«Et Moché prit sa femme et ses enfants, les mit sur l’âne et ils retournèrent en terre d’Egypte.» (Chemot 4:20)

Le prophète Ze’haria décrit Machia’h comme «un pauvre montant un âne». Le sens simple du verset indique que Machia’h, décrit par le Midrach comme «plus grand qu’Avraham, plus haut que Moché et plus élevé que les anges célestes» (Yalkout Chimoni sur Yéchayahou 52 :13) est l’incarnation de la modestie. Et il est de fait que la modestie est la caractéristique principale des Justes. Ils reconnaissent que leurs dispositions et leurs accomplissements extraordinaires, la force dont ils sont investis en tant que dirigeants ne leur appartiennent pas mais sont ceux de leur Créateur. Ils vivent non pour se réaliser et s’accomplir mais pour servir le dessein divin dans la création.

A un niveau plus profond, l’âne de Machia’h représente l’essence du processus messianique, processus qui a commencé au début des temps et constitue l’âme même de l’histoire. Au commencement, nous dit la Torah, quand D.ieu créa les cieux et la terre, alors que l’univers était encore vide, à l’état brut et plongé dans l’obscurité, l’esprit de D.ieu planait sur l’existence émergeante. Le Midrach explique : «l’esprit de D.ieu planait : il s’agit de l’esprit de Machia’h». Car Machia’h représente l’esprit divin de la création, la vision du monde parfait, but de D.ieu en le créant, le peuplant avec des êtres déterminés, réfléchis et en quête d’accomplissement.

L’âne de Machia’h a une longue et prestigieuse histoire. De temps à autre, il apparaît à travers les générations, faisant surface aux moments-clé du processus messianique. Chaque fois, nous le voyons accomplir la même fonction mais d’une manière légèrement différente, reflétant les changements que traverse notre monde dans son développement vers son ultime perfection.

Avraham, Moché et Machia’h

L’âne de Machia’h apparaît pour la première fois en 2084 (1677 avant l’ère commune) quand Avraham est en route pour «le sacrifice d’Its’hak», la dixième et dernière expression de sa foi en D.ieu. «Avraham se leva tôt le matin et prépara son âne», nous relate la Torah (Beréchit 22 :3) et le chargea du matériel pour le sacrifice (le bois, le feu et le couteau), pour le voyage de trois jours qui devait le mener de ‘Hévron vers le Mont Moriah, à Jérusalem.

Sept générations plus tard, Moché fut également envoyé en mission par D.ieu : il devait faire sortir les Juifs d’Egypte et les conduire vers le Mont Sinaï où D.ieu lui dit : «Je leur communiquerai leur mission dans la vie en tant que Mon peuple choisi». Ainsi Moché prit-il sa femme et ses enfants, les installa sur l’âne et ils se mirent en route vers l’Egypte». «L’âne, avec un article défini» insiste la Torah : le même âne que celui qui avait servi à Avraham et qui porterait Machia’h, soulignent nos Sages.

Avraham, Moché et Machia’h, tous trois utilisent le même âne dans l’accomplissement de la volonté divine. Cependant, l’étendue de l’implication de l’âne dans leur mission diffère. Avec Avraham, il sert à porter son matériel, pour Moché, il s’agit de transporter sa femme et ses enfants. Enfin Machia’h est décrit comme montant lui-même l’animal.

Le décret abrogé

La sagesse conventionnelle veut que le spirituel soit plus grand que le matériel, que le céleste soit plus saint que le physique. Pourtant, nos Sages nous ont enseigné que D.ieu créa toute l’existence, y compris les mondes spirituels les plus élevés, parce qu’ «Il désirait une demeure dans ce monde inférieur». Notre existence matérielle constitue l’objectif de tout ce qu’Il créa, l’environnement dans lequel Son but dans la création doit se réaliser.

D.ieu désirait que l’on raffine et élève l’existence matérielle, que la réalité physique, dont l’aspect concret et égocentrique obscurcit notre vision et déforme nos priorités, soit réutilisé comme une force positive dans notre vie, que nous fassions surgir tout le bien, toute la perfection inhérents à toute Sa création, y compris, et tout particulièrement, le monde matériel.

Le mot hébreu pour «âne» est ‘hamor. Il vient du mot ‘homère, «matérialité». L’âne de Machia’h représente la bête matérielle jugulée, le physique redirigé vers des objectifs plus élevés et plus saints.

Mais la mission de l’humanité pour élever le matériel implique un processus long et complexe, un effort historique dans lequel chaque génération construit par dessus les accomplissements de ses ancêtres. Car le monde spirituel et le monde matériel sont des mondes séparés. En fait, la nature-même de la création divine est telle qu’un vaste gouffre les divise, en faisant des opposants naturels. Lorsque D.ieu descendit sur le Mont Sinaï, le mur séparant l’esprit et la matière fut détruit. La réalité divine se révéla dans la réalité terrestre. La Torah fut donnée à l’homme pour lui permettre de sanctifier la matière, pour exprimer la vérité omniprésente de D.ieu à l’intérieur et à travers le monde matériel.

Cela explique dans quelle mesure Avraham et Moché impliquèrent l’âne matériel dans leur mission respective. Avraham, le premier Juif, commença le processus de sublimation du matériel, de réalisation de son potentiel pour exprimer la bonté et la perfection du Créateur. Mais Avraham vivait avant la révélation sinaïtique, avant l’abrogation du décret divisant le monde entre le bas et le haut, entre la matière et l’esprit. A son époque, l’ordre originel institué à la création prévalait toujours : le monde spirituel et le monde matériel constituaient deux entités séparées, deux mondes incompatibles. Dans le meilleur des cas, Avraham pouvait mobiliser le matériel pour qu’il serve le spirituel, utiliser l’âne pour qu’il porte les outils du service divin.

Par contre, Moché entreprenait la mission qui devait donner à l’homme le moyen d’annuler la dichotomie entre le royaume supérieur et le royaume inférieur. C’est ainsi que Moché utilisa l’âne pour porter sa femme et ses enfants. Avec Moché, le matériel commença à jouer un rôle central et intime dans le travail de notre vie.

Mais Moché ne marquait que l’amorce des effets de la Torah sur le monde matériel. Depuis, chaque fois qu’un individu utilise une ressource matérielle dans l’accomplissement d’une Mitsva, par exemple de l’argent pour la charité, il «raffine» ces objets matériels, leur faisant abandonner leur caractère profane. Avec de tels actes, le monde matériel devient beaucoup plus saint, beaucoup plus en harmonie avec son essence et sa fonction. De tels actes rapprochent le jour où notre monde se débarrassera finalement et complètement de la coquille de grossièreté, source de toute ignorance et querelle, apportant au monde entier une nouvelle aube de paix et de perfection universelles.

Ainsi, Machia’h, qui représente l’accomplissement ultime de la Torah, monte lui-même l’âne de la matérialité. Car il proclame un monde dans lequel la matière est une ressource entièrement raffinée, une force non moins essentielle et significative pour le bien que la création la plus spirituelle.