Est-ce un corbeau ?

Nos Sages ne sont pas très bien disposés à l’égard du corbeau.

Ils le disent terriblement cruel vis à vis de son petit. Dans le Livre des Psaumes, le Roi David évoque la miséricorde de D.ieu Qui nourrit la progéniture de cet oiseau. Les petits du corbeau ont besoin de la nourriture de D.ieu, expliquent nos Sages, parce que leur mère les abandonne à la naissance.

Il a été suggéré que le corbeau n’arrive pas à reconnaître ses petits parce que leur plumage n’est pas aussi brillant et d’un noir aussi profond que le sien. Le corbeau, créature égoïste, abandonne donc ses oisillons car il ne se soucie pas de ce qui ne lui appartient pas.

Dans l’Arche

La population du monde entier, y compris les animaux et les êtres ailés, avait été décimée par les eaux du Déluge. Pour faciliter la repopulation de ces espèces après le Déluge, D.ieu avait ordonné à Noa’h de prendre dans l’Arche sept couples de chaque espèce animale cacher et un couple de chaque espèce non cacher. Il y avait donc des corbeaux, mais comme ils faisaient partie des espèces non cacher, il n’y en avait que deux : un mâle et une femelle.

Bien que les occupants de l’Arche fussent épargnés du Déluge, pour pouvoir, par la suite, repeupler le monde, le Talmud explique qu’ils n’avaient pas le droit de s’y accoupler. Cela pour deux raisons : tout d’abord, il eut été inconvenant, et en fait le summum du narcissisme et de l’indécence, de s’engager dans de telles activités alors que le reste du monde souffrait. De plus, les ressources étaient peu abondantes dans l’Arche. Il était déjà assez difficile d’emmagasiner de la nourriture et de nourrir ceux qui étaient présents. Agrandir la population de l’Arche aurait posé un problème d’approvisionnement impossible à gérer.

Ces deux raisons sont motivées par la compassion à l’égard de la souffrance d’autrui. Seul un égoïste pouvait penser avoir des relations intimes alors qu’il était entouré par l’agonie et la mort et seul un égoïste pouvait envisager de consommer plus que sa juste part de provisions alors qu’une maigre quantité devait suffire pour tous.

Et pourtant, c’est précisément ce que fit le corbeau. Il ignora ces interdits. Mais, par ailleurs, le corbeau était un oiseau très loyal : une fois qu’il avait fait son nid avec sa compagne, il s’écartait de tous ses autres partenaires. Cependant, nos Sages considèrent cette attitude de manière négative. Le corbeau est antisocial parce qu’il ne se préoccupe que de lui-même. Même dans l’Arche, il refuse de considérer les besoins des autres habitants et les souffrances du monde en général. Il n’a d’yeux que pour sa femelle et ne pense qu’à lui-même.

Renvoyé

Quand la pluie se fut arrêtée de tomber et que, pendant plusieurs mois, les eaux eurent baissé, Noa’h ouvrit la fenêtre de l’Arche et renvoya le corbeau. Selon au moins un commentateur, Noa’h chassa le corbeau de l’Arche car il avait violé l’interdit et n’avait donc aucun droit d’y rester. Dès que les eaux eurent un peu décru, laissant assez d’espace pour que l’oiseau puisse voler, Noa’h le bannit de l’Arche.

Contrairement à la colombe, qui serait envoyée par la suite pour vérifier le retrait des eaux et reviendrait vers l’Arche, avec une branche d’olivier dans son bec, pour témoigner que la décrue était bien réelle, le corbeau se contenta de faire des allers retours jusqu’à ce que les eaux sèchent.

Le Talmud nous informe que le corbeau ne s’envola pas pour se percher sur un arbre, par considération pour ses compagnons. Il supposait qu’ils étaient tous aussi dépravés et égoïstes que lui-même. Quand Noa’h le renvoya, le corbeau pensa qu’il l’avait vu désobéir par concupiscence.

Le Talmud nous ouvre alors sur une perspective intéressante quant à l’esprit de l’égoïste. Les gens égoïstes ne sont pas cruels mais ils pensent simplement que tout le monde est comme eux. S’ils ne profitent pas de quelque chose qui se présente à eux, un autre le fera, aussi le prennent-ils avant les autres. Ils ne considèrent pas les conséquences de leurs actes sur des gens décents et altruistes parce qu’ils n’imaginent pas que ces qualités puissent exister chez autrui.

Si le corbeau se livra, dans l’Arche, à ces actes, c’est parce qu’il pensait que tous les animaux en faisaient de même et quand il en fut renvoyé, il jugea que Noa’h avait fait exactement ce qu’il voulait, parce qu’il le voulait.

Cet état d’esprit vient de la disposition d’esprit qui consiste à blâmer les autres pour nos propres failles. Il est très difficile d’accepter nos propres défauts mais il est facile de les projeter sur les autres. Nous devons nous préserver de cet état d’esprit en nous rappelant ce qu’ont dit nos Sages : « Ceux qui condamnent les autres se condamnent en fait eux-mêmes ».

Prendre de la hauteur

Bien que le corbeau s’envolât de l’Arche, il ne vola pas en cercles au-dessus. La Torah précise qu’il allait et venait. Que devons-nous comprendre de ce détail précis concernant la direction de son vol ?

Quand il fut renvoyé, il se plaignit amèrement : « D.ieu me hait et Noa’h me hait encore plus. D.ieu n’a permis qu’à deux d’entre nous de survivre, réduisant de ce fait les chances de survie de notre espèce mais Noa’h va complètement détruire notre espèce en me séparant de ma compagne. »

Le Talmud relate que quand il entendit cela, Noa’h prit pitié du corbeau, lui permettant de revenir à l’Arche par intermittence, pour y prendre du repos quand il était fatigué. Noa’h l’en avait chassé car il n’y a pas de place pour l’égoïsme dans un environnement plein d’altruisme. Mais malgré le fait que le corbeau ait ignoré les besoins des autres, Noa’h ne pouvait, lui, ignorer les besoins du corbeau.

Nous ne pouvons répondre à l’égoïsme par de l’égoïsme. Cette attitude ne ferait que renforcer l’état d’esprit de l’égoïste. Nous devons plutôt nous élever au-dessus de cette inclination autocentrée et y répondre avec équité.

Tout comme le fit Noa’h, nous devons protéger notre maison de l’influence néfaste de l’égoïsme et traiter décemment celui qui en est à l’origine.