nommait ministre de la culture. Bien souvent, lorsque l’érudition de la Torah et des connaissances générales étaient conjointement nécessaires, pour un certain projet, c’est lui qu’il chargeait de le mettre à exécution(321).

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Je ne retrouverai jamais un tel gendre là-bas

     Lorsque le Rabbi(320) transmit(322) la liste des personnes pour lesquels il sollicitait un visa de sortie de Russie, il inscrivit également le nom de mon fils M. M., que D.ieu lui accorde de longs jours et de bonnes années. Pour chacun de ceux qui figuraient dans la liste, le Rabbi justifia sa demande, d’une manière spécifique. Les préposés furent satisfaits par toutes les justifications qui leur furent communiquées.

     En revanche, quand ils virent le nom de mon fils, ces préposés demandèrent :

« Pourquoi avez-vous besoin de lui ? ».

Le Rabbi répondit qu’il devait épouser sa fille(323).

Ils demandèrent :

« Est-il nécessaire de faire venir d’ici celui qui épousera votre fille ? ».

Le Rabbi leur répondit, avec détermination :

« Je ne retrouverai jamais un tel gendre là-bas ».

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2 Nissan 5712(324)

Le décès du Rabbi Rachab, dont l’âme est en Eden, en 5680(325)

     Ce jour me rappelle, à chaque fois, une situation différente. Trente-deux années se sont écoulées, me semble-t-il, depuis le décès du Rabbi(326), dont l’âme est en Eden. Je me souviens de ce qui s’est passé quand cette nouvelle nous est parvenue. A l’époque, les moyens de communication dont on disposait, par la poste ou par le train, étaient très peu satisfaisants. Malgré cela, la nouvelle de ce décès nous est parvenue le jour même.

     Je n’ai pas de mots pour décrire l’effet que cette nouvelle a eu sur nous. Nous avions tous l’impression que la vie s’était arrêtée. C’est ce que l’on ressentait dans notre maison, dans les maisons de nos proches et, bien entendu, dans la plupart des maisons des ‘Hassidim. Mon mari, dont la mémoire est une bénédiction, a pleuré amèrement, à voix haute, ce qui n’avait pratiquement jamais été le cas, au préalable.

     La nouvelle a immédiatement été connue par tous ceux que j’ai cités, d’une certaine façon, je ne sais pas comment. Tous sont aussitôt venus dans notre maison, où plus de vingt personnes ont passé les sept jours du deuil, dans une atmosphère lourde et abattue. Tous les présents pleuraient amèrement.

     Je me souviens, à ce sujet, qu’un ingénieur, qui s’appelait Y. L. Korin, est venu dans notre maison. Cet homme était loin d’éprouver la moindre attirance pour la religion. Il n’était pas du tout pratiquant. Mais, quand il vit à quel point étaient brisés tous ces hommes, des jeunes et des vieux, avec, parmi eux, mon mari qu’il connaissait pour son caractère fort, selon sa propre expression, il a pleuré avec eux.

     Il m’a dit, à ce propos, que, certes, il n’était pas pratiquant du tout, mais que, en apprenant la disparition de ce lieu saint pour Israël, auquel les Juifs étaient si profondément attachés, il avait pleuré avec eux et il avait également ressenti cette perte. Même après avoir quitté notre maison, alors qu’il marchait dans la rue, il ne parvenait toujours pas à se calmer. Il pleurait d’une manière hystérique.

11 Sivan 5712(324)

     J’ai noté cette date, mais je n’ai rien écrit, ce jour-là. Cette date correspond au cinquante-deuxième anniversaire de mon mariage(327). J’avais quelque chose sur le cœur et c’est pour cela que je voulais écrire, mais au final, je ne l’ai pas fait.

27 Tamouz 5712(324)

     Hier, on a béni le Roch ‘Hodech Mena’hem Av. Le vingt de ce mois, ce sera déjà le huitième anniversaire du décès de mon mari, dont la mémoire est une bénédiction.

     Plus le temps passe, plus je ressens profondément la difficulté de cette perte. Mon fils, que D.ieu lui accorde de longs jours et de bonnes années, fait tout ce qui est en son pouvoir, et même bien plus que cela, pour améliorer toutes mes conditions de vie, pour que je me sente bien. Mais, à ma grande douleur, et je multiplie les efforts pour qu’il ne s’en aperçoive pas, ce n’est pas ce qui se passe, concrètement.

Veille de Tichea Be Av 5712(324)

     Je me souviens, contre ma volonté, d’une veille de Tichea Be Av en laquelle nous avons partagé le repas précédant le jeûne, en présence de très nombreuses personnes, dans une ambiance très chaleureuse et familiale. Puis, à la veille de Tichea Be Av, les années suivantes, nous prenions ce repas uniquement nous deux, dans cette cabane de glaise(328). Notre situation était loin d’être bonne, mais, au moins, on ne ressentait pas la solitude(329).

     A l’heure actuelle, mon fils, que D.ieu lui accorde une longue vie en bonne santé et la réussite, est de plus en plus occupé. Il porte, sur ses épaules, une responsabilité de plus en plus large. Je n’ai donc pas le cœur de lui prendre de son temps. Or, je n’ai personne d’autre que lui.

Notes

(316) 1951.

(317) Le Rabbi avait coutume de rendre visite à sa mère, chaque jour, en fin d’après-midi et de s’entretenir avec elle, pendant quelques temps.

(318) A l’époque, la Rabbanit habitait à Kingston avenue, au coin de Lincoln street.

(319) Le Rabbi quitta la Russie à la fin du mois de Tichri 5688 (1927).

(320) Le Rabbi Rayats.

(321) On consultera, à ce propos, les additifs au Séfer Ha Si’hot 5680-5687, à la page 282, dans la note 4.

(322) Aux autorités russes.

(323) La Rabbanit ‘Haya Mouchka, dont l’âme est en Eden et dont le mérite nous protègera.

(324) 1952.

(325) 1920

(326) Le Rabbi Rachab.

(327) Célébré en 5660 (1900).

(328) En exil à Chiili, comme la Rabbanit l’indiquait au préalable.

(329) Car Rabbi Lévi Its’hak, son mari, vivait encore.