Lettre n° 154

[Iyar 5704]

L'un des objectifs de ce périodique(1) est de constituer une plate forme d'échanges pour les 'Hassidim 'Habad et tous leurs sympathisants, qui s'interrogent sur la 'Hassidout, en général et sur les livres dernièrement parus, en particulier, comme le dit l'éditorial de la rédaction, paru dans le premier numéro.

Bien évidemment, on éditera, dans ce périodique, uniquement les questions et les réponses qui peuvent intéresser l'ensemble des lecteurs. A celles qui ont uniquement un intérêt personnel, on répondra individuellement, par courrier, ou bien, dans le périodique, mais très brièvement(2).

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Pour inaugurer cette rubrique, je voudrais répondre à une question d'ordre générale, que se posent de nombreuses personnes, lisant les causeries(3) publiées par les éditions "Trésors des 'Hassidim"(4). C'est la suivante:

"Telle idée évoquée dans cette causerie n'est pas du tout expliquée."

"L'interprétation donnée, dans cette causerie, de tel verset ou de telle affirmation de nos Sages est purement allégorique. Elle n'a ni source ni fondement."

La réponse est la suivante. Les causeries qui sont éditées, peuvent, pour la majorité de leur texte, être comprises également par ceux qui ne possèdent pas les notions fondamentales de la 'Hassidout 'Habad. Cependant, certaines idées, en particulier celles qui sont évoquées uniquement de manière accessoire, peuvent rester difficiles à comprendre pour celui qui n'a pas étudié la 'Hassidout ou, en tout état de cause, n'en possède pas les bases.

Les discours 'hassidiques ou d'autres causeries donnent assurément une explication satisfaisante de telles notions, car, selon l'expression de nos Sages, "les paroles de la Torah sont pauvres(5) dans un texte et riches(6) dans un autre".

De même, l'interprétation des versets et des propos de nos Sages figurant dans ces causeries émanent, de façon générale, de commentaires des Sages, ou bien est basée sur leur explication, donnée par la partie révélée de la Torah ou par son enseignement caché.

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Pour illustrer mon propos, je citerai ici l'une des questions que l'on se pose sur un "discours surprenant", selon l'expression de ceux qui m'ont interrogé. Celui-ci figure dans le "fascicule de Chicago", qui vient de paraître.

J'ai choisi cette question car ceux qui l'ont soulevé la croyaient si forte qu'il serait impossible de lui trouver une réponse. Nous montrerons ici qu'elle émane uniquement d'un manque de connaissances, de la part de ceux qui l'ont soulevée. Bien plus, ce "discours surprenant" reprend, en fait, les propos de nos Sages. La réponse à cette question permettra d'établir que toutes les autres en ont une, a fortiori.

La seconde causerie de ce fascicule, à la page 20, rapporte les propos allégoriques de Rabbi Barou'h Morde'haï, commentant la Michna(7) qui commence par ces mots: "Akavya, fils de Mehalalel dit". Ils sont les suivants: "Le talon(8) de celui qui prie pour proclamer la louange(9) de D.ieu dit".

Lorsque cette causerie fut diffusée pour la première fois, sous forme de ronéotype, en hiver 5702(10), elle souleva deux groupes de questions.

Les premières émanaient de ceux qui cherchent à attaquer et qui étaient heureux de pouvoir trouver matière à le faire. Ils s'exclamèrent: "C'est bien ce que nous avons toujours dit! Les 'Hassidim énoncent des images et des allégories qui n'ont aucun sens. En voici une preuve de plus! Certes, Akavya ressemble à Ekev et Mehalalel à Mehalel. Peut-on, pour autant, déformer la Michna "Akavya, fils de Mehalalel dit" en la lisant "Le talon de celui qui prie pour proclamer la louange de D.ieu dit"? Et cette interprétation des 'Hassidim est doublement un non sens, car Akavya et Mehalalel étaient deux personnes différentes. Or, leur interprétation conduit à dire qu'il s'agit d'une seule et même personne".

Le second groupe est constitué par ceux qui veulent accorder des circonstances atténuantes à tous, "y compris aux 'Hassidim". Ceux-là disent: "C'est vrai, les propos de Rabbi Barou'h Morde'haï ne sont qu'une allégorie, sans fondement, mais cette causerie dit elle-même qu'il faut les interpréter comme tels. Or, les meilleurs Maguidim(11) avaient recours à de tels procédés. Pourquoi les 'Hassidim n'en feraient-ils pas de même? Tout compte fait, l'idée introduite de cette façon est louable. Elle proclame la valeur du sentiment, du coeur".

L'explication de Rabbi Barou'h Morde'haï a été jugée si surprenante que certains 'Hassidim ont eux-mêmes demandé: "Pourquoi faire imprimer des propos qui alimentent les attaques? On dira que les 'Hassidim ont inventé une explication de plus qui heurte la logique et ne figure pas dans les paroles de nos Sages!".

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Considérons, tout d'abord, l'auteur de cette explication et les circonstances dans lesquelles il la donna. Rabbi Barou'h Morde'haï était un des plus grands érudits de son époque. Contemporain du Gaon de Vilna, il dirigeait, malgré son jeune âge, l'une des Yechivot de Vilna. Et il introduisit cette allégorie dans une réponse qu'il fit à son beau-frère, immense érudit de la partie révélée de la Torah, qui était un opposant à la 'Hassidout. Puis, le fils de cet opposant la répéta devant tous les sages et les érudits de la ville, à l'issue d'une profonde analyse talmudique.

Sans l'ombre d'un doute, Rabbi Barou'h Morde'haï n'aurait pas écrit à son beau-frère une allégorie et une parole éthique sans fondement dans les propos de nos Sages. Bien plus, cette référence devait être suffisamment forte pour que son beau-frère et tous les autres érudits puissent l'accepter. D'autant que les opposants à la 'Hassidout, pour la plupart, considéraient, à l'époque, que les Maguidim et tous ceux qui faisaient de la morale s'adressaient essentiellement aux femmes, aux ignorants et aux érudits qui avaient la migraine et ne pouvaient étudier la Torah. A chaque affirmation qui leur était soumise, ils rétorquaient aussitôt: "Où cela est-il écrit? Où trouve-t-on une allusion à cela dans la Torah?".

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L'interprétation d'un nom en fonction de son étymologie est particulièrement fréquente dans la Loi Ecrite et dans la Loi Orale.

Cela n'est pas vrai uniquement pour les noms collectifs, désignant toute une espèce et ses caractères. Nos Sages rapportent que "le Saint béni soit-Il dit aux anges: «La sagesse de l'homme est supérieure à la vôtre». Il leur présenta des bêtes sauvages, des animaux domestiques, des oiseaux et leur demanda: «Comment s'appellent-ils?». Ils ne surent que répondre. Puis, Il les fit passer devant l'homme et lui demanda également: «Comment s'appellent-ils?». Il répondit: «Ceci est un boeuf, cela est un âne»". Le Ramban explique: "Le Saint béni soit-Il conduisit tous les animaux de la forêt et tous les oiseaux des cieux devant Adam, qui, percevant leur nature profonde, leur attribua le nom qui décrivait au mieux cette nature".

Mais, il en est de même également pour les noms individuels, à partir duquel il est également possible d'établir la nature profonde de celui qui le porte. Et l'interprétation du premier nom est clairement précisée par la Torah: "Il l'appela 'Hava(12), car elle était la mère de tous les vivants".

Bien plus, il est possible de commenter un nom même lorsque celui qui l'a attribué n'avait pas cherché à lui donner une telle signification. La Torah le dit également: "Ainsi, il a été appelé Yaakov et pour la seconde fois, il a agi avec ruse envers moi(13)". Et il en est de même dans les livres des prophètes: "Il s'appelle Naval(14) et porte bien son nom". De telles interprétations sont très fréquentes, dans les commentaires de nos Sages.

Plus encore, même si l'on considère que ces références de la Loi Ecrite et des propos de nos Sages ne démontrent rien, car, si des noms sont mentionnés dans la Torah, sans doute est-ce précisément pour les commenter, le traité Yoma précise que Rabbi Meïr analysait les noms de ses contemporains. Et la pratique fit la preuve que ses interprétations étaient justes.

Certes, il relativisait lui-même la valeur de ses explications, parce que celles-ci ne supprimaient pas le libre arbitre à celui qu'elles concernaient. Pour autant, il parvenait bien à déterminer leur nature, comme l'explique le Rambam. Et le Midrach dit, à ce propos: "Certains portent des noms terribles et ont un bon comportement". Cela veut bien dire, selon l'expression du Rambam, que "le nom n'impose pas une attitude de manière inéluctable".

Nos Sages affirment, en outre, que le nom n'est pas seulement une indication du comportement. Il est lui-même à l'origine de ce comportement. Ils disent ainsi: "Un homme doit judicieusement choisir le nom de son fils, qui peut l'induire vers le bien ou vers le mal". Le traité Yoma explique que quelqu'un mourût parce que le nom qui lui avait été donné était celui d'un impie. En pareil cas, on ne peut penser qu'il s'agit d'une punition, car celle-ci serait disproportionnée. Bien plus, elle aurait dû être infligée à celui qui a donné le nom, mais pas à celui qui le portait.

Le nom n'influence pas uniquement celui qui le porte, mais aussi ses descendants et le traité Bera'hot dit: "Pourquoi s'appelle-t-elle Ruth? Parce qu'elle eut le mérite d'avoir David pour descendant. D'où sait-on que son nom le lui permit?".

Ainsi, le nom des ancêtres donne également des indications sur les descendants. Nos Sages le montrent de deux manières. D'une part, le nom des pères peut préciser la nature des enfants, comme ce fut le cas de Ruth. De même, le verset dit: "Morde'haï, fils de Yaïr, fils de Chimei, fils de Kich" et nos Sages expliquent que "à chacun fut attribué un nom en fonction de Morde'haï. D'autre part, Le nom des pères, même s'il n'a rien de commun avec les enfants, peut néanmoins souligner leurs qualités. Ainsi, les Sages expliquent le verset: "Kora'h fils d'Itshar" de la manière suivante: "Ce fils rendit le monde aussi brûlant qu'à midi(15). Pourquoi n'est-il pas dit «fils de Yaakov» puisqu'il se projeta(16) lui-même dans le Guéhénom?". Cette dernière interrogation établit que, même si le nom des pères n'est pas attribué en fonction des fils, on peut néanmoins en déduire leurs qualités.

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Ce qui vient d'être dit concerne, globalement, la signification des noms. Nos Sages conseillent donc de leur accorder toute son attention. Bien plus, ceci ne concerne pas seulement le nom d'un homme, mais aussi celui de son père, s'il est accolé au sien, comme c'est le cas pour Akavya, fils de Mehalalel.

Pour revenir à ce qui fait l'objet de notre propos, l'allégorie de Rabbi Barou'h Morde'haï est clairement mentionnée dans les propos du Ari Zal.

Le Midrach Agadat Béréchit dit: "Pourquoi le fils de Kénan fut-il appelé Mehalalel? Parce qu'il se repentit et se mit à proclamer l'éloge du Saint béni soit-Il".

Le Chaar Haguilgoulim explique: "Sache que toutes les âmes étaient suspendues à Adam, le premier homme, à chacun de ses 248 membres. Son talon comptait plus de 613 parcelles d'âme, parmi lesquelles il y avait celle de Akavya, fils de Mehalalel".

Il précise ensuite son propos: "Akavya, fils de Mehalalel est lié au sens ésotérique du talon et c'est pour cela qu'il fut appelé ainsi. En effet, il réalisa l'élévation de Mehalalel, fils de Kénan. C'est pour cela qu'il fut appelé Akavya, fils de Mehalalel."

La Michna dit: "Quiconque désire recevoir de l'aide pour acquérir la sagesse peut l'obtenir". Une autre version dit: "pour acquérir l'humilité et la crainte de la faute, comme Akavya, fils de Mehalalel". Et le Baal Hatourim précise que l'humilité et la crainte sont l'une et l'autre qualifiées de talon(8).

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L'explication de cette allégorie "surprenante" doit faire pour nous la preuve que toutes les affirmations figurant dans les causeries du Rabbi, même lorsqu'elles nous paraissent étonnantes, ont une explication et un sens. C'est à ce propos que, commentant le verset "ce n'est pas une chose vide de sens pour vous", les Sages disent: "Si elle est vide de sens, c'est à cause de vous, du fait de l'insuffisance de vos efforts pour connaître la Torah".

Et ce qui est vrai des allégories des premiers 'Hassidim l'est, a fortiori, pour leur enseignement et leur service de D.ieu.

Notes

(1) Il s'agit du Kovets Loubavitch. Cette lettre fut écrite pour sa deuxième parution, consacrée au 9 Adar et à Lag Baomer. On y trouve un compte rendu d'événements survenus à Pessa'h Cheni et l'on peut en déduire que cette lettre fut rédigée en Iyar.
(2) L'annonce de la création d'une rubrique destinée au courrier des lecteurs permet de considérer ce texte lui-même comme une lettre.
(3) Essentiellement du précédent Rabbi.
(4) Les éditions Kehot.
(5) Insuffisamment expliquées.
(6) Complétées par de nouvelles explications.
(7) Introduisant le troisième chapitre du traité Avot. Akavya, fils de Mehalalel dit: Considère trois choses et tu ne commettras pas de faute".
(8) Akavya est de la même étymologie que Ekev, le talon.
(9) Mehalalel est de la même étymologie que Mehalel, celui qui proclame la louange.
(10) 1941-1942.
(11) Les commentateurs qui, en Europe de l'est, se déplaçaient d'une communauté à l'autre et faisaient des reproches aux présents pour éveiller en eux un sentiment de Techouva, en échange de quelques pièces qui leur permettaient d'assurer leur propre subsistance. Le Baal Chem Tov se dressa, à différentes reprises, contre ces Maguidim, en montrant que les reproches n'étaient pas la meilleure manière d'accéder à la Techouva.
(12) De la même étymologie que 'Hay, vivant.
(13) En hébreu, Yaakvéni, de la même étymologie que Yaakov.
(14) Qui signifie "dévoyé".
(15) Itshar est de la même étymologie que Tsahoraïm, midi.
(16) Akav, de la même étymologie que Yaakov.