Questions de la Haftara :
Harassement de la part du N.K.V.D.

     Pendant la fête de Chavouot, l’état de santé de mon mari s’était déjà considérablement dégradé, mais il s’est, néanmoins, rendu à la synagogue. Là, il a pris la parole, devant les présents, pendant une longue heure. Selon ce que l’on m’a rapporté, les propos qu’il a tenus étaient incisifs et tranchants. Les présents les ont écoutés avec beaucoup de plaisir. Pendant quelques temps, tous ont oublié l’endroit ils se trouvaient, le pays dans lequel ils vivaient, les lois auxquelles devaient se conformer les Juifs respectant les Mitsvot. Ils ont alors été portés dans un autre monde.

     Simultanément, tous étaient également emplis de crainte, car, pratiquement en chaque endroit où il y avait un rassemblement de Juifs, et a fortiori en chaque lieu de prière, se trouvaient, parmi ceux qui priaient, des hommes qui communiquaient au N.K.V.D. tout ce qu’ils voyaient et tout ce qu’ils entendaient. Aussi désagréable que cela puisse être de formuler une telle affirmation, c’est pourtant bien la stricte vérité. Et, de fait, il s’est avéré, par la suite, que cela avait effectivement été le cas, en l’occurrence.

     Chaque jour, des représentants des autorités se rendaient chez l’un de ceux qui étaient actifs, parmi les dirigeants de la synagogue. Ils venaient, chez chacun d’eux, sous un quelconque prétexte, toujours différent, l’un, pour ce qui concernait ses affaires et l’autre, à propos de la nature des documents qui l’autorisaient à résider dans cet endroit.

     Ils sont venus chez nous également, nous poser une question « de la Haftara », comme on dit. On voyait bien qu’ils cherchaient quelque chose, sans toutefois indiquer clairement quel était l’objet de leur recherche. Il est impossible de décrire la terreur qui nous a saisis, la tension nerveuse que nous avons ressentie, à ce moment-là. A l’époque, mon mari était déjà alité, la plupart du temps. C’est donc de son lit qu’il a répondu à leurs questions.

     Une fois, on nous a pris nos deux passeports. J’ai donc dû me rendre dans le bureau de la responsable du département des passeports, car mon mari n’avait pas le droit de se montrer, là-bas. J’ai emporté avec moi ce qu’il fallait(178) et quelques objets, en cas de besoin. Elle a lu les noms figurant dans les documents et, soudain ceux-ci sont devenus : « cacher » !

     L’attente, jusqu’à l’obtention de la réponse, m’a causé une peur immense. Et, même par la suite, la crainte demeurait que le dossier parvienne entre les mains d’un d’autre fonctionnaire, qui n’avait rien reçu. Sa réponse aurait alors pu être radicalement différente !

     C’est donc dans cette atmosphère que nous avons vécu. Parmi tous les Juifs qui se trouvaient là-bas, il n’y en avait pratiquement pas un seul qui n’ait pas commis de « faute ». Et, bien entendu, après de telles visites, c’était toujours la terreur.

     Je me souviens d’un événement survenu en 1939, alors que je recherchais mon mari, sans savoir où il se trouvait(179). Je suis donc parvenue, une fois, dans le bureau d’un des hauts fonctionnaires du N.K.V.D., qui était situé près de la cuisine et du réfectoire dans lequel tous ces officiers prenaient leurs repas. C’est également là qu’ils recevaient les aliments qui leur étaient distribués, afin qu’ils les emportent chez eux.

     Soudain, un Juif est sorti de la cuisine, portant à la main les aliments qui lui avaient été attribués. Cet homme était venu chez nous, à Sim’hat Torah et il s’était réjoui, avec tous les présents. Or, ceux qui ne travaillaient pas pour le N.K.V.D. ne pouvaient rien recevoir de ce bureau(180). Ce Juif m’a remarqué, pendant qu’il avançait et il a aussitôt baissé les yeux. Cela m’a marqué.

Pacification de la controverse entre les ‘Hassidim et leurs opposants :

Un Rav ‘hassidique et un érudit de la partie révélée de la Torah

     Mon mari, sans tenir compte de tout ce qui vient d’être décrit, augmentait sans cesse l’intensité de son propos. Après tout ce qu’il avait vécu, après avoir été totalement coupé des Juifs, sans la moindre possibilité de parler de Torah et de Judaïsme avec qui que ce soit, il s’était attelé à sa tâche avec enthousiasme et avec beaucoup d’intégrité. De fait, il exerçait une profonde influence sur l’assemblée et il en concevait beaucoup de plaisir.

     Les Juifs qui n’étaient pas ‘hassidiques ont alors affirmé que, pour la première fois, ils rencontraient un Rav ‘hassidique qui était aussi un grand érudit de la partie révélée de la Torah. Très souvent, ils venaient le voir, en lui manifestant un profond respect et une soumission inhabituelle. Ils écoutaient tous ses propos.

     C’est ainsi que ceux qui venaient chez nous appartenaient aux deux tendances à la fois. Or, se trouvant dans notre maison, ils oubliaient leur controverse. A la synagogue également, c’est mon mari qui résolvait toutes les divergences. En peu de temps, l’endroit s’est transformé en un rassemblement de Juifs qui étudiaient la Torah et qui se consacraient aux besoins communautaires, dans toute la mesure de ce qui était possible.

     C’est de cette façon que notre maison est devenue, pour ainsi dire, le point de ralliement de tous ces Juifs. Ceux-ci venaient chez nous, le Chabbat et les fêtes, pour échanger des paroles de la Torah, ou bien, tout simplement, pour discuter.

L’avancement de la maladie :

« Ce que l’on mérite »

     Mon mari a accompli tout cela malgré sa maladie, qui progressait à un rythme très rapide. Pendant la fête de Chavouot, quand il est arrivé à la synagogue, il n’est même pas parvenu à ôter son manteau, tant il était faible et agité. L’un de ceux que nous connaissions l’accompagnait, car il ne voulait pas le laisser faire le chemin seul. Mon mari ne tenait qu’au prix d’un immense effort, à la fois physique et moral.

     Un Chabbat, quelques semaines plus tard, plusieurs dizaines de Juifs sont venus écouter son discours ‘hassidique. A l’époque, mon mari avait même des difficultés à conserver ses vêtements sur son corps. Il est donc resté assis, ne portant que son Sirtouk(181). Cette situation était très inconfortable pour lui et il a demandé aux présents d’excuser son accoutrement. Il a dit :

« Un homme n’a que ce qu’il mérite, à la mesure de ses efforts ».

     Dans quel domaine pensait-il que ses efforts n’avaient pas été suffisants ? Pour ma part, très sincèrement, je ne le comprends pas. Mais, malgré tout cela, il a pris la parole pendant plusieurs heures. Et, quand on ne regardait pas son visage, ni le vêtement qu’il portait, on pouvait réellement penser qu’il était en parfaite santé.

La visite d’un professeur de Leningrad :

« Qu’avaient-ils contre moi ? Qu’ont-ils fait de moi ? »

     Un médecin a suivi mon mari, pendant toute cette période et il venait le voir très souvent. A l’époque, deux autres médecins le suivaient également. Mais, l’on a commencé à penser qu’il fallait faire venir un professeur, faisant autorité à Leningrad, pour qu’il ausculte mon mari(182). Cet homme était très compétent, mais il était pratiquement impossible d’obtenir sa visite. Il travaillait dans le plus grand hôpital de la ville, qui était un hôpital militaire.

     Au final, on a trouvé quelqu’un qui le connaissait. Avant tout, on a apporté à ce professeur, chez lui, ce qu’il voulait recevoir, non pas de l’argent, mais ce qui vaut de l’argent. En outre, ce professeur était un chrétien croyant, très pieux et, quand on lui a indiqué qui était le malade, il a promis qu’il viendrait, bien qu’il n’en ait pas eu le temps et qu’il n’ait même pas été autorisé à le faire.

     Après que l’on ait fixé tous les détails avec ce professeur, un étudiant s’est rendu chez lui. Celui-ci fréquentait notre maison et, en outre, il suivait les cours de ce professeur, dans l’institut médical local. Il était accompagné par la personne(183) qui lui avait apporté, quelques jours plus tôt, ce dont j’ai parlé ci-dessus(184). Le professeur est donc venu chez nous, avec ces deux personnes.

     Le professeur a écouté la description de l’état de mon mari et il a immédiatement diagnostiqué la maladie. Il a ausculté l’endroit en lequel et ce qui se passait alors était très clair. Quand il a vu le regard du professeur et sa manière de considérer son état, mon mari a tout de suite compris que le cas était sérieux. Il a éclaté en sanglots amers et, faisant allusion au N.K.V.D., il s’est exclamé :

« Mais, qu’avaient-ils contre moi ? Qu’ont-ils fait de moi ? ».

     Mon mari a ensuite raconté au professeur ce qu’avait été sa vie. Le professeur a affirmé, par la suite, qu’il rencontrait un tel patient pour la première fois, bien qu’il ait pratiqué la médecine pendant de très nombreuses années. A nous, bien entendu, le professeur n’a pas révélé ses conclusions, mais ceux qui nous entouraient en savaient déjà beaucoup, sur son état. Quant à nous, nous avons voulu nous convaincre nous-mêmes que ce n’était pas le cas.

Notes

(178) Vraisemblablement de quoi acheter ce fonctionnaire.

(179) Comme le texte le relatait au préalable.

(180) Cela voulait donc dire que ce Juif était un officier de N.K.V.D., venu espionner Rabbi Lévi Its’hak chez lui, à Sim’hat Torah.

(181) Le manteau noir du Chabbat.

(182) Dans les notes d’un ‘Hassid, qui a rédigé ce qu’il avait entendu de madame Sima Gurvitch – Finkelstein, laquelle avait été très active pour venir en aide à Rabbi Lévi Its’hak et à la Rabbanit, comme l’explique le Toledot Lévi Its’hak, tome 3, à partir de la page 721, il est indiqué ceci : « Quand la maladie de Rabbi Lévi Its’hak a empiré, j’ai proposé de faire venir le professeur Tchilyatnikov, de Leningrad, qui était un grand spécialiste. Grâce à mes relations et à celles de quelques autres personnes, nous sommes parvenus à le faire venir et il a examiné le Rav. Ce médecin a immédiatement diagnostiqué la maladie et il a identifié sa cause. Par la suite, il a indiqué que son état était très critique, mais il a, néanmoins, tenté de le soigner ».

(183) Il s’agit vraisemblablement de madame Sima Gurvitch – Finkelstein, précédemment citée, elle-même.

(184) Les objets remis à ce professeur pour l’acheter, ce que le texte désignait, ci-dessus, par l’expression : « ce qui vaut de l’argent ».