Le Prince, ayant quitté le Palais Royal a longtemps voyagé. Ainsi a-t-il connu la lenteur des chemins poudreux. Bientôt, la poussière a jeté son ombre triste sur la magnificence originelle de son habit. Puis, s’éloignant toujours plus, il a connu les rudes habitants des terres battues des vents et sa voix s’est imprégnée de leurs accents rauques. Plus loin, chassé toujours plus loin par la succession des jours, par la chaleur des étés et la froidure des hivers, étranger de plus en plus, oublieux de l’ailleurs, de l’autrefois, de la splendeur du passé près de son Père, le Roi.

Et cependant, quand tout semble accompli, les dés jetés, ce cri en lui qui monte et qui déborde, ce cri infini. Ce cri et la course fiévreuse, le retour haletant vers la maison de la jeunesse, vers le Palais.

Hélas ! Qui, dans le paysan en haillons, à l’accent grossier, aux traits déformés par le pesant labeur et les lourdes nourritures pourrait encore reconnaître le Prince ?

Aux portes du Palais, écartant les manants, veillent de sombres gardes aux bruissantes cottes de maille. Ils chassent le paysan fou qui se dit prince ! Du Prince, le cœur saigne : le retour lui serait donc interdit.

A quelque temps de là, dans la ville, une nouvelle se répand vite : le Roi quittant son Palais va se rendre à la rencontre de ses sujets.

Jour de liesse ! Dans la foule le Prince est là, au premier rang. Un espoir vertigineux l’habite. Le Roi, lui, reconnaîtra son fils, l’enfant aimé des anciennes saisons. Sous la gangue des mauvais jours accumulés, il saura voir le Prince. Mais le Roi au regard absent, le souverain chargé du poids d’une vieille tristesse s’avance sans même apercevoir l’homme qui s’agite comme enseigne au vent. Déjà il est passé, déjà il lui tourne le dos, déjà il s’éloigne.

Chez le Prince, la douleur est alors montée de la profondeur la plus profonde. Elle est devenue un cri qui a déchiré l’espace. Le Roi s’est arrêté. Son corps, sa chair, au-delà de toute raison ont reconnu l’appel. Une joie immémoriale illumine le visage du Monarque tandis qu’il se tourne vers l’enfant retrouvé, lui tend les bras, le conduit dans le somptueux carrosse vers les portes du Palais.

Ainsi sommes-nous, aux Jours solennels. Princes et Princesses emportés par le tourbillon de la vie loin, si loin parfois, de la table du Roi des rois notre Père, comment lui dire notre Retour quand nous avons perdu jusqu’au sens des mots ? Au-delà des phrases articulées, du sens ordonné, il reste alors à faire entendre le cri que chaque âme juive porte au plus profond (ou au plus haut) d’elle-même. Ce cri, comme celui du Choffar, ne connaît pas d’obstacle qui puisse l’arrêter. Il  atteindra le Père miséricordieux Qui, venu à leur rencontre, attend chacun de Ses enfants.

Barou’h Ziegelman