Israël s’installa à Chittin ; et le peuple commença à se divertir avec les filles de Moav. Et elles incitèrent le peuple à offrir des sacrifices à leurs dieux… Et Israël se joignit au culte de Baal Péor… (Nombres 25 :1-3)

La femme d’un idolâtre était un jour très malade. Ce dernier fit un vœu : “ si ma femme guérit, elle ira adorer chaque idole de ce monde ”. Elle guérit et se mit à célébrer chaque idole du monde. Quand elle arriva au culte de Péor, elle demanda à ses prêtres : “ comment sert-on ce dieu ? ” Ils lui répondirent : “ on mange des légumes verts et on boit de la bière et puis l’on fait ses besoins devant l’idole ”. Le mari déclara : “ je préfère que ma femme retourne à sa maladie plutôt que de servir ainsi une idole ” (Talmud Sanhedrin 64 a).

L’idolâtrie consiste en la déification d’un objet ou d’une force de la réalité créée. Les anciens servaient le soleil parce qu’il leur tenait chaud et nourrissait leurs cultures. La lune, le vent, la terre, l’eau et les arbres étaient également des dieux que l’on devait remercier et supplier pour les dons qu’ils attribuaient aux hommes. C’était comparable à remercier le marteau pour la construction d’une maison ou la charrue pour la récolte annuelle, plutôt que le créateur de ces instruments. Toutefois chaque idolâtrie possède une certaine logique et même si l’on se trompe, l’on vénère une source (présumée) de vie et de nourriture… chaque culte idolâtre, à l’exception de celui de Baal Péor qui consiste en la pratique païenne de vénérer ses propres excréments. Ici la personne adore les déchets, ce qui a été laissé et rejeté une fois que tout le potentiel de nourriture a été extrait de toute substance.
Le peuple d’Israël était à Chittin, le dernier de ses 42 campements lorsqu’un nombre significatif d’entre eux rejoignirent les Moabites et les Midianites dans le culte de Baal Péor. Les Juifs en étaient à leur dernière étape du long voyage de leur génération du Sinaï vers la Terre Sainte, de la scène de la Révélation Divine de Sa volonté au lieu de sa réalisation ultime, et pourtant, ils succombèrent à la forme d’idolâtrie la plus irrationnelle et la plus répugnante sur la face de la terre. En réalité pourtant, c’est justement leur proximité de la Terre Sainte qui les rendit plus vulnérable à l’idolâtrie de Péor.
La transition d’un peuple voyageant à travers le désert à un peuple établi sur sa terre était celle d’une vie totalement spirituelle à une vie d’engagement dans le monde matériel. Dans le désert, le Peuple d’Israël était nourri du miraculeux “pain céleste”, la manne, et “du puits de Miryam”, pendant que “ les nuées de Gloire ” les protégeaient et préservaient leurs vêtements. Tous ces miracles leur permettaient de rechercher la sagesse de la Torah et de communier avec D.ieu, libres de tout souci matériel. Mais une fois qu’ils allaient traverser le Jourdain, “ le pain céleste ” allait être remplacé par le pain de la terre, pain pour lequel il faudrait déployer un dur labeur physique : labourer, semer, récolter et s’engager dans de multiples travaux pour obtenir la nourriture de la terre. Une fois qu’ils auraient traversé le Jourdain, leur idylle spirituelle allait être remplacée par les détails triviaux de la vie matérielle : le commerce, la politique, la guerre, la diplomatie etc.
C’est pourquoi la génération rejeta la Terre, préférant le havre spirituel du désert aux tribulations et aux défis de l’installation d’un état. Ils ne réussirent pas à comprendre que le but de la vie sur terre n’est pas d’échapper au monde matériel. Car D.ieu les avait fait sortir d’Egypte et leur avait donné la Torah pour qu’ils entrent en terre de Canaan, s’y installent et commencent à en faire la Terre Sainte, une terre réceptive à la sainteté. Selon les mots du Midrach : “ D.ieu désirait une demeure dans ce monde matériel ”.
Maintenant, une génération avait pris leur place, une génération élevée dans l’esprit de la mission, d’entrer sur la Terre et d’accomplir le désir divin d’une résidence ici-bas. C’est cette génération qui, à la veille de la réalisation de sa mission de sanctifier le matériel, fut la proie de l’idolâtrie de Péor.

La matière appauvrie
C’est de la nature de notre personnalité que chaque acte physique constructif soit accompagné d’une sensation de plaisir. Manger est capital pour survivre, de sorte que la consommation de nourriture est un acte agréable. Le corps a besoin de repos, aussi désirons-nous et apprécions-nous le fait de dormir etc.
Ainsi le plaisir résulte-t-il d’actes remplissant un dessein. Manger, dormir, etc. ont tous un but : soutenir et perpétuer une vie physique qui sert la Volonté Divine. Le plaisir séparé de son dessein, le plaisir pour l’amour du plaisir, est un plaisir corrompu, un détournement de sa fonction, et de son utilité. Un acte physique possède un sens et une validité dans la mesure où il sert un but divin dans la création. Quand le plaisir associé à l’acte devient son but ultime, c’est un acte vide, un acte dépouillé de son âme et de sa vitalité divine.
C’est là le sens profond du culte de Baal Péor. Les idolâtres de Péor vidaient leurs corps de leurs déchets : pour eux, seule la matière, même celle qui avait été complètement dépouillée de son potentiel vital, était l’objet de vénération. La pensée même d’un tel culte peut paraître répugnante à n’importe quel individu sain mais c’est exactement ce que fait un individu qui considère le physique comme désirable en et pour lui, plutôt que pour son contenu vital, son potentiel à servir le but divin dans la création.
C’est là l’erreur de ceux qui s’adonnèrent au culte de Péor à la veille de leur entrée en Terre Sainte. Leurs parents n’auraient jamais fait une telle erreur, en fait la Manne qui les soutenait ne produisait aucun déchet physique mais était complètement absorbée par leur corps et convertie en énergie vitale. Le concept même de déchet leur était inconnu. Mais c’était maintenant une nouvelle génération, une génération élevée dans l’idéal de rendre “sainte” une terre, une génération qui avait appris que le but de la création se réalise à l’intérieur même de l’existence matérielle. En faisant la transition d’une vie entièrement spirituelle à la vie matérielle demandée par la Torah, ils firent un pas de trop, venant à considérer le physique comme sacré à part entière, plutôt que comme l’aliment qui vitalise une vie dans le service de D.ieu.

Le corps de Pin’has.
La tombe de Moché surplombait le Temple de Péor, car Moché la représentation de la Vérité est l’ultime réfutation du mensonge de Péor, le mensonge selon lequel il existe un sens et une valeur à la matière dénuée du potentiel divin.
Néanmoins, Moché fut incapable d’empêcher la dégradation d’Israël. C’est le petit-fils d’Aharon, Pin’has, qui mena l’action alors que tous les chefs d’Israël étaient paralysés, et il éradiqua Péor.
A cette époque, Pin’has n’occupait aucune position importante dans la direction spirituelle d’Israël. Il n’était pas même un Cohen, bien qu’il fut le petit-fils d’Aharon. On l’insulta parce qu’il était le petit-fils d’un idolâtre. Mais c’est précisément à cause de son statut qu’il put vaincre l’idolâtrie de Péor.
Le Talmud nous dit que la véritable marque de la Techouva (repentir) est de se retrouver dans la situation dans laquelle précédemment l’on a pêché et de ne pas succomber. En dernier ressort, un état négatif ne peut être rectifié en le transcendant ou en y échappant mais seulement de l’intérieur, en le transcendant dans sa propre “ maison ” et dans ses propres termes. La vérité spirituelle de Moché peut être la réfutation ultime de Péor, mais une fois que le peuple d’Israël eut pénétré dans la grossière matérialité de l’idole, il ne pouvait en être extrait que par le descendant d’un idolâtre.
Moché fut l’être le plus parfait qui existât. Et pourtant, au moment de la fin de son séjour de 120 ans sur terre, son âme quitta son corps qui fut enterré. Par contre, quand la vie de Pin’has atteignit sa fin, son âme monta dans un monde purement spirituel ainsi que son corps. Car Pin’has put parvenir à la rectification ultime de Péor : le raffinement et la sublimation du moi physique comme ustensile pour la Divinité.