Lettre n° 114

10 Kislev A mon ami, homme raffiné et érudit, qui diffuse la Torah,
le Rav Ch.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Vous vous interrogez à propos de la question posée par le Kountrass Oumayan, du Rabbi Rachab, à la fin du chapitre 17. Ce texte relève une contradiction entre l'affirmation de nos Sages selon laquelle la subsistance matérielle de l'homme est décidée entre Roch Hachana et Yom Kippour et le passage talmudique qui dit que l'homme est jugé quotidiennement. Vous m'écrivez ce qu'un érudit vous a demandé à ce propos:

A) Rabbi Yossi, selon lequel l'homme est jugé chaque jour, est un avis isolé. Tous les autres Sages ne partagent pas son opinion et considèrent qu'il est jugé à Roch Hachana.

B) Le Mikraeï Kodech, de Rav Yossef d'Amiga, explique que, selon Rabbi Yossi, rien ne distingue Roch Hachana de tous les autres jours de l'année, du point de vue du jugement. Toutefois, la fête de Roch Hachana a été instaurée pour inciter les hommes à une Techouva quotidienne, quel qu'en soit le jour.

C) Pourquoi le Kountrass Oumayan ne dit-il pas que cette contradiction a déjà été mise en évidence par le Mikraeï Kodech?

Il me semble que l'on peut donner, à ce propos, l'explication suivante:

A) Il est clair que, si la Hala'ha n'est pas tranchée selon l'avis de Rabbi Yossi, le fait que l'homme soit jugé chaque jour ne nous pose pas problème. Pour Rabbi Yossi lui-même, en revanche, la question reste posée. Quelle est l'utilité du jugement de Roch Hachana, dès lors que l'homme est jugé quotidiennement?

Mais, il est surprenant que cette question ait été posée, puisque le Kountrass Oumayan en donne lui-même la réponse. Je le cite: "Il nous faut comprendre l'explication de nos Sages selon laquelle un homme est jugé chaque jour. N'est-il pas dit que sa subsistance matérielle est décidée à Roch Hachana? Et Rabbi Yossi lui-même, qui considère que le jugement de l'homme est quotidien, n'en reconnaît pas moins qu'il en est un autre, prononcé à Roch Hachana."

Le Likouteï Torah est plus précis: "Seuls Rabbi Yossi et Rabbi Nathan considèrent que le jugement de l'homme est quotidien, alors que les autres Sages ne sont pas de cet avis. Pour autant, Rabbi Yossi et Rabbi Nathan reconnaissent également que le jugement se déroule essentiellement à Roch Hachana. De même, nos Sages disent que la subsistance matérielle de l'homme est fixée entre Roch Hachana et Yom Kippour, ce qui semble être l'avis unanime, mais ces Sages considèrent néanmoins que l'homme est, en outre, jugé chaque jour".

Par ailleurs, celui qui vous a interrogé considère comme une évidence que la Hala'ha est tranchée selon l'avis des Sages, contre celui de Rabbi Yossi. C'est effectivement ce que dit le Mikraeï Kodech, mais l'on peut se demander si c'est bien le cas, car le contraire semble plus vraisemblable. Un principe établit, en effet, que lorsque les Sages de la Guemara discutent l'avis d'un Sage de la Michna, ils considèrent que la Hala'ha doit retenir cet avis. Or, en l'occurrence, Rav 'Hisda(2) commente bien l'avis de Rabbi Yossi(3).

Et l'on ne peut objecter que plusieurs Sages de la Guemara discutent également l'avis des Sages de cette Michna. En effet, ils ne commentent pas leur avis, mais se demandent uniquement comment le jugement est rendu là-haut. Ce qu'ils disent se conçoit également selon l'avis de Rabbi Yossi. De plus, ceux qui considèrent que le verdict porté sur un individu ne peut être rapporté, s'opposant ainsi à Rabbi Its'hak, sont du même avis que Rabbi Yossi, considérant que l'on prie pour les malades et pour ceux qui sont faibles, comme l'indique le traité Roch Hachana.

Il est difficile de penser que tous ne prient que pour les malades et les faibles. D'autant que la question posée par la Guemara est "comment prions-nous, à l'heure actuelle?" et l'on voit donc bien qu'elle concerne chacun. De même, dans le traité Nedarim, Rava n'envisage pas que, selon les Sages, on puisse prier uniquement pour les malades et les faibles. On peut, cependant, objecter que, dans ce dernier cas, cette idée est mentionnée de manière accessoire, mais n'est pas le thème proprement dit de ce passage.

Remarque: Aucune preuve ne peut être tirée du principe selon lequel la Hala'ha va d'après l'avis de Rabbi Yossi lorsqu'il est en désaccord avec ses amis, même si l'on en limite l'application au cas où il s'oppose à un seul de ses amis et non à plusieurs. En effet, dans le cas présent, chacun de ces amis a un avis différent et doit donc être considéré comme une opinion individuelle. Le traité Erouvin, qui rapporte une discussion entre Rabbi Meïr, Rabbi Yehouda et Rabbi Yossi, permet d'établir qu'il en est bien ainsi.

Cela ne s'applique pas dans notre cas, car le nom de l'auteur de la Michna n'est pas indiqué. Elle exprime donc bien l'avis des Sages, retenu par la Hala'ha.

B) Le Mikraeï Kodech considère que, selon Rabbi Yossi, l'homme est jugé chaque jour de manière strictement identique qu'à Roch Hachana. Certes, Roch Hachana est le jour du souvenir, mais chaque jour de l'année l'est tout autant. Il développe une longue analyse, à ce propos. Mais, bien qu'il considère que la Hala'ha n'est pas tranchée d'après l'avis de Rabbi Yossi et de Rabbi Nathan, on peut se demander comment, selon lui, ces Sages pourraient avoir une telle conception. Le Likouteï Torah insiste sur cet aspect et le Zohar n'appelle-t-il pas Roch Hachana "le jour du grand jugement"? Comment imaginer que Rabbi Yossi, qui était le disciple de Rabbi Chimeon Bar Yo'haï, ait eu une autre position?

Bien plus, le Zohar insiste aussi sur le verdict définitif, prononcé à Hochaana Rabba et Rabbi Yossi est l'un de ceux qui donnent des explications à ce sujet. Comment l'auteur du Mikraeï Kodech expliquerait-il une telle contradiction?

C) Pourquoi le Kountrass Oumayan ne mentionne-t-il pas la question posée par le Mikraeï Kodech? Parce qu'il se base sur les écrits du Ari Zal et l'enseignement de la 'Hassidout. Il n'a donc pas pour but de citer toutes les références traitant de ce sujet. Et, il cite le Assara Maamarot uniquement pour trouver un appui à l'interprétation de ce passage talmudique d'après Rav Houna et Rabbi Yossi, sans remettre en cause l'avis des Sages, puisqu'aucune controverse ne les oppose réellement dans la mesure où chacun développe une autre idée.

* * *

Une autre question vous a été posée sur l'introduction du Kountrass Oumayan. Celle-ci rapporte une lettre expliquant que, lorsque le 19 Kislev fut proclamé Roch Hachana de la 'Hassidout 'Habad, on a dit: «'Habad est, D.ieu merci, bien vivant et puisse D.ieu raviver 'Hagat(4)». On vous a demandé comment il était concevable de s'exprimer ainsi à propos de 'Hagat, initiales de 'Hessed, Guevoura et Tiféret, des Sefirot qui appartiennent au domaine de la sainteté.

Il est bien évident que le terme 'Habad désigne ici les 'Hassidim 'Habad, dont le service de D.ieu est basé sur la réflexion et la compréhension, conduisant à l'amour et à la crainte de D.ieu. Ces 'Hassidim ont été renforcés par la diffusion de cette lettre et c'est pour cela qu'elle dit: «'Habad est, D.ieu merci, bien vivant». Et, le terme 'Hagat désigne les 'Hassidim des écoles polonaises, qui servent D.ieu en s'attachant profondément au Juste, lequel suscite en eux l'amour et la crainte de D.ieu. Il me semble que la question posée portait uniquement sur la formulation.

De fait, nous en trouvons l'équivalent dans les propos de nos Sages. Le Zohar donne une autre lecture du verset "vous les accomplirez"(5), qui est la suivante: "Vous Me ferez"(6) et il explique: "Je vous considère comme si vous M'aviez fait". Or, l'introduction du Kountrass Oumayan emploie une expression strictement identique à propos des Sefirot.

On retrouve une formule similaire dans la partie révélée de la Torah. Le traité Bera'hot rapporte: "Le Saint béni soit-Il dit à Moché: Tu M'as réconforté par tes propos". Et les commentateurs expliquent largement ce qu'est un acte du service divin effectué pour D.ieu.

Cette idée est brièvement expliquée dans la 'Hassidout, d'après l'introduction du Ranach au Peri Ets 'Haïm, qui dit: "Il est un aspect profond à chaque Sefira, qui n'ajoute rien et ne retranche rien à sa fonction, depuis Kéter, la couronne céleste, jusqu'au stade le plus inférieur. L'action des hommes, bonne ou mauvaise, n'a aucune incidence à ce stade. L'état profond de ces Sefirot ne peut en être modifié. Certes, les accomplissements des hommes révèlent la lumière dans les sphères célestes et réalisent une immense transformation, beaucoup plus importante que l'état d'origine, au point que l'aspect profond soit pratiquement négligeable, lorsqu'il est comparé à cet apport".

Différents textes expliquent que certaines Mitsvot sont liées à la tête du Roi, d'autres à Son corps, d'autres encore à Sa main. Et celui qui fait usage de son intellect pour comprendre la Torah met en éveil les Attributs célestes de l'intellect.

La partie révélée de la Torah fait allusion à cela, qui dit qu'un érudit, lorsqu'il étudie la Torah, se trouve face au Saint béni soit-Il, qui l'étudie avec lui.

De la même manière, celui qui éveille en son esprit l'amour et la crainte de D.ieu ou bien qui rend un service à l'autre, met en éveil les Attributs célestes de l'émotion, 'Hagat, dans lesquels il révèle une Lumière accrue, comme nous l'avons dit.

Tel est le sens de cette expression 'hassidique, mentionnée dans l'introduction du Kountrass Oumayan. Car, "s'ils ne sont pas prophètes, ils sont, au moins, fils de prophètes" et, lorsque l'on étudie la Torah, en particulier son aspect profond, «'Habad est bien vivant», ici-bas, chez celui qui se consacre à cette étude. Dès lors, la Lumière qui entoure les mondes accorde une vitalité accrue aux Attributs célestes de l'intellect. Et ceux de l'émotion, 'Hagat, que l'on met en éveil dans son esprit, apportent aussi une Lumière plus intense aux Attributs célestes du sentiment.

* * *

Puisque nous évoquons le Mikraeï Kodech, je voudrais vous souligner un fait surprenant que j'ai vu dans les chapitres que nous venons de citer.

Dans le chapitre 11, cet ouvrage insiste sur l'idée que les luminaires furent suspendus le quatrième jour de la création. Ils se trouvaient alors à la porte du ciel, au même titre que les végétaux. C'est uniquement quand l'homme fut créé, le sixième jour, qu'ils commencèrent leur fonctionnement et leur rotation. C'est pour cela que le Roch 'Hodech du mois de Tichri est fixé le sixième jour de la création et non le quatrième.

Je suis au regret de dire que tout cela est très étonnant. En effet,

A) La bénédiction du soleil, prononcée lorsque "l'on voit le soleil en son temps et la lune dans toute sa force"(7) est bien dite le mercredi et non le vendredi. Et, si tel est l'avis de Rabbi Yochoua(8), on peut en déduire que c'est également celui de Rabbi Eliézer, selon lequel le monde fut créé en Tichri.

B) Le Mikraeï Kodech précise lui-même que les luminaires furent créés le premier jour. Il considère cependant qu'ils furent mis sur orbite seulement le sixième jour. Dès lors, pourquoi la lune accusa-t-elle le soleil, le quatrième jour, lorsque les luminaires furent suspendus? Elle aurait dû le faire dès leur création(9) ou bien lorsqu'ils commencèrent à fonctionner(10). Et l'on ne peut dire que la lune demanda, tout d'abord, de ne pas se trouver dans le même ciel que le soleil. Si tel était le cas, pourquoi aurait-il fallu diminuer sa circonférence(11)?

C) Le Targoum Yerouchalmi indique que le soleil et la lune furent identiques pendant une heure moins 672 'Heleks(12), selon un calcul établi par le Assara Maamarot. Or, la question précédemment posée est encore une fois soulevée ici. Il faudrait établir ce compte depuis que ces luminaires ont été créés(9) ou bien depuis leur mise en fonction(10), mais non depuis l'instant qu'ils ont été suspendus dans les cieux.

D) Il est dit que, selon les sages de l'Egypte, le soleil fut créé le premier, sous l'astre du lion, pendant quinze 'Heleks. La lune fut ensuite créée, pendant quinze 'Heleks également, sous l'astre du cancer. Il fallut donc à la lune, pour parvenir au Molad(13), lorsque le soleil et la lune se trouvent sous le même astre, deux jours un quart, laps de temps pendant lequel la lune parcourt 30 degrés, du cancer jusqu'au lion.

Ainsi, il est clair que les luminaires commencèrent à fonctionner dès l'instant de leur création. Tel n'est cependant pas l'avis des Tossafot, selon lesquels le compte doit être distingué du fonctionnement effectif.

Je n'ai pas trouvé, pour l'heure, une explication, dans les propos de nos Sages, justifiant l'avis selon lequel les luminaires furent créés le 15 Av, mais pourquoi multiplier les controverses parmi les Sages et imaginer qu'ils divergent également sur le fait que les luminaires aient été mis en orbite dès leur création?

En tout état de cause, j'ai du mal à comprendre l'avis de l'auteur du Mikraeï Kodech. N'avons-nous pas le mérite de disposer des écrits du Ari Zal? Or, le Ets 'Haïm dit: "En ce quatrième jour, les luminaires furent entiers. Puis, le quatrième jour, fut portée l'accusation de la lune et celle-ci dut, en conséquence, être diminuée. Par la suite, le sixième jour, elle commença à s'agrandir et parvint à la perfection, jusqu'à ce que Adam commit la faute". La dimension ésotérique nous permet donc d'établir le sens simple, qui lui est conforme. La 'Hassidout explique aussi cette réduction de la lune.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif(14)

Précision ultérieure: Une explication de cet enseignement des Sages peut être trouvée dans la lettre que j'ai écrite au Rav D. Shapiro, de Jérusalem(15).

Notes

(1) Le Rav Chmouel Zalmanov.
(2) Un Sage de la Michna.
(3) Un Sage de la Guemara.
(4) Les autres écoles de la 'Hassidout, basant leur service de D.ieu sur leurs émotions plus que sur leur réflexion.
(5) Les Mitsvot.
(6) Lecture obtenue en lisant Vaassitem Atem au lieu de Vaassitem Otam, ce que la ponctuation permet.
(7) C'est-à-dire au début de chaque cycle de vingt huit ans, lorsque le soleil se trouve dans la même position qu'au moment de la création.
(8) Qui considère pourtant que le monde fut créé en Nissan.
(9) Le premier jour.
(10) Le sixième jour.
(11) Ce qui fut sa punition, à l'issue de cette accusation, puisque, à l'origine, elle avait la même taille que le soleil.
(12) Un 'Hélek est 1/18 de minutes, soit 3,33 secondes.
(13) L'apparition de la nouvelle lune, au début du cycle mensuel.
(14) De Ma'hané Israël.
(15) Imprimée dans Likouteï Si'hot, tome 18, page 183.