Le verset Chela'h 13, 16 dit : «Moché appela Hochéa, fils de Noun, Yochoua(1)». Cette Paracha relate de quelle façon douze explorateurs furent envoyés en Erets Israël(2), puis les tristes conséquences de ce qu'ils firent(3). Avant leur départ, Moché changea le nom de Hochéa en Yochoua. Et, la Guemara explique(4) qu'il introduisit ainsi, de manière allusive, la prière qu'il formula pour lui : «Que D.ieu te sauve du complot des explorateurs(5).

Ce qui vient d'être rapporté soulève une double question. Car, il est dit, à propos des explorateurs, quand ils furent envoyés, que : «à l'époque, ils étaient vertueux»(6). Du reste, si cela n'avait pas été le cas, il est bien évident que Moché ne les aurait pas envoyés. Pourquoi donc pria-t-il pour que Yochoua soit préservé de leur mauvaise influence(7) ? Et, si, malgré tout cela, Moché les suspectait, à ce moment-là, pourquoi pria-t-il uniquement pour Yochoua et non pour tous les explorateurs(8) ?

L'explication est la suivante. La faute commise par les explorateurs ne fut pas aussi évidente qu'il y paraît, à première vue. Ces hommes étaient eux-mêmes des chefs d'Israël, dignitaires du peuple, des Tsaddikim. En fait, leur erreur fut une conséquence indirecte de leur manière de servir D.ieu.

On sait, en effet, qu'il existe, chez les Tsaddikim, deux formes de service de D.ieu. Certains d'entre eux s'emploient à affiner leur propre personnalité(9), en se détachant de ce monde et de ses besoins(10). D'autres, en revanche, se consacrent aux besoins de leur génération(11).

La première voie ne convient qu'à quelques Tsaddikim, ceux qui, se trouvant dans ce monde, restent parfaitement attachés à D .ieu, comme lorsqu'ils étaient là-haut (12). Ce fut le cas, par exemple, de Rabbi Chimeon Ben Yo'haï(13), qui déclara : «Comment peut-on labourer et planter ? Qu'adviendra-t-il de la Torah ?»(14). Mais, faisant référence à cette manière de servir D.ieu, la Guemara conclut : «Nombreux sont ceux qui ont fait comme Rabbi Chimeon Ben Yo'haï, mais ils n'ont pas connu la réussite»(15).

La seconde voie s'ouvrant devant les Tsaddikim est celle des dirigeants du peuple, qui ne se concentrent pas sur leur perfection personnelle, mais sur le peuple et ses besoins. Ce fut le cas de Moché, notre maître et ceci le conduisit à faire don de sa propre personne également pour les impies du peuple d'Israël, qui firent le veau d'or.

En outre, le Midrash explique(16) aussi, à ce sujet, que Moché resta dans le désert, avec la génération qui y fut enterrée(17), afin que, dans le monde futur, ses contemporains revivent en même temps que lui et en reçoivent également leur part. C'est bien là un chef qui se sacrifie pour sa communauté(18).

La qualité essentielle d'un tel Tsaddik est sa soumission la plus totale au Saint béni soit-Il et à Sa Volonté. Il ressent profondément le désir divin de faire résider Sa sainteté dans ce monde, au sein de l'existence courante. Il renonce donc à son élévation personnelle, dans le domaine de la sainteté et il se consacre à l'accomplissement de cette Volonté de D.ieu dans le monde (19). Les explorateurs, qui, à l'époque, étaient encore vertueux, appartenaient à la première catégorie de Tsaddikim et ils étaient séparés des domaines de ce monde, ne recherchaient que leur élévation morale. Leur tendance naturelle les conduisait donc à vouloir rester dans le désert, où l'on ne subit pas le tumulte du monde, qui fait obstacle au service de D.ieu. Cependant, leur conception les conduisit à la faute(20) et ils voulurent empêcher les enfants d'Israël de se rendre en Terre sainte(21).

Yochoua, pour sa part, était différent de tous les autres explorateurs. De fait, il était appelé, par la suite, à prendre la succession de Moché, notre maître, à la tête de tout le peuple d'Israël. Il avait, de ce fait, supprimé toute volonté personnelle pour se consacrer à la Volonté divine(22). En conséquence, Moché ne pria que pour lui et il demanda : «que D.ieu te sauve du complot des explorateurs»(23).

De cette façon, Moché prévenait Yochoua que la voie qu'il empruntait lui-même n'était pas celle des autres explorateurs et qu'il devait, pour sa part, se consacrer au peuple et à ses besoins(24). Il lui conféra, de la sorte, la force de rester sur ses gardes, de ne pas suivre ses collègues qui avaient fait le choix de servir D.ieu en se coupant du monde, ce qui les avaient conduits à médire d'Erets Israël(25).

(Discours du Rabbi, Likouteï Si'hot, tome 2, page 320)

Notes :
(1) Il changea son nom, avant qu'il accompagne les autres explorateurs.
(2) Dans le but de déterminer les moyens les plus aisés de conquérir le pays, selon les voies naturelles.
(3) Notamment, la punition de toute une génération, qui mourut dans le désert, sans entrer en Terre sainte.
(4) Dans le traité Sotta 34b.
(5) Les dix autres, à l'exception de Kalev.
(6) Selon le commentaire de Rachi sur le verset Chela'h 13, 3.
(7) D'emblée, avant même leur départ.
(8) Ou encore, pourquoi n'annula-t-il pas purement et simplement la mission qu'il leur confiait, s'il pensait qu'ils n'étaient pas aptes à l'assumer ?
(9) La mission qui leur est confiée, dans ce monde, est de parvenir à la plus haute perfection qui soit. En revanche, ils n'ont aucun devoir spécifique envers leurs prochains.
(10) On verra, à ce propos, le Likouteï Torah, Parchat Vaykra, à la page 18a.
(11) Ceux-là ont, clairement, une mission envers les autres. Possédant eux-mêmes la perfection du Tsaddik, ils sont chargés de réaliser celle de leurs congénères.
(12) Du fait de leur immense élévation morale.
(13) Qui, de ce fait, fut en mesure de mettre en pratique les Mitsvot uniquement de manière spirituelle, pendant les années qu'il passa dans la grotte, alors qu'il fuyait les persécutions romaines, avec son fils.
(14) Dans le traité Bera'hot 35b. En d'autres termes, comment interrompre son étude pour se consacrer aux besoins du monde ? En effet, de tels Tsaddikim possèdent une telle élévation que : «leur travail est effectué par les autres».
(15) Tant une telle pratique est réservée à une élite.
(16) Midrash Bamidbar Rabba, chapitre 19, au paragraphe 3.
(17) A cause de la faute des explorateurs.
(18) Son désir d'entrer en Erets Israël était, en effet, particulièrement intense, au point qu'il formula cinq cent quinze prières devant D.ieu, pour en obtenir la satisfaction, comme le rapporte la Parchat Vaét'hanan.
(19) La phase essentielle de son service de D.ieu est la relation entre D.ieu et l'homme.
(20) Car, ce n'est là le service de D.ieu que d'une élite, en aucune façon celui de tout le peuple d'Israël.
(21) On consultera, sur ce point, le Likouteï Torah, Parchat Bamidbar, à la page 36d.
(22) C'était la préparation indispensable pour pouvoir succéder à Moché.
(23) Il ne pouvait pas en faire de même, en revanche, pour les autres explorateurs, puisque telle était effectivement leur manière de servir D.ieu.
(24) Dans l'optique de ses responsabilités futures.